[Analyse] Les SMR incitent-ils à la transformation du droit nucléaire ? - Sfen

[Analyse] Les SMR incitent-ils à la transformation du droit nucléaire ?

Publié le 16 décembre 2025

La relance mondiale du nucléaire civil s’accompagne de l’émergence des petits réacteurs modulaires (SMR/PRM), portés par de nouveaux acteurs et de nouveaux modèles économiques. Cette évolution interroge en profondeur des cadres juridiques historiquement conçus pour des programmes étatiques et centralisés. À partir d’une étude menée dans le cadre de la clinique juridique de Sciences Po, cet article analyse les tensions que les PRM font peser sur le droit nucléaire français et esquisse des pistes de transformation.

De nombreux pays sont engagés dans la révision de leur droit nucléaire afin d’accompagner la relance du nucléaire civil, laquelle comprend des objets juridiques nouveaux : les SMR. Le Canada a engagé depuis 2016 un processus de concertation[1] et d’adaptation aux petits réacteurs de divers pans de sa législation et réglementation[2]. Les États-Unis ont créé des notions de « réacteur avancé » et de « micro-réacteur » pour lesquelles un corps de règles spécifiques est en cours de développement. En parallèle, le pays accélère le rythme de délivrance des autorisations[3].  Le Royaume-Uni a publié en janvier 2024 une feuille de route qui comprend plusieurs mesures d’adaptation.[4] Une « task-force » missionnée par le gouvernement a par ailleurs produit un diagnostic complet sur le droit nucléaire anglais, dont le rapport final, publié le 24 novembre 2025, fait le diagnostic d’un « échec systémique de la régulation du nucléaire » au Royaume-Uni et promeut une remise à plat radicale[5]. La Finlande, la Suède et l’Italie sont elles-mêmes en train de réviser ou de recréer leur droit nucléaire.

Les SMR : une nouveauté aussi technique que juridique

La possible transposition de ce mouvement au contexte français est examinée dans l’étude : « Le régime juridique des Petits Réacteurs Modulaires (PRM) – ​Quels changements dans le droit nucléaire français les PRM impliquent-ils ? ». Les auteurs ont travaillé avec un groupe d’étudiants, dans le cadre de la clinique juridique (dispositif de formation et d’aide juridique) de l’école de droit de Sciences Po. Ce travail met en évidence que la nouveauté des SMR pour le régime juridique du nucléaire ne repose pas tant sur leur petite taille (des réacteurs de recherche ont été autorisés par le passé), ni leur localisation (ces mêmes réacteurs de recherche, comme celui de l’Institut Laue-Langevin à Grenoble, sont déjà installés à proximité d’autres installations ou en milieu urbain), ni même leur caractère modulaire (qui ne se manifeste pas encore de manière concrète au stade de développement actuel des projets des start-ups françaises).

La véritable tension juridique relève du mode de financement et de la nature des acteurs qui portent les projets. Il s’agit de petits acteurs privés, financés en partie par d’autres acteurs privés. Or, la régulation de l’énergie nucléaire a été intégralement construite par les pouvoirs publics, pour des acteurs étatiques et dans une finalité de réalisation d’un bien public d’intérêt général (essentiellement la production d’électricité). L’idée que le droit régissant les activités nucléaires doive également intégrer la possibilité pour des investisseurs de prendre un risque économique et d’en retirer des gains si le projet fonctionne est donc l’élément principal de nouveauté juridique associée aux PRM.

Sûreté nucléaire et viabilité économique : une conciliation indispensable

L’étude identifie que le succès des porteurs de projets de SMR repose, bien sûr, sur leur capacité à exploiter leur installation de manière sûre – comme cela s’impose à tout exploitant nucléaire – mais aussi sur la conciliation entre sûreté et efficacité économique. Cette conciliation implique le traitement de plusieurs obstacles juridiques structurants, parmi lesquels :

– Le traitement des causes juridiques du sous-financement de la filière de PRM européenne par rapport à la filière états-unienne. À titre de pistes de solutions, les actifs constitués pour le financement des charges nucléaires pourraient être davantage mobilisés pour le financement de la filière. Par ailleurs l’Union européenne pourrait coordonner un soutien public équivalent à celui dispensé aux États-Unis, tout en prenant les mesures nécessaires pour protéger le marché européen face aux SMR américains subventionnés.

– L’accélération et la rationalisation du parcours d’autorisation et de création juridique d’un nouvel exploitant. Le principe de priorité absolue accordée à la protection des intérêts mentionnés dans le code de l’environnement (la sécurité, la santé et la salubrité publiques ou la protection de la nature et de l’environnement) pourrait être remplacé par un principe de priorité adéquate accordée à la sûreté, plus conforme à la convention internationale sur la sûreté et au principe établi par le code civil selon lequel une société est gérée dans son intérêt social propre, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux. Les délais d’octroi des autorisations pourraient être réduits (par exemple au délai de 18 mois maintenant en vigueur aux États-Unis). Plusieurs procédures obsolètes (comme la contresignature des contrats d’achats de matière fissile par l’Agence d’approvisionnement d’Euratom) liées à l’application du traité Euratom pourraient aussi être supprimées ou réformées. Le travail de mise en cohérence du droit nucléaire avec les objectifs de développement de la filière, entamé avec la loi du 22 juin 2023 d’accélération des procédures de création d’installations nucléaires, peut donc être approfondi.

– L’adaptation des règles de responsabilités nucléaires aux SMR, en réformant la qualification d’installation à risque réduit au titre de la responsabilité civile nucléaire et en évitant l’attribution de responsabilités propres aux installations nucléaires à des acteurs autres que l’exploitant lui-même ou l’État.

Quoiqu’il en soit de la réussite du défi technologique et économique que représentent les PRM, ceux-ci peuvent être l’occasion d’améliorer l’efficacité le droit nucléaire français et, ce faisant, rendre service à d’autres programmes nucléaires, tels les EPR2 ou le projet Aval du futur, portés respectivement par EDF et Orano. ■

Par Grégoire Lunven (directeur juridique de Jimmy Energy) et Marc Léger (ancien directeur juridique du CEA).

L’étude sur le régime juridique des Petits Réacteurs Modulaires est publiée intégralement sur un site dédié : cymars.org

[1] https://www.cnsc-ccsn.gc.ca/eng/acts-and-regulations/consultation/comment/d-16-04/

[2] https://www.ibanet.org/legal-perspectives-smr-canada

[3] 9 Key Takeaways from President Trump’s Executive Orders on Nuclear Energy | Department of Energy

[4] Civil nuclear: roadmap to 2050 – GOV.UK

[5] Nuclear Regulatory Review 2025: summary – GOV.UK