La Corée du Sud, partenaire de l’ambition nucléaire américaine
La Corée du Sud et les États-Unis ont confirmé le rapprochement de leurs filières nucléaires, lors du sommet entre les deux états le 25 août. Si publiquement KHNP a signé trois accords de coopération avec des entreprises américaines, la presse coréenne a révélé l’organisation d’un partage du marché mondial du nucléaire avec Westinghouse.
L’alignement de l’industrie nucléaire coréenne et américaine commence à prendre forme. Lors du sommet entre les deux pays, organisé le lundi 25 août, la Korea Hydro & Nuclear Corporation (KHNP) a signé trois accords avec des entreprises américaines. Un rapprochement qui pourrait n’être qu’un premier pas vers une collaboration à grande échelle entre les deux puissances.
En amont du sommet, The Korea Times [1] et l’agence de presse Yonhap [2] ont dévoilé le contenu de l’accord de règlement de janvier 2025 entre KHNP et Westinghouse. Le différent portait sur un litige en matière de propriété intellectuelle. L’entreprise américaine affirmait que KHNP avait violé sa propriété intellectuelle, en exportant sans son accord des technologies dont sont équipés les réacteurs APR1000 et APR1400. L’accord « permet aux deux parties d’avancer en toute confiance dans le déploiement de nouveaux réacteurs nucléaires », soulignait alors Westinghouse [3]. De quoi ouvrir aussi la voie « à une future coopération entre les parties pour faire avancer de nouveaux projets nucléaires à l’échelle mondiale ». Cependant, les éléments partagés par la presse coréenne décrivent un projet bien plus ambitieux.
Partage du marché mondial
Le règlement du litige entre les deux entreprises se matérialise par une division en deux du marché de l’exportation des réacteurs nucléaires. Sur une durée de 50 ans, Westinghouse se développera sur les marchés nord-américain, européen, ukrainien et japonais. KHNP se focalisera pour sa part sur la République tchèque, l’Asie, le Moyen-Orient, l’Afrique et l’Amérique du Sud. Un partage sur le papier défavorable pour l’entreprise coréenne qui hérite des marchés avec une forte concurrence chinoise et russe.
Les effets sont déjà visibles, avec le retrait de KHNP des appels d’offres en Pologne et en Slovénie. « Pour sa part, Westinghouse hérite des marchés les plus favorables et se retrouve avec EDF comme seul concurrent pour la grosse puissance, étant entendu que les offres russes et chinoises ne sont plus envisagées dans une majorité de pays occidentaux pour des raisons géopolitiques », souligne Service nucléaire de l’ambassade de France aux États-Unis.
L’accord comprend aussi des promesses d’achat de KHNP de biens et de services auprès de Westinghouse pour un total de 650 millions de dollars et de versements de 175 millions de dollars de droit de licence pour chaque réacteur exporté. Finalement, l’entreprise publique coréenne s’est engagée à se fournir au moins à 50 % en combustible auprès de son partenaire.
Une joint-venture dans les tuyaux
À la suite de ces révélations, le Président et le Parlement coréens ont critiqué l’accord signé par l’entreprise publique, mettant en avant une perte de souveraineté au profit de son allié. Un point noir qui pourrait passer à la trappe, les deux entreprises envisageant de créer une coentreprise, rapporte une nouvelle fois la presse coréenne. Cette joint-venture permettrait de « tirer parti des capacités de construction et de la chaîne d’approvisionnement sud-coréennes au profit de projets menés par Westinghouse », analyse le service nucléaire de l’ambassade française. C’est d’ailleurs l’objectif recherché par les différents contrats signés entre les industries coréennes et américaines lors du sommet du 25 août.
KHNP, Doosan Enerbility et Amazon ont signé un contrat pour accélérer le déploiement des SMR développé par la start-up américaine X-energy [4]. Cette collaboration porte sur la conception, le développement de la chaîne d’approvisionnement, la planification de la construction, les stratégies d’investissement et les opérations à long terme. « Conformément au récent accord commercial de 350 milliards de dollars entre les États-Unis et la République de Corée, les entreprises visent également à mobiliser jusqu’à 50 milliards de dollars d’investissements publics et privés pour soutenir l’avenir de l’énergie nucléaire aux États-Unis », précise le communiqué.
L’enjeux du combustible
Du côté de la filière combustible, KHNP a aussi signé un protocole d’accord non-contraignant qui lui permettrait de s’impliquer dans l’enrichissement d’uranium. Le groupe envisage ainsi d’investir dans l’expansion de l’usine d’enrichissement d’uranium de Centrus à Piketon (Ohio) [5]. L’entreprise coréenne s’est aussi engagée à augmenter ses commandes d’uranium faiblement enrichi, si l’extension de la capacité de l’usine était confirmée.
D’autre part, KHNP a signé le 5 septembre un accord d’approvisionnement à long terme d’uranium converti avec ConverDyn. Cette dernière est la seule à exercer l’activité de conversion d’uranium sur le sol américain. Avec ce partenariat, « grâce à ce contrat, nous espérons renforcer la sécurité énergétique en assurant un approvisionnement stable en uranium converti », a souligné KHNP dans un communiqué.
En parallèle de ces annonces, le ministre sud-coréen des affaires étrangères Cho Hyun a déclaré que le retraitement du combustible nucléaire serait évoqué avec les États-Unis. Actuellement, la péninsule n’est pas autorisée à pratiquer cette activité en raison d’un accord de non-prolifération. Si le gouvernement coréen assure que le retraitement du combustible usé sera employé uniquement dans le cadre du nucléaire civil, le plutonium issu de ce processus peut aussi être utilisé pour la fabrication d’armes nucléaires. ■
Par Simon Philippe
Photo : Les réacteurs n°1 et n°2 de la centrale coréenne de Shin Kori opérée par KHNP. ©KHNP