La Belgique lève l’interdiction du nucléaire et relance officiellement sa filière - Sfen

La Belgique lève l’interdiction du nucléaire et relance officiellement sa filière

Publié le 6 juin 2025

En abrogeant la loi de 2003 sur la sortie du nucléaire, le Parlement belge ouvre la voie à une prolongation massive des réacteurs existants et à la construction de nouvelles capacités, dans un contexte de crise énergétique, d’objectifs climatiques exigeants et de pression industrielle.

Le 15 mai 2025, la Belgique a officiellement tourné la page de deux décennies de politique antinucléaire. Le Parlement fédéral a voté à une large majorité l’abrogation de la loi du 31 janvier 2003, qui interdisait toute nouvelle construction de centrale nucléaire et prévoyait la fermeture progressive des unités existantes. Ce basculement législatif marque un tournant énergétique historique pour le pays, motivé par la nécessité d’assurer la sécurité d’approvisionnement, de respecter les objectifs climatiques et de répondre à l’appel croissant des milieux industriels.

Une rupture avec vingt ans de politique antinucléaire

En 2003, la Belgique se joignait au club des pays prévoyant une sortie du nucléaire. La loi interdisait toute nouvelle construction et limitait à 40 ans la durée de vie des réacteurs existants. Depuis, plusieurs gouvernements successifs avaient tenté d’en repousser les échéances, sans jamais remettre en cause le principe même de la sortie.

La guerre en Ukraine, les tensions sur les marchés énergétiques et le besoin urgent de décarboner l’électricité ont bouleversé cette approche. En 2022, le gouvernement avait déjà négocié une prolongation de dix ans pour Doel 4 et Tihange 3, deux des sept réacteurs belges, jusqu’en 2035. Mais avec l’abrogation de la loi de 2003, le spectre complet du nucléaire redevient un outil stratégique à part entière.

Une nouvelle ère énergétique s’ouvre

Cette réforme donne désormais un cadre légal pour prolonger l’exploitation d’autres unités – comme Doel 3 ou Tihange 2, fermées récemment – ou en rouvrir certaines sous conditions. Elle autorise également la planification de nouvelles installations, y compris de petits réacteurs modulaires (SMR), que le ministre de l’Énergie Mathieu Bihet a désignés comme « une priorité technologique ».

Le gouvernement de coalition dirigé par Bart De Wever affirme que cette décision permettra d’atteindre une capacité nucléaire cible de 4 GW, soit environ quatre grands réacteurs, d’ici 2040. Il s’agit de sécuriser une production électrique stable, bas carbone et complémentaire des énergies renouvelables, dont l’intermittence reste un défi majeur pour le réseau.

Des soutiens industriels et politiques larges

Cette réforme a reçu le soutien explicite du patronat, du Forum nucléaire belge et de plusieurs fédérations industrielles. Les grands consommateurs d’énergie, en particulier les aciéries, producteurs chimiques et infrastructures portuaires, appellent depuis plusieurs années à une stabilisation du cadre énergétique pour sécuriser leurs investissements.

Sur le plan politique, seuls les partis écologistes Ecolo et Groen ont voté contre le texte. Le PS s’est abstenu, tandis que le MR, la N-VA, le CD&V, le Vooruit et le Vlaams Belang ont voté en faveur. Cette large majorité reflète une bascule du consensus politique belge autour de la place du nucléaire.

Une position européenne redéfinie

 

Avec cette réforme, la Belgique s’aligne sur la nouvelle dynamique européenne. Après des années de désengagement, l’atome connaît un regain stratégique en Europe. La France, la Suède, la Finlande, les Pays-Bas ou encore la République tchèque ont intégré le nucléaire dans leur trajectoire climatique à long terme. La Belgique, jusqu’ici vue comme un contre-modèle, adopte désormais une position plus proactive.

La Commission européenne, de son côté, a inclus le nucléaire dans la taxonomie verte et encourage son rôle dans l’atteinte des objectifs « zéro émission nette » à horizon 2050. En misant à nouveau sur le nucléaire, Bruxelles espère aussi renforcer son autonomie énergétique, après avoir longtemps dépendu des importations pour pallier la baisse de production nationale.

Un chantier industriel et politique à venir

Mais tout reste à faire. Prolonger des réacteurs ou en construire de nouveaux nécessitera des investissements majeurs, des recrutements, et un renforcement des filières de compétences. Les experts alertent déjà sur les délais techniques et les exigences réglementaires. Engie, opérateur historique, n’a pas encore confirmé ses intentions au-delà de l’accord sur Doel 4 et Tihange 3.

Le prochain défi sera donc de passer des mots aux actes, dans un calendrier serré et un contexte encore fragile. La levée de l’interdiction est un signal politique fort, mais elle ne garantit pas encore la relance effective d’une industrie dont les capacités avaient été largement démantelées. Pour beaucoup, cette loi n’est que le début d’un nouveau cycle qui devra se concrétiser dans les faits, sous peine de rester un tournant inachevé. ■

Par Maximilien Struyss (Journaliste)
Image : Intérieur de la centrale de Tihange – @ SERCH CARRIERE / POOL / AFP