[Décryptage] Revue du design de l’EPR2 : vers une optimisation du programme industriel
Alors que la France s’apprête à lancer le vaste programme de construction de 6 à 14 EPR2, la Délégation interministérielle au Nouveau nucléaire (DINN), nouvelle administration dédiée, a demandé de travailler sur la maturité du Basic Design du réacteur. Un retard de quelques mois qui pourrait faire gagner à l’ensemble du projet un temps majeur.
Fin février, était annoncé le report de six mois de la finalisation du basic design de l’EPR2. À l’origine de cette décision, un travail en commun entre la Délégation interministérielle au Nouveau nucléaire (DINN) (voir encadré) et EDF. Joël Barre et Vincent Le Biez, respectivement Délégué interministériel et Adjoint au Délégué assurent, dans un entretien avec la RGN, que c’est une décision raisonnable pour lancer le programme EPR2 sur les meilleurs rails possibles.
« Ce délai de six mois n’est pas critique au regard de ce que représente le programme EPR2 pour la France », expliquent les deux hommes. Cela fait plusieurs décennies que la France n’a pas mené un projet industriel d’une telle ambition, d’une telle ampleur et couvrant de tels enjeux. Il s’agit d’assurer la décarbonation du système énergétique, la sécurité d’approvisionnement en électricité et la compétitivité de l’électricité produite au bénéfice des consommateurs. La seule paire d’EPR2 construite sur la centrale de Penly (Seine-Maritime), dont le premier béton se situerait vers 2027, sera déjà le « plus grand chantier d’Europe » comme le présente EDF, équivalent à celui d’Hinkley Point C au Royaume-Uni.
Dans cette perspective, le programme Nouveau nucléaire France (NNF) a été soumis à un mécanisme de revue. C’est un processus classique pour les grands programmes d’investissement public dans le spatial et l’armement. Domaines que Joël Barre « connaît très bien », en tant qu’ex-Délégué général pour l’armement et ex-Directeur général délégué du Centre national d’études spatiales (CNES),
Un groupe de travail pluridisciplinaire
Ainsi, un groupe de revue a été constitué, sous la présidence d’Hervé Guillou, ancien PDG de TechnicAtome et de NavalGroup, composé d’experts indépendants du projet EPR2, pour la plupart extérieurs au groupe EDF et disposant d’expériences industrielles dans les domaines du nucléaire, du génie civil, de l’Oil & Gas, de l’armement. Ce groupe a remis à EDF à l’automne 2023 une série de recommandations. Elles ont été validées ensuite par un comité directeur, présidé par le PDG d’EDF Luc Rémont.
Le groupe de travail s’est également prononcé sur la maturité du design et a constaté, en accord avec les équipes d’EDF, que des travaux complémentaires devaient être menés pour finaliser le basic design de l’îlot nucléaire. Vincent Le Biez considère que « cela résulte notamment des différences importantes de conception entre l’EPR et l’EPR2 et en conséquence de la quantité de travail d’ingénierie à mobiliser pour le basic design ».
En conséquence, il a été décidé de poursuivre cette revue de programme avec un complément prévu à l’été 2024. Son objet est de se prononcer sur la maturité du design et sur la bonne prise en compte des recommandations afin de « dérisquer » le programme et de gagner en compétitivité.
Optimisation économique du programme
En effet, les travaux d’EDF comportent également un volet économique avec un « plan de compétitivité ». Celui-ci consiste à travailler de façon partenariale avec les fournisseurs sur une optimisation du coût et du calendrier du programme, en réinterrogeant certaines spécifications techniques, les clauses contractuelles et les conditions d’exécution. Par exemple, cela concerne les conditions de réception des fournitures des sous-traitants par EDF. L’exercice en cours devrait également déboucher d’ici l’été 2024.
Pour Joël Barre, il s’agit de passer « d’une logique de politique d’achat à une politique industrielle où c’est la logique de partenariat qui prime ». À ce titre, la DINN a mené en 2023 une étude sur l’état de préparation de la filière nucléaire en vue du programme NNF qui a confirmé la nécessité de gérer ces interfaces complexes, qui ont été la cause de nombreux délais pour les projets EPR précédents, et d’adopter une démarche plus partenariale.
En quête de l’effet de série
Un exercice spécifique concerne l’optimisation du planning, en particulier le délai de construction, en tirant tout le retour d’expérience des EPR construits jusqu’à présent. C’est un objectif majeur pour la future direction des projets et de la construction, en charge de la maîtrise d’œuvre des nouveaux projets nucléaires chez EDF, dans le cadre de la réorganisation des activités nucléaires du groupe décidée par Luc Rémont.
L’objectif reste bien de montrer qu’après la première paire d’EPR2, qui sera une tête de série, on maximise la logique de réplication afin d’aller chercher des gains de dégressivité conduisant à un modèle qui soit compétitif en prix et en délai de construction.
C’est à l’issue de ces travaux qu’il sera possible de se prononcer sur l’adhésion au calendrier officiel. Celui-ci table aujourd’hui pour une mise en service de l’EPR2 dans une fourchette 2035-2037, avec un scénario dégradé en 2038. Il s’appuie sur une mise à jour du chiffrage réalisé en 2021.
Une étude de l’option de huit EPR2 supplémentaires a été lancée au sein d’EDF et porte à ce stade en particulier sur le choix des sites pouvant accueillir ces quatre paires supplémentaires potentielles, qui devront être aussi proches que possible des six premiers EPR2, « afin de bénéficier pleinement de l’effet de série », observe Joël Barre. ■
ENCADRÉ :
La DINN, un service du Premier ministre dédié à la relance nucléaire française
La Délégation interministérielle au Nouveau nucléaire (DINN) est une jeune administration, créée en novembre 2022, afin de renforcer le suivi pour le compte de l’État des nouveaux projets industriels nucléaires sur le territoire national. À cette fin, la DINN assure principalement trois missions originales : la supervision industrielle de ces projets (qui sont à ce jour le programme EPR2, le projet SMR Nuward et le réacteur de recherche Jules Horowitz), la mobilisation et la coordination des pouvoirs publics impliqués dans leur mise en œuvre (administrations centrales et déconcentrées), et enfin la contribution à l’information du public sur leurs grands enjeux. La DINN compte à ce jour une dizaine de collaborateurs. ■