Une centrale nucléaire peut-elle exploser ?
Une réacteur fonctionne grâce au principe de la fission nucléaire. Des neutrons viennent percuter le noyau d’atomes en libérant une grande quantité d’énergie et de nouveaux neutrons. Un réacteur est conçu pour entretenir cette réaction de manière stable et prévenir automatiquement tout emballement du processus.
Une centrale nucléaire peut-elle exploser ? La réponse est non.
Mais pour mieux comprendre cette affirmation, nous allons l’expliciter en prenant une analogie : celle de l’épidémie de Covid-19. Au cours du développement de cette infection, vous avez certainement entendu parler du taux R ou, en bon français, du nombre de reproductions effectif du virus. On peut le définir comme le nombre moyen de nouvelles personnes infectées par cas déclaré. Mathématiquement, le nombre de malades varie exponentiellement en fonction du temps t comme 2 à la puissance (R – 1)t/D, où D est la durée nécessaire à une nouvelle contamination (de l’ordre d’une ou deux semaines). Le taux R varie en fonction des circonstances et est réévalué continûment par les spécialistes.
La position de R par rapport à l’unité conditionne le sens de l’évolution :
- Si R est supérieur à 1, le nombre de malades augmente, on observe la montée d’une nouvelle vague.
- Si R est inférieur à 1, au contraire, le nombre de malades diminue, la vague s’atténue.
L’évolution de la puissance d’un réacteur nucléaire est similaire et suit la même loi mathématique. Le taux R est remplacé par le « facteur de multiplication effectif », noté habituellement k. Il s’agit de la quantité moyenne de réactions de fission nucléaire occasionnées par les neutrons eux-mêmes issus d’une réaction de fission nucléaire. Le temps de doublement est beaucoup plus court : de l’ordre de quelques secondes si k n’est pas trop grand, et même beaucoup moins si k dépasse largement 1.
Alors, tout dépend de ce que vous souhaitez faire de ce processus appelé « réaction en chaine » dans le cas des réacteurs nucléaires. À l’époque du projet Manhattan, dans les années 1940, les ingénieurs américains visaient à réaliser une bombe atomique. Ils ont conçu une configuration avec un très grand facteur de multiplication k, et donc un temps de doublement extrêmement court (quelques millionièmes de seconde !) Alors, après déclenchement de la réaction en chaine, rien ne pouvait plus l’arrêter jusqu’à la dispersion de la matière (uranium 235 ou plutonium 239) provoquée par la libération d’une quantité d’énergie colossale provenant des fissions.
Le rôle des contreréactions
Dès les réflexions de Frédéric Joliot-Curie et de son équipe, dans les années 1939-1940, puis les réalisations concrètes des années 1940-1950, une autre voie a été étudiée : celle d’un réacteur nucléaire, conçu pour délivrer l’énergie à un rythme constant, donc pour fournir une puissance stable (et non à évolution exponentielle). La configuration est alors tout autre. En particulier, la matière fissile est très dispersée car mélangée avec de la matière non fissile (par exemple, un peu d’uranium 235 parmi beaucoup d’uranium 238) et diluée avec d’autres matériaux (gainages, fluide caloporteur, modérateur pour ralentir les neutrons, etc.).
De plus, par conception, les contreréactions dans un réacteur sont toujours négatives : cela veut dire que si la puissance augmente, le facteur k diminue. Voyons ce que cela signifie.
En fonctionnement normal, k est exactement égal à 1 et la puissance ne varie pas. Supposons que pour une raison quelconque k dépasse 1. La puissance alors augmente. Et si la puissance augmente, la température augmente aussi. Tous les réacteurs nucléaires d’aujourd’hui ont été conçus pour que k diminue « automatiquement » (c’est-à-dire physiquement) lorsque la température augmente (c’est que l’on appelle des contreréactions négatives), et cela dans toutes les situations possibles et imaginables. La montée de puissance est enrayée spontanément et l’on revient à une situation stable.
Baisse spontanée de la puissance
Par un raisonnement analogue, on voit qu’une baisse de puissance est spontanément contrecarrée et l’on revient aussi à une situation stable. Notons au passage que ce n’était malheureusement pas le cas pour le réacteur de Tchernobyl, de type très différent des réacteurs que l’on exploite aujourd’hui. En effet, une contreréaction devenait positive lorsque le réacteur fonctionnait à puissance réduite, cela a conduit à une montée en puissance extrêmement brutale qui a entrainé la vaporisation presque instantanée d’une énorme quantité d’eau et une « explosion vapeur ».
En conclusion, on voit qu’un réacteur n’a pas à proprement parler besoin d’être piloté : il se pilote lui-même. Des actions des opérateurs ne sont nécessaires que pour modifier la puissance souhaitée et pour compenser des usures à long terme. Bien sûr, ce qui vient d’être expliqué est qualitatif. En pratique, les concepteurs des réacteurs et, derrière eux, les analystes de la sûreté vérifient quantitativement et par des calculs précis que tout se passe comme il vient d’être dit quelles que soient les circonstances. ■