Quels sont les besoins en eau d’une centrale nucléaire ?
Les centrales nucléaires, comme beaucoup d’installations industrielles, nécessitent un apport en eau pour assurer leur bon fonctionnement. Le nucléaire représente une part importante des prélèvements d’eau, mais une part faible pour ce qui est de la consommation. Précieuse pour de nombreux usages sur les territoires, l’industrie nucléaire a toujours innové pour diminuer ses besoins.
Les réacteurs nucléaires nécessitent un apport en eau important pour leur refroidissement. Cette eau prélevée d’une source extérieure, dite froide, va circuler à une température comprise entre 0°C et 30°C dans le circuit tertiaire pour refroidir via un échangeur thermique l’eau du circuit secondaire. Ce qu’il advient de l’eau ainsi réchauffée dépend de la configuration du circuit de refroidissement.
Circuit ouvert ou fermé
Deux configurations existent selon le type de refroidissement choisi. Cela dépend des conditions hydrologiques du milieu où est implantée la centrale.
- Lorsque le réacteur est installé en bord de mer ou en bord d’un fleuve au débit élevé, le circuit de refroidissement est « ouvert ». Dans cette configuration, l’eau prélevée est immédiatement restituée au milieu d’origine après passage dans l’échangeur thermique. L’eau restituée est donc plus chaude. Il n’y a quasiment pas de consommation d’eau dans ce cas, l’eau prélevée est intégralement retournée à l’écosystème.
- Lorsqu’il est localisé à proximité d’une rivière, le circuit est « fermé ». Dans cette configuration, l’eau circule continûment dans un circuit fermé sous forme liquide. Elle est refroidie par contact avec l’air dans des tours dites « aéroréfrigérantes » et s’échappe par évaporation. C’est le panache blanc. Pour compenser les pertes liées à cette consommation de l’eau dans l’atmosphère via les tours, des prélèvements d’appoint à la rivière sont réalisés.
En France, le parc nucléaire est constitué de 56 tranches (réacteurs) en activité, réparties sur 18 centrales (voir image ci-dessous). 30 de ces réacteurs fonctionnent en circuit fermé et consomment donc de l’eau douce par évaporation. Les 26 autres sont en circuit ouvert, dont 14 en bord de mer et 12 en bord de fleuve.
Image : Carte d’implantation des réacteurs nucléaires sur le territoire français, Source : Sfen
À noter que l’EPR de Flamanville, qui sera mis en service en 2024, est installé en bord de mer et sera donc en circuit ouvert. Les six réacteurs EPR2, une version optimisée de l’EPR, programmés pour construction sont envisagés sur des sites nucléaires existants : Penly 3 & 4, en bord de mer (circuit ouvert) ; Gravelines 7 & 8 en bord de mer (circuit ouvert) ; Bugey 6 & 7 en bord de Rhône (circuit fermé).
Les besoins en chiffre
Le graphique ci-dessous met en perspectives les besoins (en eau douce accessible) du secteur électrique par rapport aux autres préleveurs/consommateurs principaux, en France. Le secteur intitulé « refroidissement des centrales électriques » correspond majoritairement au secteur nucléaire (quelques pourcents correspondent aux besoins de refroidissement des centrales thermiques à flamme encore en activité). On note que si le nucléaire prélève beaucoup d’eau, il n’en consomme que peu.
Graphique : Parts des prélèvements et des consommations d’eau douce par secteurs en France, Source : Banque Nationale des prélèvements quantitatifs en eau (BNPE), écologie.gouv.fr, Chambre de commerce et d’industrie (CCI)
Dans un rapport de France Stratégie [1], à partir de données de la Banque Nationale des prélèvements quantitatifs en eau (BNPE), ces besoins sont exprimés par région suivant les 7 bassins versants, capables d’approvisionner en eau les secteurs demandeurs (image ci-dessous).
Image : Cartographie régionale des prélèvements et des consommations d’eau douce par secteurs en France, Source : Strategie.gouv.fr, BNPE
Pour les réacteurs refroidis en circuit fermé, le prélèvement d’eau est moindre et se limite à 2 m3/s environ (dont 0,6 à 0,8 m3/s environ consommé par évaporation suivant la puissance du réacteur). Au regard de l’électricité produite, le prélèvement représente entre 5 et 20 L/kWh environ. L’eau prélevée est en partie consommée, à hauteur de 40 % soit environ 2,5 L/kWh.
Pour un circuit ouvert, le prélèvement est plus important : entre 55 à 200 m3/s environ (par centrale, cela dépend donc du nombre de réacteurs). Plus la production d’électricité de la centrale est importante, plus les besoins en eau vont augmenter. De la même façon, en rapportant le prélèvement à l’électricité produite, il représente entre 150 à 230 L/kWh environ. Néanmoins elle est restituée à plus de 99 %.
Sur l’année 2021, 97 % de l’eau douce prélevée par les centrales nucléaires a été restituée au milieu d’origine (schéma ci-dessous). La même année, la consommation moyenne d’une centrale nucléaire de production d’électricité (CNPE) représentait 1 % du débit des cours d’eau où elle est installée. Ces valeurs sont susceptibles de varier d’une année à l’autre (dans un ordre de grandeur néanmoins similaire) suivant la production des réacteurs. Une configuration n’est pas sensiblement meilleure qu’une autre, son choix va néanmoins dépendre de plusieurs facteurs (techniques, hydro-écologiques, financiers, politiques, etc.).
Schéma : Bilan eau des CNPE en France sur l’année 2021, Source : EDF
Perspectives d’amélioration : de nouveaux outils en développement
Bien que la consommation en eau des centrales nucléaires soit relativement faible, des perspectives d’améliorations peuvent être souhaitées pour répondre aux enjeux climatiques et/ou sociaux. EDF travaille d’ores et déjà sur des méthodes d’optimisation de la consommation en eau. Les exploitants mènent aussi des recherches pour valoriser les eaux non conventionnelles, comme celles issues des stations d’épuration, par exemple. On peut citer le cas notamment de la centrale de Palo Verde dans l’état d’Arizona aux Etats-Unis qui utilise les effluents de la ville de Phoenix pour son refroidissement.
EDF et les parties prenantes de la gestion de l’eau mènent également des réflexions conjointes pour répondre aux enjeux auxquels elles font face, en voici certains exemples :
- Les jumeaux numériques de bassins versants
L’objectif de cet outil, développé par EDF, est de numériser l’intégralité d’un bassin versant, à savoir l’écoulement naturel de l’eau dans ce milieu, corrélé aux usages des humains. Il est actuellement en test sur le bassin versant pilote de la Loire. L’objectif est de mieux gérer le partage et l’accessibilité de la ressource pour les différents secteurs d’activités usagers et de mieux anticiper les niveaux de débits qui peuvent être impactés par les aléas climatiques. Dans le futur, une dimension physico-chimique pourra être intégrée, permettant de contrôler la température ou la qualité de l’eau par exemple.
- La cartographie des flux d’eau en centrales nucléaires
À nouveau, l’objectif est de comprendre davantage les besoins en eau. Initiée dans le cadre du programme « Sobriété en eau », la cartographie des flux permet de quantifier avec précision les différents flux d’eau sur une centrale (domestique, industrielle, de refroidissement, pluviale) dans une démarche d’optimisation de la consommation globale. Les études sur le terrain ont été lancées en 2023.
- Des récupérateurs d’eau dans les tours aéroréfrigérantes
Une dernière innovation consisterait à capter une partie de l’eau évaporée qui s’échappe par les tours aéroréfrigérantes. Grâce à une ionisation des gouttelettes, 5 à 15 % de l’eau pourrait être récupérés. Cette technologie, développée par une start-up américaine (Infinite Cooling), devrait être testée courant 2024 à la centrale de Bugey. ■
Image : Concept de récupération de l’eau évaporée issue des tours aéroréfrigérantes, Source : EDF