Fusion nucléaire : confinement magnétique ou inertiel, quelle différence ?
La fusion est l’autre versant de l’énergie nucléaire. Sans émission carbone et utilisant des ressources très présentes sur la Terre, la fusion nucléaire produirait une énergie abondante. Encore au stade expérimental, les technologies pour générer des réactions de fusion se distinguent en deux catégories celle par confinement magnétique ou celle par confinement inertiel.
Toutes nos centrales nucléaires utilisent aujourd’hui le principe de fission nucléaire. Le but est de scinder un atome d’uranium en deux via la projection d’un neutron. En entretenant une réaction en chaine, la fission permet de dégager une immense quantité d’énergie. Dans le cas de la fusion, au lieu de briser des atomes lourds, l’enjeu va être de faire fusionner des atomes légers.
La fusion nucléaire utilise de l’hydrogène et plus particulièrement deux de ses isotopes : le deutérium et le tritium. L’objectif est donc de fusionner ces deux derniers pour former un noyau d’hélium « lourd » et un neutron. Cette réaction thermonucléaire libère une quantité d’énergie extrêmement importante, quatre fois supérieure à celle produite par la fission.
Les conditions à réunir pour parvenir à ce phénomène, qui se déroule chaque seconde dans le noyau du soleil, sont exigeantes. Il est nécessaire d’atteindre des températures supérieures à 100 millions de degrés Celsius, sous haute pression. Pour créer et maintenir ces conditions, deux technologies ont été mises au point : le confinement magnétique et le confinement inertiel.
LE CONFINEMENT MAGNÉTIQUE
Dans le cas d’un confinement magnétique, on fait appel à deux types d’installations : le tokamak ou le stellarator. Leur utilité est globalement similaire, à savoir générer une chaleur très importante pour enclencher des réactions de fusion. L’énergie dégagée est ensuite convertie et récupérée sous forme de vapeur.
Infographie du tokamak CEA West, Crédit : CEA
La montée en température s’effectue en plusieurs étapes :
1. Dans un premier temps, on procède à une mise sous vide : des puissantes pompes mécaniques et cryogéniques évacuent la totalité de l’air et les impuretés ;
2. Puis, grâce à la bobine magnétique centrale, le mélange gazeux deutérium-tritium subit une ionisation ; il devient un plasma ;
3. Un circuit électrique, généré par la bobine magnétique centrale, circule dans le plasma ce qui le porte à 10 millions de degrés, on parle d’effet joule.
D’autres méthodes prennent le relais pour monter à une température permettant les opérations de fusion, au-delà de 100 à 300 millions de degrés :
4. Une injection d’atomes neutres de deutérium fortement accélérés qui entrent en collision avec les particules du plasma ;
5. Une émission d’ondes électromagnétiques à très haute fréquence ;
6. In fine, l’interaction entre les atomes d’hélium, formés par fusion, qui entretiennent la température finale atteinte, c’est le principe d’« auto-chauffage ».
Une fois cette étape passée et les réactions de fusion stables, l’énergie est récupérée sous forme de chaleur par les parois du tokamak.
Un champ magnétique toroïdal très intense est généré grâce à de puissants aimants pour contenir le plasma. Cela forme des lignes de champ magnétique le long desquelles le plasma circule. Cela empêche le plasma de rentrer en contact avec les parois internes. D’autres bobines magnétiques, dites poloïdales, permettent de conserver son équilibre, sa position et sa forme.
La différence entre les tokamaks et les stellarators se joue principalement sur leur configuration physique pour le confinement du plasma. Contrairement au tokamak, le stellarator utilise un champ magnétique hélicoïdal, formé grâce à une torsion des aimants, ce qui ne nécessite pas de faire passer un courant magnétique au sein du plasma. En cela, le tokamak serait meilleur pour maintenir le plasma à des températures élevées et plus « facile » à construire alors que le stellarator garantirait une meilleure stabilité du gaz ionisé.
Vue schématique du stellarator Wendelstein 7-X, Crédit : Max planck institute for plasma physics
Il est aussi important de constater que les ressources en tritium sont à ce jour beaucoup plus faibles que celles en deutérium. Dans une perspective de production d’électricité à l’échelle commerciale, les besoins en tritium seraient de l’ordre de 300 g par jour pour produire 800 MW d’électricité. Le stock mondial étant estimé entre 20 et 30kg environ. Pour pallier ce manque, le tokamak serait capable d’autogénérer du tritium. Lors des opérations de fusion, les neutrons éjectés rentrent en contact avec le lithium présent dans les éléments de couverture, appelés modules « tritigènes », ce qui créerait du tritium. À noter que celui-ci est aussi produit, par exemple, lors du fonctionnement des réacteurs nucléaires de type CANDU (CANada Deuterium Uranium) à eau lourde pressurisée, utilisant de l’uranium naturel non enrichi.
LE CONFINEMENT INERTIEL
Pour le confinement inertiel, le principe est le même, à savoir générer un plasma pour créer des réactions de fusion entre le deutérium et le tritium. En revanche, la création du plasma et son confinement ne sont pas effectués de la même manière.
1. Le mélange deutérium–tritium est intégré dans une petite capsule sphérique de quelques millimètres de diamètre.
2. Celle-ci est ensuite placée au sein d’une structure sphérique close.
3. Plus d’une centaine de faisceaux lasers (176 lasers pour le Laser Mega Joules en France et 192 lasers pour le National Ignition Facility aux États-Unis) bombardent uniformément la capsule. L’enveloppe ceinturant la capsule de combustible monte à des températures supérieures à 20 millions de degrés. Un plasma se forme.
4. Une très forte pression s’applique sur le contenu de la capsule, vers l’intérieur, ce qui le fait exploser. La densité atteint des niveaux très élevés et les températures montent à plus de 100 millions de degrés. L’intégralité de la capsule est devenue un plasma.
5. Les réactions de fusion deutérium-tritium en hélium commencent à s’enclencher. Les dégagements de neutrons formés lors de la fusion sont récupérés dans les parois de la structure pour être exploités.
Deux possibilités existent pour bombarder la capsule de combustible, soit par voie directe, soit par voie indirecte. Dans le premier cas, une multitude de faisceaux lasers rentrent directement en contact avec la capsule de combustible. Le rayonnement des faisceaux autour de celle-ci est plus direct et plus uniforme mais la symétrie de l’implosion est moins bien contrôlée. Dans l’autre cas, la capsule est entourée d’un cylindre en or, appelé « hohlraum », de quelques centimètres. Les faisceaux traversent le cylindre par deux trous d’entrée et touchent les parois intérieures. Celles-ci chauffent et émettent des rayons X qui viennent percuter la capsule de façon homogène.
Bien que plus uniforme autour de la sphère de combustible, l’attaque indirecte subit une perte de puissance lors de la transformation en rayons X, autrement dit, elle nécessiterait plus d’énergie pour fonctionner que la première méthode.
Infographie de fusion par confinement inertiel du Laser Mégajoule, Crédit : CEA
OÙ EN EST-ON AUJOURD’HUI ?
Pour ce qui est de la fusion par confinement magnétique, les plus gros projets dans le monde sont celui d’ITER situé en France et le JT-60SA, au Japon. Ces deux réacteurs sont complémentaires dans ce domaine. Le dispositif japonais a généré son premier plasma à plus de 15 millions de degrés en octobre 2023. Il a pour objectif d’améliorer la maîtrise en amont de l’exploitation d’ITER, dont les capacités de génération de plasma sont cinq fois supérieures. En 2022, un autre tokamak au Royaume-Uni, nommé Joint European Torus (JET), avait aussi établi un record de 59 mégajoules d’énergie de fusion produite pendant 5 secondes. Installé sur le campus de l’UKAEA à Culham, JET a fêté ses 40 ans en 2023.
Concernant la fusion par confinement inertiel, les deux plus grosses installations dans le monde sont le National Ignition Facility (NIF) en Californie et le Laser MégaJoule (LMJ) en France. En décembre 2022, le laboratoire américain a réussi à générer plus d’énergie par des réactions de fusion, soit 3,15 Mégajoules, que celle nécessaire à la provoquer via les faisceaux lasers, soit 2,05 Mégajoules. Pour la première fois, la fusion par confinement inertiel a produit plus d’énergie qu’elle n’en a consommé. ■