À Fukushima : que fait-on des eaux contaminées ?
Les suites de l’accident de la centrale de Fukushima Daiichi ont généré et génèrent encore aujourd’hui des quantités importantes d’eaux contaminées. Bien que traitées puis stockées sur place, sous la forme d’eau tritiée, celle-ci ne peut y rester éternellement. Les autorités japonaises et l’exploitant Tepco ont opté pour un rejet de l’eau tritiée et une dilution dans le Pacifique, avec la validation des experts de l’AIEA. Quelles techniques ont été employées pour traiter les eaux contaminées et sont-elles sans risque pour l’Homme et l’environnement ?
Lors de l’accident de Fukushima en 2011, trois cœurs des réacteurs de la centrale ont partiellement fondu. Immédiatement, l’enjeu a été de les refroidir en injectant de l’eau de mer. Encore aujourd’hui, environ 5 mètres cubes d’eau par heure sont injectés en permanence sur les combustibles pour refroidir les coriums (mélange de combustible et de métal fondu). Mais cette eau est très contaminée. Elle doit être collectée, traitée puis entreposée sur le site.
Des volumes d’eau importants
Une grande partie de cette eau contaminée s’accumule dans les sous-sols des réacteurs. Elle a été progressivement récupérée puis stockée sur le site. Cela représente environ 1,2 million de mètres cubes dans des milliers de conteneurs sur site.
Des dispositions ont été prises pour éviter d’avoir un afflux ingérable d’eau naturelle (eau de ruissellement, pluie…) au contact des cœurs fondus et, ainsi, augmenter encore la quantité d’eau contaminée. Pour cela, la nappe phréatique en amont est pompée régulièrement pour diminuer son niveau. L’eau de pluie est récupérée puis stockée. Une barrière de sol gelé a été créée sur 2 à 3 mètres d’épaisseur autour des réacteurs accidentés pour freiner les entrées d’eau en amont et les fuites vers l’aval. Les eaux qui arrivent tout de même à passer sont retenues par un mur imperméable en aval de 800 mètres de long et descendant jusqu’à 27 mètres de profondeur. Elles sont ensuite, elles aussi, récupérées puis stockées. Les rejets en mer, non désirés, sont très faibles et leur radioactivité négligeable.
L’eau contaminée est très chargée en éléments radioactifs. Au total, on y trouve 62 radionucléides différents, les plus contraignants et persistants dans le temps étant les isotopes césium 134 et 137. On parle de demi-vie ou bien de période radioactive pour qualifier le temps nécessaire pour que la moitié des noyaux de l’isotope se désintègrent naturellement. Leurs demi-vies sont respectivement de 2,2 ans et 30,2 ans.
ALPS, la solution de traitement
Méthode de traitement par ALPS, Source : Ministère japonais de l’économie, du commerce et de l’industrie et TEPCO
L’ALPS, pour Advanced Liquid Processing System, est la technique de pompage et de filtration qui a été retenue pour traiter l’eau contaminée. Grâce à une cascade de réactions chimiques, la quasi-totalité des radionucléides est éliminée. En sortie, il ne reste que l’isotope radioactif de l’hydrogène, le tritium. C’est cette eau tritiée qui est stockée en grande quantité sur le site de Fukushima. Le fait qu’il soit présent en très faible concentration dans les eaux de Fukushima et que l’eau tritiée ait quasiment les mêmes caractéristiques chimiques que l’eau font qu’il est très difficile, voire impossible de le retirer. Néanmoins son impact sur l’environnement et sur la santé humaine est insignifiant. Dans le cas où il serait inhalé ou ingéré, il traverse simplement le corps. C’est avec une dose très élevée qu’il peut présenter un danger pour la santé. Cet isotope de l’hydrogène a en fait été produit lors du fonctionnement normal des réacteurs, comme tous les autres présents dans le monde. Depuis l’accident, il n’y a pas eu de création supplémentaire de tritium.
Plusieurs options ont été explorées pour évacuer cette eau tritiée : la dilution en mer, l’évaporation dans l’air, l’injection dans le sol, le rejet sous forme de tritium gazeux, ou la solidification des eaux en vue d’un stockage. Pour des raisons réglementaires et d’acceptation sociale, la dilution en mer a été privilégiée. Une fois traitée par la méthode ALPS, l’eau est diluée de manière à ce que la concentration en tritium atteigne des valeurs en cohérence avec les normes de rejet en mer. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande une valeur ne dépassant pas 10 000 Bq/L pour le tritium dans l’eau buvable, consommée quotidiennement. A Fukushima, la concentration ne dépasse pas 1500 Bq/L. Elle est finalement rejetée au large en mer, où les courants accentuent la dilution. En outre, le tritium ne se concentre pas dans les organismes et dans la chaîne alimentaire d’une part et il disparait rapidement à l’échelle des océans, par décroissance radioactive (demi-vie de 12,3 ans).
Infographie du dispositif de rejet des eaux contaminées de Fukushima, Source : AIEA
Dans le cas où un traitement n’a pas atteint son objectif, la partie concernée sera transformée en déchet solide puis transporté dans un site de stockage prévu pour cet effet.
L’Agence internationale de l’énergie atomique a été sollicitée pour effectuer des analyses sur la gestion de l’eau traitée et son rejet en mer. Une équipe composée de membres du personnel de l’AIEA dont 11 experts internationaux (n’agissant pas en représentants de leur pays) a été formée indépendamment du gouvernement et de Tepco. Depuis 2021, ils garantissent la transparence des opérations et vérifient que le rejet de l’eau traitée soit conforme aux normes de sûreté.
Premiers rejets
Le rejet des eaux dans l’océan pacifique s’effectue progressivement, sous forme de « lots ». Les opérations ont débuté fin août 2023. En novembre 2023, le rejet du troisième lot a été effectué. L’AIEA intervient et procède à des contrôles à toutes les étapes de rejet et effectue aussi des analyses variées à des positions stratégiques (proches de la centrale et au large). Jusqu’à présent toutes les analyses sont conformes aux normes de sûreté (<1500 becquerels par litre). A titre de comparaison, les rejets d’eau tritiée de Fukushima ne sont pas d’un ordre de grandeur différent de ce qui l’est par l’industrie nucléaire mondiale, sous contrôle strict, dans le cadre des autorisations.
Il est possible de suivre en temps réel les opérations de déversage, sur le site de l’AIEA.■