Urêka, le musée interactif de la mine d’uranium - Sfen

Urêka, le musée interactif de la mine d’uranium

Publié le 26 novembre 2019 - Mis à jour le 28 septembre 2021
ureka

© SFEN

Les mines d’uranium font partie de l’histoire de France et de ses régions. Le musée de l’uranium Urêka, situé à Bessines-sur-Gartempe en Haute-Vienne sur un ancien site minier du Limousin, s’inscrit dans une démarche de transmission. 

Au menu : histoire sociale, patrimoine régional, savoirs scientifiques sur la géologie, l’uranium et la radioactivité. Passionnant.

En 1945, Charles De Gaulle crée le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) et nomme à sa tête Frédéric Joliot-Curie [1] au poste de Haut-commissaire en 1946. Le physicien et chimiste a notamment en charge d’assurer l’approvisionnement en ressources du programme nucléaire français. La toute première étape de l’épopée uranifère consiste à trouver la matière première, de l’uranium. Pour ce faire, l’école de prospection de l’uranium est créée le 2 décembre 1945 au sein du Muséum d’histoire naturelle de Paris. La première mine d’uranium est exploitée dès 1948 à La Crouzille, où l’on trouve de la pechblende massive, un minerai extrêmement riche en uranium dont la célèbre colonne (filon) Henriette, contenant en moyenne 31,2 % d’uranium. L’école de prospection de l’uranium y est d’ailleurs délocalisée, sur la commune de Razès, en 1955, et renommée Centre international d’enseignement en prospection et valorisation des minerais radioactifs industriels (Cipra).

Soixante ans durant, 250 mines ont été exploitées en France pour une production totale de 76 000 tonnes d’uranium dont un tiers en provenance du seul Limousin. Certaines de ces mines pouvaient employer jusqu’à 1 500 personnes, comme celle de Bessines, aujourd’hui propriété d’Orano où se trouve le musée Urêka. (Le CEA exploite le minerai dès 1948. En 1976, il cède l’exploitation de ses gisements métropolitains à sa filiale la COGEMA qui devient AREVA en 2001 et Orano en 2018.)

Un lieu de mémoire

Un véritable lieu de mémoire, car cette aventure minière nationale, qui s’est achevée en 2001 avec la fermeture de la mine voisine de Jouac, menaçait de tomber dans l’oubli.

Dans un premier temps, les sites sont réaménagés et les traces du passé peu à peu effacées. « Cette disparition a été difficile à vivre pour les mineurs », comme en témoigne Bruno Guérin, responsable communication du site Orano Mining à Bessines. « Pour les anciens mineurs, il est difficile de voir leur histoire industrielle et humaine effacée du paysage, ne laissant aucune trace visible de ce que fut leur quotidien ». 

Entre la fermeture de la mine de Bessines en 1993 et le démantèlement de l’usine de traitement de l’uranium (SIMO), située sur le site, en 2001, il a fallu attendre douze années avant que le musée ouvre ses portes, en 2013.

Un espace de vie

« Énergies Limousines » : c’est le nom de l’association qui gère le musée depuis 2018 : comptant 42 adhérents de divers horizons parmi lesquels 12 guides, anciens professionnels du monde minier, le projet muséal est fondamentalement pensé comme le témoignage d’une aventure humaine. De plus, « ce modèle associatif a permis d’augmenter le nombre de visites et d’humaniser la transmission des savoirs », abonde Bruno Guérin. Le musée a notamment pris le parti de n’avoir quasiment aucun texte à lire pendant la visite. Tout se fait par des outils de médiation vidéo ou audio. Il suffit de mettre un casque sur ses oreilles ou bien encore de décrocher un téléphone pour en savoir plus sur tel objet exposé.

La vocation pédagogique du musée s’est trouvée renforcée avec la participation de professeurs de physique-chimie, de sciences de la vie et de la terre et d’histoire-géographie du département à la muséographie, afin de faire correspondre au mieux la visite avec les programmes scolaires. Des questionnaires à compléter sont disponibles pour que le jeune public puisse partir à la chasse au savoir.

Une véritable immersion

Dès la sortie du parking, le visiteur est plongé dans une véritable expérience immersive. Il faut, pour rejoindre l’entrée du musée, parcourir un tunnel jalonné de wagonnets, de granite, de néons clignotants, de poutres et tout cela dans le brouhaha des discussions de mineurs. Tout a été conçu pour retranscrire fidèlement la réalité de la mine et en faire percevoir l’atmosphère si particulière. Sur le chemin qui mène jusqu’aux portes du musée, on découvre aussi les machines utilisées dans les mines comme par exemple une foreuse-sondeuse « Longyear » capable d’effectuer des prélèvements (carottages) et des radiométries afin de trouver les parcelles de terre riche en uranium. « Les engins utilisés en travaux souterrains sont rares, car ils n’étaient pas toujours remontés à la surface lors de la fermeture d’une mine et suite à l’arrêt des pompages, beaucoup ont fini noyés dans les galeries ». 

Parvenu dans le musée, le visiteur se voit remettre une carte électronique dont il usera pour lancer les différents outils pédagogiques interactifs.

Avant cela, un film en 3D diffusé dans un vaste auditorium de 90 places revient sur les grandes dates de l’histoire du nucléaire, depuis le Big Bang jusqu’à la découverte des rayons X par Wilhelm Röntgen en passant par les philosophes « atomistes » de l’antiquité grecque.

Le circuit se poursuit par un « rendez-vous », comme si vous y étiez, avec l’équipe de prospection et ses différents outils (scintillomètre, gammamètre, outils de prélèvement, microscope, etc.).

Plus loin, un film diffuse les techniques de prospection utilisées au Niger : dans un avion volant en rase-motte est installée une bobine de pellicule argentique capable de détecter les émissions de lumière des éléments radioactifs présents au sol – dont l’uranium – sur de grands espaces. L’ambiance sonore donne le ton, les voix des mineurs accompagnent le visiteur jusqu’à la prochaine étape, le fond de la mine. 

Il faut savoir que les mineurs étaient tous sur la même fréquence radio afin de se  prévenir dans le cas d’une opération de dynamitage, et plus largement pour des raisons de sécurité. À droite de l’entrée de la descenderie, se dresse d’ailleurs une statuette de Sainte-Barbe, patronne protectrice des mineurs, pompiers et artificiers. Une fois dans la mine, on assiste à une opération de foration et de minage (dynamitage), projetée sur un fort mur de granite, minerai très répandu dans le sol de la région.


 
Les années folles du radium
Au sein du musée, on trouvera un véritable « cabinet de curiosités » composé de trois vitrines dédiées à des objets d’une époque – entre la fin du XIXe et la première moitié du XXe siècle – au cours de laquelle la radioactivité était un véritable argument de vente [3]. On peut y découvrir par exemple un emballage de beurre au radium américain, des cadrans d’horloge peints au radium ou encore des bijoux rendus phosphorescents grâce à l’oxyde d’uranium (Ouraline).
 


Le traitement de l’uranium

Une fois l’uranium extrait, vient le temps de son traitement. D’abord le concassage et le broyage, puis l’attaque acide pour récupérer un jus concentré en uranium. L’utilisation d’un solvant permet la séparation de l’uranium et des acides avant que, grâce au sulfate d’ammonium, on solidifie et précipite le précieux minerai qui, lavé, filtré et séché devient le fameux Yellow cake (ou gâteau jaune) contenant environ 75 % d’uranium naturel.

Pour le visiteur, à chaque étape de ce processus, il suffit de décrocher un des téléphones du centre de commande pour obtenir l’information souhaitée, sur l’uranium ou sur l’usine SIMO, qui en assurait le traitement de surface. Génial et vintage.

Le noyau des connaissances

Le noyau est l’espace qui rassemble à la fois des outils interactifs, comme des écrans tactiles équipés de casques audio, et une partie muséale plus classique rassemblant de nombreux outillages de mineurs : lampe frontale, scintillomètre [2], gammamètre, casque ou encore « jetons », ces plaques numérotées portées par les mineurs dont on comptabilisait le nombre en fin de journée pour s’assurer  que tous les mineurs étaient remontés du boyau.

L’espace planétaire

La visite se termine par un tour du monde des mines contemporaines d’Orano en compagnie de géologues, de mineurs, de chimistes, de techniciens en environnement.

Plus d’une centaine d’interviews ont été réalisées afin de suivre le quotidien de ces hommes et femmes, évoluant souvent dans des milieux extrêmes : Grand nord canadien, Niger, désert de Gobi… Des quizz et des données macro-économiques sont disponibles pour ravir petits et grands. À noter qu’Orano exploite aujourd’hui des mines au Niger, au Canada et au Kazakhstan, parallèlement aux prospections dans plusieurs parties du monde.


 
Les activités se diversifient
Urêka diversifie de plus en plus ses activités afin d’élargir toujours davantage son public. En plus de louer son auditorium pour des séminaires d’entreprises, le musée a accueilli dernièrement une exposition de peinture de l’artiste bessinaude Suzanne Valadon (1865-1938), qui a attiré 4 400 personnes. À la mi-octobre 2019, Urêka a également lancé un « escape game » organisé tous les vendredis soirs, les galeries de la mine devenant alors l’endroit dont il faut, à force d’indices et de réflexions, s’extraire.
 


Un site pérennisé

Le site industriel Orano de Bessines-sur-Gartempe est également une plateforme technologique et de R&D pérenne rassemblant diverses entités : Orano Med, Orano Cycle et Orano Mining.

La première, consacrée à la médecine nucléaire, produit du plomb-212 afin de mettre au point un traitement de radiothérapie interne s’attaquant directement aux cellules cancéreuses et causant le moins de dégâts collatéraux possible, contrairement à une radiothérapie externe plus invasive. Le traitement est actuellement testé aux États- Unis en coopération avec l’Institut national du cancer.

La deuxième entité, Orano Cycle, vise à entreposer de l’uranium appauvri sur le site, une matière valorisable issue de l’enrichissement de l’uranium. Enfin, Orano Mining, dès 2021, installera son Centre d’innovation en métallurgie extractive (CIME). Orano y a investi 25 millions d’euros. Le CIME est un centre de recherche qui développe des procédés de traitement et de valorisation des minerais. Le site héberge aussi le pôle Géosciences et sa documentation technique compilant 70 ans d’informations sur les explorations d’uranium faites à travers le monde, une carothèque (collection d’échantillons), un atelier de litholamellage (confection de lames minces de minerais de 30 μ d’épaisseur) et un atelier de métrologie (maintenance et calibrage des appareils de prospection).

Ce n’est pas pour rien que les équipes de l’Aprèsmines d’Orano, en charge du réaménagement et de la surveillance sécuritaire et environnementale des 246 anciens sites et chantiers miniers uranifères de France, sont basées à Bessines-sur-Gartempe, haut lieu historique et symbolique résolument tourné vers l’avenir.


Prix Nobel de chimie en 1935 avec sa femme Irène Joliot-Curie, fille de Marie et Pierre.

Détecteur de radiations comprenant un cristal scintillateur, un photomultiplicateur et un compteur. 

Voir RGN n°5 septembre-octobre 2018