Taxonomie : le nucléaire reconnu « technologie verte » par l’Europe - Sfen

Taxonomie : le nucléaire reconnu « technologie verte » par l’Europe

C’est un combat de plusieurs années entre anti et pronucléaires qui connaît son épilogue. Le Parlement européen ne s’est pas opposé à l’intégration du nucléaire dans la taxonomie européenne visant à favoriser les  Investissements dans les technologies vertes. Ce vote, en pleine crise gazière et énergétique, a reconnu l’atome comme nécessaire pour atteindre les objectifs climatiques européens.

Début juillet 2022, le Parlement devait statuer sur l’intégration ou non du gaz (sous certaines conditions) et du nucléaire au sein de la taxonomie européenne. Il s’agit, rappelons-le, d’un classement visant à faciliter le financement des activités dites « vertes », c’est-à-dire favorables à la lutte contre le réchauffement climatique et sans impact significatif sur l’environnement. Une partie des parlementaires écologistes s’est opposée à cette décision malgré le  travail en amont de la Commission pour asseoir cette intégration du nucléaire sur des bases scientifiques.

Une opposition qui a surtout été motivée par une idéologie antinucléaire. Pourtant, la Commission, à l’origine de la taxonomie, avait demandé à son propre organe scientifique, le « Joint Research Center » (JRC), d’évaluer l’impact de l’atome sur l’environnement. Ce dernier avait conclu que le nucléaire avait un impact équivalent aux autres énergies bas carbone, les énergies renouvelables. Ce travail n’a pas été pris en compte par les opposants. Pas plus que les rapports successifs du GIEC, de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) ou de l’OCDE, qui placent le nucléaire au rang des solutions indispensables à mettre en oeuvre pour lutter contre le réchauffement  climatique. Le vote d’objection à l’acte délégué1 nécessitait le soutien d’une majorité des députés européens – soit 353 sur 705 députés – et un vote très serré était attendu. Au final, 278 députés se sont opposés au projet de  taxonomie, contre 328 députés qui ont voté en faveur de l’acte délégué. Le nucléaire sera donc bien intégré à la taxonomie européenne et le texte entrera en vigueur à partir de 2023. Cela permettra de maîtriser plus facilement  le coût du capital des nombreux projets nucléaires en cours en Europe.

Faire feu de tout bois contre le CO2

« Je salue le vote du Parlement européen en faveur d’un “label vert” qui inclura le nucléaire dans la taxonomie. Nous avons besoin de toutes les énergies bas carbone pour réussir la transition énergétique », s’est félicitée Agnès Pannier-Runacher, ministre française de la Transition énergétique. Sama Bilbao y León, directrice générale de la World Nuclear Association (WNA), a également jugé que « le vote positif du Parlement européen envoie un soutien clair à l’énergie nucléaire et à la communauté financière. Il a écouté la science et a reconnu que des investissements durables dans l’énergie nucléaire aideront l’UE à atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050 ».

Pour le  directeur général de Nucleareurope (ex-Foratom), « la science indique clairement que le nucléaire est durable et essentiel dans la lutte contre le changement climatique. Il est fantastique, ajoute Yves Desbazeille, de voir qu’une  majorité du Parlement européen a décidé d’écouter les experts et de prendre la bonne décision ». Quant à Valérie Faudon, déléguée générale de la Société française d’énergie nucléaire (Sfen), elle s’est réjouie de ce qu’« une étape essentielle a été franchie : l’Union européenne aura besoin de nucléaire bas carbone aux côtés des renouvelables pour atteindre ses objectifs climatiques. Le Parlement européen a suivi sur le nucléaire l’avis des  scientifiques du JRC de la Commission ».

Toutefois, ce vote a été très fortement menacé par la crise gazière européenne qui touche l’Europe depuis dix-huit mois et qui s’est vue aggravée par la guerre en Ukraine. Or, la Commission européenne avait pris la décision de lier les destins du gaz et de l’atome dans un texte commun (le recours au gaz dans la transition énergétique étant très largement soutenu par Berlin). Une partie de l’opposition à l’acte délégué souhaitait donc éliminer le gaz de  l’équation énergétique européenne, risquant d’entraîner dans son sillage le nucléaire, pourtant première source d’électricité en Europe et première énergie bas carbone.

Des limites posées à l’atome

Si le nucléaire est désormais passé du bon côté de la taxonomie, reste que le texte qui régit son utilisation est loin d’être parfait. « Le nucléaire fait partie des technologies considérées dans la transition énergétique européenne, mais les conditions qui lui sont appliquées restent très strictes », décrypte Jessica Johnson, directrice de la communication de Nucleareurope (ex-Foratom). L’experte déplore qu’il existe une date limite pour le recours aux  technologies existantes de réacteurs, c’est-à-dire la 2e et 3e génération. Concrètement l’acte délégué impose que la prolongation des réacteurs soit décidée avant 2040 et la construction de nouveaux réacteurs avant 2045. Des  échéances qui ne sont pas réellement cohérentes avec les calendriers de renouvellement du parc nucléaire européen. Par ailleurs, il ne semble pas être fait mention, en l’état, des réacteurs de quatrième génération, à même  d’améliorer le cycle du combustible, et dont la mise en service massive sur le continent n’est prévue qu’après 2050.

Une autre incertitude concerne le stockage géologique des déchets nucléaires à haute activité et des combustibles usés. Si l’acte délégué reconnaît qu’il s’agit d’une « solution de pointe largement acceptée par la communauté d’experts du monde entier comme l’option la plus sûre et la plus durable », des dates limites sont également fixées. Il est attendu que les États membres nucléarisés exploitent de telles infrastructures d’ici à 2050. Cela ne sera pas un problème pour la France2, la Suède ou la Finlande, des pays déjà très avancés. Mais cette échéance sera impossible à tenir pour des nations qui s’engagent à peine dans cette voie, à commencer par les pays de l’Est et  en particulier la Pologne.

Autre enjeu, celui de l’utilisation obligatoire dès 2025 des Accident Tolerant Fuel (ATF), des combustibles plus résistants aux situations accidentelles. Le terme ATF ou EATF (« Enhanced Accident Tolerant Fuel ») désigne une  série d’idées, d’innovations ou d’évolutions des assemblages de combustible visant à leur conférer des propriétés intéressantes en exploitation, en situation incidentelle ou en situation accidentelle. Ces développements relèvent  de la démarche naturelle d’évolution du produit combustible. Dans une prise de position de la Sfen (éditeur de la RGN), il est indiqué que « l’utilisation des ATF ne saurait devenir une exigence dans la mesure où ce terme ne  désigne pas des technologies précisément définies » tout en explicitant que ces combustibles seront forcément utilisés in fine.

Péril sur 2050

Ces considérations limitatives à l’utilisation de l’atome mettent en péril la capacité de l’Europe à atteindre son objectif de décarbonation à l’horizon de 2050, craint Jessica Johnson. « Le problème est qu’une décision qui aurait dû être basée sur la science est devenue un objet politique. On est en train de prendre une décision politique pour un problème scientifique. Si nous ne sommes pas prêts à écouter la science aujourd’hui, nous n’atteindrons pas nos objectifs. Le nucléaire est inclus, mais avec des critères très difficiles à atteindre », explique-t-elle.

Désormais, c’est la direction financière de la Commission européenne, la DG Fisma (Financial Stability, Financial Services and Capital Markets Union) qui va devoir traduire en termes financiers l’application de la taxonomie. Il  faudra aussi attendre les conséquences des recours judiciaires annoncés par l’Autriche et le Luxembourg, peut-être soutenus par l’Espagne, le Danemark et des ONG (comme Greenpeace). Il est à noter toutefois que le poids  lourd allemand, traditionnellement antinucléaire, ne s’associera pas à ce recours.


1. L’acte délégué est un acte non législatif adopté par la Commission pour compléter ou modifier certains éléments non essentiels d’un acte législatif.

2. article « Zoom sur » de la RGN.