RTE alerte sur la sécurité d’approvisionnement en France

Le mercredi 20 novembre, RTE (Réseau de Transport d’Electricité) a publié son bilan prévisionnel 2019 de l’équilibre offre-demande d’électricité en France. Un exercice de prospective attendu qui, pour la première fois, évoque un risque réel sur la sécurité d’approvisionnement.
Un bilan prévisionnel qui « n’invente rien » et qui repose sur des hypothèses crédibles, selon les propos de François Brottes, le président de RTE. Un vocable prudent, car pendant longtemps la notion de rupture en approvisionnement électrique était « un concept théorique et inconnu du grand public ». Aujourd’hui les projections de RTE l’affirment, la réduction des marges de manœuvre pour affronter le passage de l’hiver 2022-2023 se pose sérieusement. Dans cette perspective, l’ouest de la France apparait comme particulièrement en tension.
La notion de sécurité d’approvisionnement
La sécurité d’approvisionnement est une notion définie par les pouvoirs publics et se résume à la règle des « trois heures » comme le rappelle RTE. Ceci signifie que « la durée moyenne pendant laquelle l’équilibre entre l’offre et la demande ne peut pas être assuré par les marchés de l’électricité, dans toutes les configurations modélisées par RTE, est inférieure ou égale à trois heures par an ».
Il s’agit donc d’une rupture d’approvisionnement, un évènement très différent de la simple coupure de courant. Cette dernière étant une interruption momentanée chez un consommateur particulier du fait d’un épisode exceptionnel (panne technique, incident climatique…).
Si RTE prend la peine de définir ces notions en préambule, c’est notamment parce que cette situation de risque sur la sécurité d’approvisionnement est relativement nouvelle en France. Traditionnellement en situation « surcapacitaire » grâce à son parc électronucléaire, l’Hexagone exporte environ 10 %[1] de sa production chaque année.
Demain certains facteurs peuvent converger et entrainer une situation inédite. D’une part, des moyens d’effacement et de la maitrise de la consommation individuelle limités et d’autre part une vague de grand froid (de plus en plus fréquente du fait du réchauffement climatique). En particulier, plusieurs conditions anticycloniques peuvent se traduire par une vague de froid sur l’ensemble de l’Europe conduisant à une hausse de la demande conjointement à une production renouvelable en forte baisse. Par exemple, en 2022 et 2023 la France ne serait pas capable de faire face à une vague de froid similaire à l’hiver 2012 selon les simulations. RTE peut alors en dernier recours « procéder à des coupures de consommateurs, momentanées, localisées et tournantes afin de préserver la sécurité d’alimentation du plus grand nombre ». Cette projection touche tout particulièrement l’hiver 2022-2023 et la zone Grand Ouest.
La question de la sécurité d’approvisionnement n’a que rarement été posée dans ces termes dans les débats publics sur l’énergie.
Prudence dans la fermeture des moyens pilotables
Parmi la convergence des difficulté énoncées par RTE l’un des principaux critères reste la fermeture des moyens de production pilotables en France et chez nos voisins.
En effet, RTE rappelle que c’est près de 5 GW de capacité pilotable qui vont être fermées d’ici 2022 : 1,8 GW avec l’arrêt des deux réacteurs nucléaires de Fessenheim et 3 GW de centrales au charbon. Ces baisses s’ajoutent aux 12 GW de capacités pilotables fermées en France au cours des sept dernières années (charbon et fioul). Concernant la fermeture de Fessenheim, RTE précise que la décorrélation de la fermeture de Fessenheim et de la mise en service de l’EPR de Flamanville devrait renforcer cette situation tendue en 2022 : « Il est donc certain que la capacité de production sera plus faible au cours des prochaines années. »
Mais plus encore que la situation française, c’est la stratégie de nos voisins qui inquiète le gestionnaire de transport d’électricité : « l’ensemble des pays européens se sont engagés de manière concomitante dans la fermeture de capacités de production pilotables ». En effet, l’Allemagne, la Belgique, la Suisse et l’Espagne ont annoncé la fermeture anticipée de moyens de production pilotables, nucléaire ou charbon, dans les années qui viennent, sans stratégie claire sur ce qui les remplacerait.

Source : RTE
Selon certains analystes, l’Allemagne pourrait devenir importatrice nette d’électricité à horizon 2022 après la fermeture des 9,5 GW nucléaires encore en activité et des 2,9 GW de charbon lignite et gaz.
Dans le même temps, le gestionnaire de réseau à haute tension belge Elia a tiré la sonnette d’alarme. Selon l’organisme, la période 2022-2023 risque d’être difficile. La décision du gouvernement belge de sortir du nucléaire entrainera la fermeture des premiers réacteurs nucléaires en octobre 2022. Cependant le mécanisme d’aide du gouvernement visant à la construction de nouveaux moyens de production électrique (notamment fossiles et donc en opposition avec les objectifs climatiques) n’aura pas encore pris effet à cette date. Un récent différend entre la Belgique et les Pays-Bas autour de la centrale de Maasbracht située à la frontière belgo-hollandaise illustre cette nouvelle situation de tension pour la sécurité d’approvisionnement et la relative fragilité de la solidarité européenne dans ce domaine. La Belgique a ainsi voulu raccorder son réseau électrique nationale à cette centrale, actuellement à l’arrêt, pour contribuer à pallier la sortie du nucléaire. Néanmoins la Belgique a dû essuyer un refus catégorique de son voisin. Les Pays-Bas sont aussi engagés dans un plan de fermeture de moyen de production pilotable (sortie du charbon). Le gouvernement hollandais entend donc conserver cette centrale en cas de besoin à horizon 2030.
Enfin en Suisse, selon un rapport de l’Agence internationale de l’énergie, il sera difficile de combler le vide laissé par la fermeture de centrales nucléaires tout en maintenant une production à faibles émissions de carbone et des normes de sécurité d’approvisionnement élevées.
La nécessité d’un socle d’énergie pilotable et bas carbone
De manière générale, l’histoire a montré que l’évolution du secteur énergétique est difficile à prévoir : le premier choc pétrolier dans les années 70 ou l’arrivée du gaz de schiste dans les années 2000 ainsi n’avaient pas été anticipés. Le rythme de diversification de notre mix électrique est soumis à plusieurs facteurs qu’on ne peut aujourd’hui prévoir avec précision, comme l’évolution des performances techniques et économiques des différentes technologies ou l’évolution de la demande d’électricité.
En dépit d’investissements massifs (en croissance pour atteindre 7,5 Md€ par an en 2023 selon la Cour des comptes), les énergies renouvelables ne suffisent pas à elles seules à soutenir le rythme de décarbonation nécessaire et ne peuvent contribuer que marginalement à la sécurité d’approvisionnement des français. Ainsi si RTE rappelle que le 10 février 2018, à 19h, le facteur de charge de l’éolien terrestre était à plus de 75 %, l’organisme tempère « Cette situation n’est pas généralisable et ne garantit pas la disponibilité de l’éolien sur les périodes hivernales : il existe en effet, symétriquement, des périodes où la contribution de l’éolien est très faible, avec des facteurs de charge significativement en dessous de 10 %. ». Ce fut notamment le cas la veille de la publication du rapport, le 19 novembre, où le facteur de charge de l’éolien terrestre était de 7 % à 15h30[2].
Dans les années qui viennent, la sécurité d’approvisionnement française sera assurée par la prolongation à 50 ans ou 60 ans des tranches nucléaires existantes. Cependant, à l’horizon 2040, la France peut être confrontée à un important effet-falaise, lié au calendrier historique extrêmement rapide de construction des tranches dans les années 80.

La période 2030-2035, déjà susceptible d’être une période pivot en matière de consommation électrique, est aussi une période pivot en matière de capacité disponible. Le projet PPE, qui présente une trajectoire de réduction de la part du nucléaire à 50 % du mix électrique, prévoit en effet la mise à l’arrêt définitif à partir de 2027 de 12 réacteurs de 900MW avant 2035. Post 2035, d’autres anticipations d’arrêts seront rendues nécessaire par l’effet falaise. Il est nécessaire d’intégrer cette dynamique du parc en préparant la mise en service de nouveaux moyens de production nucléaires dès le début de la décennie 2030.
Dans ce contexte, la France doit continuer à disposer de l’option nucléaire pour garantir sa sécurité d’approvisionnement, et contribuer de façon croissante à celle de ses voisins, grâce à une technologie bas carbone et pilotable.
[1] Commission de régulation de l’énergie (2017)
[2] Eco2mix