Report de l’objectif de réduction de la part du nucléaire en 2025 : point de vue d’un juriste
S’il apparaît nécessaire, par souci de sécurité juridique, de modifier l’objectif de 2025, il est possible d’attendre fin 2018 pour procéder à cette révision. Si, politiquement, cela n’était pas jugé opportun, avancer en faisant mine de respecter l’objectif désavoué, en sachant qu’il ne sera pas tenu, constituerait une stratégie risquée, principalement pour EDF.
Le 7 novembre dernier, Nicolas Hulot, ministre de la Transition écologique et solidaire, a annoncé à l’issue du Conseil des ministres qu’il serait « difficile » de tenir l’objectif de réduction de 75 % à 50 % de la part du nucléaire dans la production d’électricité à l’horizon 2025 fixé par la loi dite de transition énergétique et estimé qu’il serait plutôt atteignable en 2030, voire en 2035.
Comme on pouvait s’y attendre, cette annonce a été, d’un côté, saluée par les milieux pro-nucléaires qui se sont félicité que le ministre ait pris une décision « raisonnable » et « pragmatique » et, de l’autre, violemment critiquée par les opposants au nucléaire qui ont accusé le ministre de violer la loi.
Laissons de côté les réactions politiques qu’a suscitées cette annonce et intéressons-nous à la (seule) question juridique qu’elle soulève : le constat de l’impossibilité d’atteindre l’objectif de 2025 nécessite-t-il de modifier la loi ?
Que dit la loi de transition énergétique ?
L’article 1er de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte1 introduit dans le code de l’énergie plusieurs articles nouveaux relatifs à la politique énergétique, en particulier un article L. 100-4.I, lequel énonce : « La politique énergétique nationale a pour objectifs : […] 5° De réduire la part du nucléaire dans la production d’électricité à 50 % à l’horizon 2025 ».
Quand le ministre en charge de l’énergie annonce qu’il sera(it) difficile d’atteindre cet objectif et qu’il ne pourrait être atteint que 5 ou 10 ans plus tard, il reconnaît certes, ou estime, qu’une disposition
du Code de l’énergie ne pourra pas être respectée. Mais ce faisant, il ne la viole pas stricto sensu, la non-atteinte de l’objectif ne pouvant logiquement être constatée qu’à la date indiquée ; il prépare à
sa non-application.
La question de droit qui est posée en l’occurrence est celle de la portée normative d’un objectif de politique gouvernementale. La question ne se poserait pas de la même manière si cet objectif n’avait pas été fixé par une loi (au surplus codifiée). Comme dans de nombreuses lois de programme ou de programmation analogues à la loi dite Grenelle I2, qui formalise les 268 engagements du Grenelle de l’environnement, l’énoncé d’objectifs ressort de la compétence législative, ou plutôt peut y entrer quand le législateur s’en empare. La logique voudrait qu’on modifie l’objectif, reconnu comme non atteignable, par un vecteur de la même nature que celle de l’outil d’énonciation. Mais, en droit, il en est évidemment autrement pour ce qui concerne l’énoncé d’un objectif : aucune sanction ne saurait frapper le gouvernement s’il ne respecte pas cet objectif, que ce soit silencieusement ou avec force publicité, hors évidemment l’engagement de sa responsabilité politique – que l’on peut difficilement voir se réaliser dans le contexte actuel. On peut d’ailleurs observer que nos lois sont de vrais cimetières d’objectifs déchus, sans que le législateur ait senti le besoin de remettre en chantier leur énoncé pour le corriger.
La seule différence pour ce qui concerne la loi de transition énergétique vient de ce que l’objectif de 2025 ne peut être lu séparément de son contexte, et que dans le même texte, on ne compte pas moins de sept articles pour lesquels cet objectif induit potentiellement des conséquences, si bien que le modifier conduit en réalité à changer des dispositions de fond portant application de la loi.
Dans l’ordre des articles de la loi :
- L’article 40 prévoit une « stratégie pour le développement de la mobilité propre », qui ne sera, évidemment, pas rythmée de la même manière selon que des calendriers énergétiques pourront
ou pas être tenus. L’impact est ici potentiel et partiel.
- L’article 64 prévoit l’adoption d’un « plan national de réduction des émissions de polluants atmosphériques », qui ne sera pas élaboré de la même manière s’il doit y avoir réduction immédiate
de la part du nucléaire ou si du temps supplémentaire est donné à la transition du charbon à d’autres sources énergétiques alternatives au nucléaire.
- L’article 175 prévoit l’adoption d’une « stratégie nationale de mobilisation de la biomasse », qui, nécessairement, pourrait être étalée sur une plus longue durée tant que les centrales nucléaires demeurent les fournisseurs essentiels d’électricité.
- L’article 176 prévoit l’adoption d’une « programmation pluriannuelle de l’énergie » (PPE), fixée par décret [3], afin d’atteindre, sur deux périodes successives, les objectifs définis notamment à l’article L. 100-4 du code de l’énergie. Il est clair que cette programmation ne pourra pas être la même selon que l’objectif contesté pourra ou pas être respecté, son contenu étant logiquement impacté par une plus grande urgence s’il devait ou pouvait l’être.
- L’article 187 prévoit l’obligation pour EDF d’établir un « plan stratégique », présentant les actions qu’il s’engage à mettre en oeuvre pour respecter les objectifs de sécurité d’approvisionnement et de diversification de la production d’électricité fixés dans la première période de la PPE. En application de cette disposition, l’article 12 du décret précité relatif à la PPE dispose que « conformément à l’article L.311-5-7 du code de l’énergie, dans un délai maximal de six mois à compter de la publication du présent décret, Électricité de France établit un plan stratégique compatible avec les orientations de la programmation pluriannuelle de l’énergie qui fixe l’objectif de réduire la part du nucléaire à 50 % de la production d’électricité à l’horizon 2025. » Ce plan stratégique serait évidemment profondément différent si l’objectif de 2025 ne figurait plus dans la PPE, puisque EDF pourrait sans difficulté étaler dans le temps ses obligations comptables de provisionnement et ses prévisions d’investissement alternatif.
- Accessoirement, seraient également concernés mais dans une moindre mesure : l’article 182 qui prévoit la mise en place d’un « plan de programmation de l’emploi et des compétences » tenant compte des orientations fixées par la PPE, et l’article 183 obligeant les ministres chargés de l’énergie et de la recherche à arrêter et rendre publique une « stratégie nationale de la recherche énergétique » fondée sur les objectifs définis par la loi.
Dès lors, faut-il modifier la loi ? Et quand ?
Compte tenu des liens existant entre l’objectif de 2025 et d’autres dispositions clairement normatives, il serait non seulement logique, mais aussi inévitable juridiquement de modifier la loi. Modifier seulement le décret de 2016 relatif à la PPE (en supprimant la fin de phrase de l’article 12, « qui fixe l’objectif de réduire la part du nucléaire à 50 % de la production d’électricité à l’horizon 2025 ») pour permettre à EDF d’adapter son plan stratégique, alors que ce plan doit être compatible avecles orientations de la PPE, dont la version pour 2016-2018 fixe clairement l’objectif de réduction de la part du nucléaire à 50 % en 2025, risquerait d’offrir une occasion de contentieux à ceux qui ont mal reçu l’annonce ministérielle.
En fait, la loi de transition énergétique prévoit elle-même une procédure de révision. Le II de l’article L. 100-4 dispose en effet que « L’atteinte des objectifs définis au I [dont celui de la réduction de la part du nucléaire en 2025] fait l’objet d’un rapport au Parlement déposé dans les six mois précédant l’échéance d’une période de la programmation pluriannuelle de l’énergie […] ». Il ajoute que « le rapport et l’évaluation des politiques publiques engagées en application du présent titre peuvent conduire à la révision des objectifs de long terme définis au I […] ». La première période de la première PPE s’achevant en 2018, conformément à l’article L.141-3 du code de l’énergie, on peut donc envisager de ne pas modifier la loi immédiatement, mais de le faire avant la seconde période, soit avant fin 2018, ou au pire – au prix d’une réécriture rapide début 2019 de ce plan stratégique – au premier trimestre 2019.
On remarquera toutefois, sur le plan juridique, que cette modification, pour inévitable qu’elle puisse paraître, pourrait se voir reprocher de violer le principe de non-régression [4], figurant désormais parmi les principes généraux du droit de l’environnement. Il est vrai que celui-ci n’a qu’une valeur législative et que ce qu’a fait une loi peut être défait par une autre… Sauf si le Conseil constitutionnel, qui sera sans doute saisi par un biais ou un autre, qualifiait ce principe de principe ayant valeur constitutionnelle.
La modification de l’objectif de 2025 aurait-elle d’autres conséquences ?
S’il apparaît logique et nécessaire de modifier l’objectif de 2025, cette modification ne saurait toutefois entraîner la remise en cause de l’objectif de 23 % de la part des énergies renouvelables à l’horizon 2020, qui figure également à l’article L. 100-4.I du code de l’énergie, lequel prévoit, parmi les objectifs de la politique énergétique : « de porter la part des énergies renouvelables à 23 % de la consommation finale brute d’énergie en 2020 et à 32 % de cette consommation en 2030 ; à cette date, pour parvenir à cet objectif, les énergies renouvelables doivent représenter 40 % de la production d’électricité, 38 % de la consommation finale de chaleur, 15 % de la consommation finale de carburant et 10 % de la consommation de gaz ».
Cet objectif est imposé à la France par la directive 2009/28 du 23 avril 2009 relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables (Annexe I.A) [5]. Il est clair qu’il est donc contraignant puisqu’il constitue un engagement de la France vis-à-vis des autres membres de l’Union européenne et que, malgré les difficultés de configuration qu’il présenterait, un contentieux pourrait être initié avec des chances de succès.
Crédit photo : Arnaud Boussou – TERRA
Légende : En 2015, Ségolène Royal fait voter la loi sur la transition énergétique pour la croissance verte, laquelle prévoit une réduction de la part du nucléaire en 2025. Deux ans après, son successeur, Nicolas Hulot, annonce que cet objectif est inatteignable et reporte l’échéance.
Loi n° 2015-992 du 17 août 2015.
Loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l’environnement.
Aujourd’hui, le décret n° 2016-1442 du 27 octobre 2016 relatif à la programmation pluriannuelle de l’énergie.
Principe introduit dans l’article L. 110-1 du code de l’environnement par la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, selon lequel : « la protection de l’environnement, assurée par les dispositions législatives et réglementaires relatives à l’environnement, ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment ».
Directive 2009/28/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables et modifiant puis abrogeant les directives 2001/77/CE et 2003/30/CE.