Un nouveau regard sur la gestion des déchets nucléaires
Francis Sorin, conseiller à la SFEN après en avoir été directeur du Pôle Information et membre, de 2008 à 2014, du Haut Comité pour la Transparence et l’Information sur la Sécurité Nucléaire (HCTISN) publie en octobre 2015 un livre destiné au grand public sur les déchets nucléaires : « Déchets nucléaires : où est le problème ? ».
Pourquoi un nouveau livre sur les déchets ?
Francis Sorin : Parce que la question des déchets est un problème déterminant auquel est confrontée l’industrie nucléaire et qu’il est assez stupéfiant de constater à quel point les opinions peuvent diverger sur le sujet ! Beaucoup de nos compatriotes se représentent ces déchets comme un fardeau empoisonné ingérable qui va menacer la santé des générations futures.
D’un autre côté, la plupart des scientifiques, des ingénieurs estiment que ces déchets peuvent être conditionnés et stockés tout à fait correctement et qu’ils ne nuiront en rien à la santé de nos descendants.
Alors qu’en est-il ? Où est le problème ? J’ai écrit ce livre pour essayer de répondre à cette interrogation. Il s’adresse aux non-spécialistes. J’essaye de montrer très concrètement ce que sont ces déchets, en quoi et jusqu’où leur radioactivité est une menace, comment on les conditionne et on les stocke pour s’en protéger efficacement, dans la période présente et sur le long terme. Je traite principalement des déchets les plus dangereux.
Le débat sur les déchets nucléaires est déjà ancien. A-t-il évolué au cours du temps ?
FS : J’ai participé aux deux débats nationaux sur les déchets organisés en 2005 et 2013. Entre les professionnels du secteur et certains opposants au nucléaire connaissant bien le dossier, les débats ont gagné en technicité et peuvent être parfois constructifs.
Mais les positions de fond n’évoluent guère. Il faut bien constater et regretter que beaucoup d’idées reçues circulent encore sur ces questions et que les proclamations d’un alarmisme outrancier sont légion !
Je décortique tout cela en notant un fait majeur : le mouvement anti-nucléaire français a fait du thème des déchets radioactifs ingérables un des piliers de son argumentation. Il ne peut pas admettre qu’il puisse y avoir de bonnes solutions à la gestion des déchets nucléaires, car cela le priverait de son principal argument. Donc il continue de nourrir ce climat alarmiste, même si cela n’apparait pas du tout justifié.
On quitte le domaine technique pour aborder la politique. Les déchets sont-ils un problème de société ?
FS : C’est évident. Je commente dans mon livre ce que j’appelle « la querelle des déchets » qui est véritablement un phénomène politique dépassant les considérations purement scientifique et technologique. La confrontation se déploie sur quelques thèmes de prédilection et notamment le temps et les générations futures. Parce que l’on raisonne ici sur des horizons temporels qui donnent le vertige. Et d’un point de vue éthique, on n’échappe pas à l’interrogation fondamentale à laquelle toute communauté humaine est confrontée : pour parvenir à tel ou tel résultat jugé indispensable – ici en l’occurrence c’est l’obtention d’électricité – quel est le système le moins pénalisant ? On en vient donc nécessairement à des comparaisons entre les différentes sources d’énergie et les déchets qu’elles produisent. C’est pourquoi il faut élargir la réflexion sur les déchets nucléaires et avoir à l’esprit qu’ils sont la résultante d’un processus électrogène qui a par ailleurs de grands avantages. Quand on replace les choses dans ce contexte global, la vision que l’on a des déchets nucléaires est modifiée. Sur ces questions, c’est la société qui a son mot à dire et les décisions à prendre, en fonction des considérations techniques, bien sûr mais aussi de ses valeurs, de son ressenti.
Qu’est-ce qui justifie votre confiance dans la gestion des déchets les plus dangereux et dans le stockage géologique avec le projet Cigéo ?
FS : Le dispositif Cigéo dans lequel on prévoit de confiner ces déchets – barrières artificielles et barrière naturelle formée par la couche géologique – reste efficace bien après que les déchets soient revenus à des niveaux de radioactivité négligeables. C’est une conclusion majeure qui repose sur des démonstrations convaincantes. Même dans le cas de scénarios altérés, l’impact en surface d’un tel stockage souterrain se révèlerait très limité.
J’explicite ces questions assez longuement dans mon livre et je souligne à quel point peuvent être outrancières et absurdes certaines proclamations que l’on entend de la part des militants anti-nucléaires selon lesquels ce stockage géologique serait, je cite : « un crime contre les générations futures » ! Il n’en est rien et au contraire, on ne peut que relever le consensus entre experts français et étrangers pour établir que ce type de stockage est le plus adapté et qu’il ne devrait imposer à nos descendants aucune nuisance inacceptable. Je pense qu’un tel consensus international est un gage solide de crédibilité et conforte la confiance que l’on peut avoir dans le projet.
Pourra-t-on un jour débattre sereinement de ces questions ?
FS : Ce serait vraiment positif d’avoir sur ces sujets complexes des échanges constructifs où on arrête de brandir des fantasmes et de lancer des anathèmes ! On devrait pouvoir en débattre de façon apaisée. C’est parfois le cas, lorsque les interlocuteurs laissent l’idéologie au vestiaire et discutent sans arrière-pensées sur les réalités des dossiers. De tels échanges se sont esquissés lors du dernier débat officiel. Il faut souhaiter que ces moments constructifs se multiplient. Je serais content si mon livre pouvait y aider.
Déchets nucléaires : où est le problème ?
Auteur : Francis Sorin
EDP Sciences – Collection : Hors Collection – Octobre 2015