Rafael Grossi (AIEA) appelle les banques de développement à financer le nucléaire

Dans la perspective du premier sommet pour l’énergie nucléaire tenu le 21 mars prochain à Bruxelles, où il sera notamment question du financement du nucléaire, Raphaël Grossi (AIEA) appelle dans un entretien accordé au Financial Times les banques de développement européenne (et asiatique) à mettre à jour leur logiciel en matières nucléaires.
En marge de la conférence de presse donnée à l’occasion du Conseil des gouverneurs tenu le 4 mars au siège de l’AIEA à Vienne, Rafael Grossi a donné une interview au journal économique le Financial Times (FT) dans laquelle il revient sur le rôle pivot des banques de développement pour le financement des nouveaux projets nucléaires.
C’est aujourd’hui un truisme que martèle pourtant le diplomate en réponse aux freins politiques, notamment de la part des pays européens (Allemagne en tête), d’amorcer des prises de participation financière de la Banque d’investissement européenne (BEI) dans des projets nucléaires : les enjeux de financement du nucléaire sont de tout premier ordre pour le développement des réacteurs dans le monde et donc l’atteinte des objectifs climatiques. « Toutes ces banques de développement ou institutions financières internationales sont dépassées, en décalage par rapport à ce qui se passe », indique Rafael Grossi au FT.
Berlin s’appuie notamment sur cette rhétorique du jeu à somme nulle dont il a été montré pour d’autres secteurs qu’elle est infondée scientifiquement[1]. Cette rhétorique va ainsi : « les infrastructures énergétiques sont en compétition pour la même enveloppe de capital ; financer du nucléaire reviendrait à rediriger les flux de capitaux d’investissements dans l’hydrogène vert par exemple ». Un discours qui omet en outre les multiples co-usages que permettent les technologies nucléaires pour d’autres aspects de la transition énergétique (chaleur ou hydrogène).
Une séquence politique favorable au nucléaire
Une séquence politique favorable au nucléaire s’est ouverte depuis janvier dernier. En particulier, la passation de la présidence de la BEI de l’homme politique allemand Werner Hoyer ouvertement opposé au nucléaire malgré son inclusion dans la taxonomie européenne, à la femme politique espagnole Nadia Calviño. Cette dernière, malgré la fermeture de la dernière centrale d’ici 2035 annoncé par le gouvernement espagnol (son ancien employeur) en décembre dernier, affiche une posture plutôt pronucléaire. Elle déclarait ainsi au FT que la banque devait s’assurer de pas être « à la traîne » en ce qui concerne les nouvelles technologies de réacteurs telles que les petits réacteurs modulaires.
Officiellement, le nucléaire fait partie du portefeuille d’activité éligible aux investissements de la BEI. Officieusement, malgré un bilan de plus de 500 milliards d’euros[2], la BEI a impeccablement évité d’investir dans de nouveaux projets nucléaires depuis 1987. En (possible) cause, le processus de prise de décisions de la BEI qui peut nécessiter l’unanimité des États membres[3].
Le 21 mars se tiendra à Bruxelles le premier « Sommet pour l’énergie nucléaire » co-présidé par le premier ministre belge Alexandre De Croo et Rafael Grossi. Lors de la conférence de presse, le directeur de l’AIEA s’interrogeant sur les mécanismes de coopération entre États annonçait : « Nous avons de grandes attentes à l’égard de ce sommet ». Et de prolonger sa volonté politique dans le FT : « Nous devons avoir une discussion… [le financement du nucléaire] est au cœur de l’économie, de l’emploi et de la compétitivité de l’Europe ».
Le retour de la souveraineté
Des enjeux commerciaux à l’export et d’hégémonie industrielle dans le monde vis-à-vis des concurrents chinois et russes ont bien été identifiés par de nombreux législateurs aux États-Unis. Sans même se lancer dans l’arène de la compétition internationale, une politique souverainiste dans une UE intégrée sur des technologies critiques comme le nucléaire devrait mettre en cohérence les leviers de financement à disposition avec les politiques énergétiques des États membres, notamment en Europe de l’Est où les pays, plus faibles économiquement, constituent des terrains de développement pour les industriels extra-européens offrant des schémas de financement très avantageux (Paks 2 par exemple). ■
Par Ilyas Hanine (Sfen)
Photo : Rafael Grossi, Directeur général de l’AIEA – ©AIEA
[1] Levine, J. (2013). Is Bus Versus Rail Investment a Zero-Sum Game? Journal of the American Planning Association, 79, 15 – 5.
[2] L’AIEA estime les besoins d’investissement dans le nucléaire à 100 milliards de dollars d’ici 2030 (50 milliards en 2022) pour l’atteinte des objectifs, probablement trop optimistes, de l’accord de Paris.
[3] Banque européenne d’investissement, « La gouvernance de la Banque européenne d’investissement »