Que reste-t-il du nucléaire allemand ? - Sfen

Que reste-t-il du nucléaire allemand ?

Publié le 17 juillet 2023 - Mis à jour le 25 juillet 2023

Article publié dans la Revue Générale Nucléaire ÉTÉ 2023 #2

Le samedi 15 avril 2023, l’Allemagne fermait ses trois derniers réacteurs nucléaires, qui représentaient 6 % de la production électrique du pays en 2022. Pourtant, le pays  dispose encore de réacteurs de recherche et d’usines de production de combustible. Plus encore, notre voisin reste actif dans la recherche sur la fusion nucléaire.

En Allemagne, le nucléaire a représenté jusqu’à 30 % de la production électrique pendant la décennie 1990-2000, soit 150 à 170 TWh produits par 17 réacteurs. Cette part a fortement décliné à partir de 2011 jusqu’à la fermeture des dernières unités le 15 avril 2023. Désormais, plus un seul électron du réseau électrique européen n’est produit par les centrales nucléaires allemandes. Néanmoins, la Loi atomique (Atomgesetz) n’interdit pas les activités en lien avec la fabrication de combustibles nucléaires ou  l’exploitation de réacteurs de recherche. Elle n’empêche pas non plus de mener des recherches sur la gestion des déchets nucléaires, en radiologie ou en sûreté nucléaire1. L’Allemagne reste également active dans le domaine de la fusion nucléaire.

La fin de l’électronucléaire 2002-2023

C’est avec l’élection en 1998 de Gerhard Schröder et l’arrivée au pouvoir d’une coalition entre le SPD (Parti social démocrate) et l’Alliance 90/Les Verts (Grünen) que s’amorça la sortie du nucléaire actée en 2002 par un amendement de la Loi atomique. Négocié avec les exploitants, l’amendement ne stipulait pas de date butoir pour l’arrêt des réacteurs, mais interdisait l’octroi d’autorisations pour la construction et l’exploitation de centrales ou d’usines de retraitement. Pour les réacteurs en exploitation, un minimum de production était garanti à travers la distribution de quotas correspondant à une durée d’exploitation moyenne de 32 ans. De nouveaux quotas furent attribués aux exploitations en 2010 dans un sursaut politique en faveur du nucléaire. Mais ce court élan fut douché par l’accident nucléaire de Fukushima qui provoqua un important « coup de volant » de la politique énergétique allemande.

En effet, le 13e amendement à la Loi atomique de 2011 décida la fermeture immédiate de huit réacteurs et le retour des quotas de production électrique pour les neuf autres. Des quotas toutefois restés inatteignables jusqu’à la date butoir de 2022. Les conditions de ce revirement brutal opposèrent d’ailleurs les énergéticiens au gouvernement dans une bataille judiciaire qui s’est soldée par un accord en 2021 avec diverses compensations, dont environ 2,3 milliards d’euros pour les quotas d’électricité non consommés2.

L’échéance de 2022 fut finalement légèrement repoussée dans un contexte de crise énergétique où le gouvernement allemand, au pied du mur, autorisa l’exploitation de trois réacteurs nucléaires jusqu’au 15 avril 2023. Une échéance qui, selon les sondages, a divisé les Allemands (voir encadré).

Size doesn’t matter ?

À la différence de son voisin belge, qui mène aussi de longue date une politique de sortie du nucléaire, l’Allemagne ne semble pas séduite non plus par les petits réacteurs modulaires. En effet, le gouvernement belge a octroyé en mai 2022 un budget de 100 millions d’euros au Centre d’étude nucléaire (SCKCEN) pour étudier les SMR. Une porte ouverte qui contraste avec la position du ministère fédéral allemand de l’Environnement, de la Protection de la nature, de la Sûreté nucléaire et de la Protection des consommateurs qui, dans un document de mars 20213, déclarait que : « Les SMR [n’étaient] pas une voie d’avenir, mais un pas dans la mauvaise direction. […] Nous sommes opposés à ce type de concept et nous ne les considérons pas éligibles à un financement ».

Les énergéticiens voués à disparaître

Les centrales étant toutes à l’arrêt, les quatre énergéticiens (E.on, RWE, EnBW et Vattenfall) sont aujourd’hui en charge de la fermeture et du démantèlement ainsi que de l’empaquetage des déchets. Depuis 2017, et l’entrée en vigueur de la Loi de réorganisation de la responsabilité de la gestion des déchets nucléaires, l’État assume par  ailleurs la responsabilité de la gestion et du financement de l’entreposage et du stockage définitif des déchets radioactifs. Le financement se base sur un fonds public (Kenfo) dans lequel les énergéticiens avaient versé en 2017 environ 24 milliards d’euros, une somme couvrant le risque d’une dérive budgétaire. Les filiales nucléaires de ces énergéticiens sont naturellement vouées à disparaître une fois ces dernières opérations achevées.

Deux industriels du combustible sur le territoire

Le pays compte encore deux installations en lien avec la production de combustible nucléaire. La première est l’usine d’enrichissement de l’uranium située à Gronau, dans le nord-ouest du pays qui est exploitée par Urenco4, l’un des géants de l’enrichissement de l’uranium. La seconde est détenue par Framatome. Située en Basse-Saxe, l’usine Advanced Nuclear Fuels (ANF) GmbH de Lingen fabrique des crayons et des assemblages de combustible pour les réacteurs du monde entier. Elle fournit également les composants et les matières premières destinés aux usines de fabrication de combustible de Framatome implantées aux États-Unis et en Europe. Elle compte 400 salariés5.

Plusieurs réacteurs de recherche en exploitation

Outre les quatre réacteurs de puissance nulle (destinés à la formation) – l’AKR-2 à Dresden et trois SURs (Siemens Training Reactors) à Stuttgart, Furtwangen et Ulm –, deux réacteurs de recherche sont encore en service. Le FRM-II (50 MWt), en exploitation depuis 2005 à l’Université technique de Munich, produit des neutrons pendant quatre cycles de 60 jours par an avec, par ailleurs, 30 % de ce temps alloué à l’industrie (électronique, médecine, etc.). Le second est le réacteur TRIGA (TRaining, Isotope, General Atomics) situé à l’Université de Johannes-Gutenberg de Mayence. D’une puissance de 100 KWt, il peut atteindre une puissance de 250 MW pendant un court laps de temps en opération « pulsée ».

Feu vert pour la fusion ?

L’Allemagne poursuit ses recherches sur la fusion qui, par rapport à la fission nucléaire, ne comporte pas de risque d’accident grave et ne produit pas de déchets nucléaires de haute activité à vie longue. L’Allemagne reste d’ailleurs partie prenante du projet Iter en construction à Cadarache dans le département des Bouches-du-Rhône. Le pays peut aussi s’appuyer sur l’Institut de physique des plasmas Max Planck à Greifswald, au nordest du pays, qui accueille le Wendelstein 7-X, le plus grand stellarator6 au monde, en service depuis 2015. Enfin, de nouveaux acteurs comme Gauss Fusion (confinement magnétique) ou Marvel Fusion (fusion inertielle) souhaitent se développer dans le domaine. Marvel Fusion est en partenariat avec Siemens Energy, Thales et Trumpf. Gauss Fusion bénéficie notamment du soutien du Français Alcen, de l’Italien ASG Superconductors, mais aussi des Allemands Bruker et RI Research Instruments et de deux importants centres de recherche.

La fusion nucléaire semble bénéficier du soutien du gouvernement, en témoigne le symposium organisé le 5 juin dernier par le ministère de l’Éducation et de la Recherche et la Fédération de l’industrie allemande (BDI). La publication d’une stratégie gouvernementale sur le sujet est même attendue pour fin juin7. « Au regard des défis qui nous attendent, nous devons être ouverts à toutes les technologies », a notamment déclaré la ministre fédérale de la Recherche et de l’Éducation, Bettina Stark-Watzinger (PLD). Une déclaration qui, si elle devait inclure la fission nucléaire, ne serait très probablement pas partagée de l’écologiste (Grünen) Robert Habeck à la tête du ministère de l’Économie et du Climat.


1. Voir Hartmut Lauer, Blog Allemagne Énergies [en ligne].
2. Ibid.
3. « 12-point plan to complete the nuclear phase-out. The position of the Federal Environment Ministry » [en ligne].
4. L’entreprise est présente en Allemagne, au Royaume-Uni et aux Pays-Bas.
5. Site Framatome.
6. Les stellarators (confinement magnétique) présentent l’avantage d’être plus stables que les tokamaks, bien que plus difficiles à construire.
7. ITER Newsline, « Fusion on the agenda in Berlin », 12 juin 2023 [en ligne].
8. ARD — Deutschland Trend, échantillonnage aléatoire, 1 204 répondants (707 entretiens téléphoniques et 497 en ligne).

 

 

Par Gaïc Le Gros, Sfen

Photo I Shutterstock / Annabell Gsoedl