Que dit le Giec sur le rôle du nucléaire ? Valérie Masson-Delmotte fait le point

Il fallait l’avoir vu ! Sur Twitter, la coprésidente du groupe de travail n°1 du Giec a produit une longue explication sur la place du nucléaire dans l’atténuation du changement climatique. En tant qu’énergie bas carbone, l’atome doit prendre sa place dans le mix à venir. Pour ce faire, les projets nucléaires doivent relever les défis de maîtrise des coûts et des délais de construction.
L’une des principales figures françaises sur le climat, Valérie Masson-Delmotte, directrice de recherche au CEA et coprésidente du groupe 1 du Giec depuis 2015, est très active sur les réseaux sociaux. Elle produit régulièrement de longues séries de messages sur Twitter afin de faire le point sur des enjeux scientifiques et de mieux comprendre les rapports du Giec, parfois mal interprétés. Le 13 juillet dernier, la paléoclimatologue a réalisé ce travail sur le sujet du nucléaire. Elle a en particulier expliqué les travaux contenus dans le rapport du Giec de 2022 sur l’atténuation.
🔎 Quelle est l’évaluation du récent rapport du GIEC sur le nucléaire et sa contribution à l’action climatique ?
C’est parti, 🧵⬇️
1/…— Dr Valérie Masson-Delmotte (@valmasdel) July 13, 2023
Après avoir rappelé l’importance de l’électricité dans la décarbonation elle rappelle que « sont considérées comme énergie bas carbone les renouvelables (biomasse, solaire, vent, hydro, géothermie, océan), le nucléaire, et les énergies fossiles avec captage et stockage ». Toutes voient leur production augmenter, avec par exemple +8,6 % entre 2015 et 2020 pour le nucléaire (10 % de production mondiale).
Plusieurs solutions à mener de front
La scientifique rappelle qu’un monde neutre en carbone en 2050 demande une réallocation des investissements des fossiles vers « vers les renouvelables, le nucléaire, le captage et stockage, les réseaux et le stockage d’électricité, et l’efficacité énergétique ». Elle poste alors un graphique important du rapport qui a été mal interprété à de nombreuses reprises. Il montre toutes les solutions utiles à l’atténuation avec des niveaux de contributions différents.
et vers les renouvelables, le nucléaire, le captage et stockage, les réseaux et le stockage d’électricité, et l’efficacité énergétique.
La fig. illustre le potentiel à horizon 2030.
19/… pic.twitter.com/E8MzgpeeVR— Dr Valérie Masson-Delmotte (@valmasdel) July 13, 2023
Valérie Masson-Delmotte rappelle: « Évidemment, le potentiel d’extension des sources de production d’électricité bas carbone (nucléaire, renouvelables, bioénergie) dépend des contextes, et des ressources disponibles ». Elle rappelle que les coûts du nucléaire ont crû et que l’accident de Fukushima a annulé ou retardé certains programmes. Elle ajoute d’ailleurs : « Le chapitre dédié à l’énergie nucléaire montre la capacité à produire de l’énergie bas carbone à grande échelle. Cela demande d’améliorer la construction des réacteurs pour tenir les coûts ».
Ressources et durée de vie
Pour ce qui est de la ressource en uranium, elle précise qu’il ne s’agit pas d’une limite au déploiement de l’atome : « il y a suffisamment de ressources pour augmenter de manière substantielle le déploiement du nucléaire. Les estimations de ressources en uranium ont été revues à la hausse et pourraient couvrir 130 années au niveau actuel d’utilisation ». Elle évoque aussi le multiusage de l’atome : « Différentes options sont possibles pour les technologies nucléaires de 2030 à 2050, et le nucléaire peut aussi être utilisé pour produire de l’hydrogène bas carbone, ou dessaler l’eau de mer pour produire de l’eau potable ».
L’exploitation à long terme du parc nucléaire existant semble également globalement acquise : « La durée de vie initialement prévue était généralement de 30-40 ans, mais les études d’ingénierie montrent que les réacteurs peuvent opérer de manière sûre plus longtemps (typiquement 10-20 ans) grâce à de la maintenance ou du renouvellement de composants clés ». En réalité, des durées d’opération à 60 ou 80 ans sont déjà très sérieusement engagées, en particulier aux États-Unis.
La durée de vie initialement prévue était généralement de 30-40 ans, mais les études d’ingénierie montrent que les réacteurs peuvent opérer de manière sûre plus longtemps (typiquement 10-20 ans) grâce à de la maintenance ou du renouvellement de composants clés.
39/…— Dr Valérie Masson-Delmotte (@valmasdel) July 13, 2023
Multiples intérêts environnementaux
Elle insiste aussi sur le déploiement à venir des SMR et des AMR (Advanced modular reactor) dont les coûts devraient rapidement baisser et présenter des coûts de construction optimisés. Outre l’intérêt climatique, Valérie Masson Delmotte évoque les autres intérêts environnementaux du nucléaire : « Sur les analyses en cycle de vie, le nucléaire présente une empreinte au sol limitée, et une faible quantité de certains matériaux par unité d’énergie produite ».
Sur les analyses en cycle de vie, le nucléaire présente une empreinte au sol limitée,
50/… pic.twitter.com/126enZwkpf— Dr Valérie Masson-Delmotte (@valmasdel) July 13, 2023
Après avoir évoqué les enjeux liés à l’eau et au financement, la scientifique valorise la complémentarité des renouvelables et de l’atome : « La baisse du coût des renouvelables et la capacité à les installer rapidement est une opportunité, en complément des investissements pour maintenir une ligne de base nucléaire (durée de vie et nouvelles centrales) ».
La baisse du coût des renouvelables et la capacité à les installer rapidement est une opportunité, en complément des investissements pour maintenir une ligne de base nucléaire (durée de vie et nouvelles centrales).
74/…— Dr Valérie Masson-Delmotte (@valmasdel) July 13, 2023
Plus loin, elle ajoute : « À mon sens, la priorité, dans les prochaines décennies, du fait des risques liés au changement climatique et des enjeux d’approvisionnement énergétique, est de sortir le plus rapidement de l’utilisation des énergies fossiles en préservant les écosystèmes et la biodiversité. Pour cela, le nucléaire est l’un des leviers d’action, et l’enjeu est de construire la meilleure séquence et combinaison de ces leviers d’action, au cours du temps (emplois, économie, compétences…) ». ■