Production nucléaire et biodiversité : quels sont les impacts ?
La question de la biodiversité, inextricablement liée à celle du climat, occupe une place de plus en plus importante dans le débat public. L’artificialisation des sols et l’utilisation de l’eau induites par les infrastructures du système électrique doivent, au même titre que les émissions de gaz à effet de serre (GES), être documentées lors du choix d’un mix de production.
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La filière nucléaire a une empreinte au sol comparable à celle des centrales fossiles et plus faible, en moyenne, que les énergies renouvelables (EnR). Lorsqu’on intègre les impacts indirects des émissions de GES sur la biodiversité, le nucléaire est même plus avantageux que les centrales fossiles. Concernant l’utilisation de l’eau, la filière nucléaire est soumise à une réglementation et un contrôle stricts. Les rejets chimiques ou radioactifs ne sont pas aujourd’hui une menace pour la biodiversité et restent largement en dessous des seuils fixés par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN).
La biodiversité, de quoi parle-t-on ?
La biodiversité est définie dans l’article 2 de la Convention sur la diversité biologique, adopté lors du sommet de la Terre à Rio de Janeiro en 1992, comme la « variabilité des organismes vivants de toute origine y compris, entre autres, les écosystèmes terrestres, marins et autres écosystèmes aquatiques et les complexes écologiques dont ils font partie ».
Si la biodiversité constitue une richesse en soi, que chacun peut défendre pour des raisons esthétiques ou morales difficilement quantifiables, les services écosystémiques et le capital naturel qui engendrent la profusion de formes de vies sont de facto essentiels au fonctionnement de notre planète. À ce titre, ils constituent des éléments décisifs pour le bien-être, le développement et la survie des sociétés humaines et font donc partie intégrante de la vie économique1.
L’artificialisation, vecteur de destruction des habitats naturels, constitue une menace pour la biodiversité. On utilise l’empreinte au sol comme indicateur de mesure de cet impact
La loi Climat et Résilience de juillet 2021 définit l’artificialisation des sols de la façon suivante : « un sol est regardé comme artificialisé si l’occupation ou l’usage qui en est fait, affecte durablement tout ou partie de ses fonctions écologiques, en particulier ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que son potentiel agronomique ».
En France, la part relative des infrastructures du système électrique sur l’ensemble de l’artificialisation des sols est faible : de l’ordre de 1 % du territoire2. Pour mesurer l’impact sur les terres d’une production électrique, on utilise l’indicateur d’empreinte au sol. Elle se définit comme la surface nécessaire à la production d’une unité d’énergie en Analyse de cycle de vie (ACV) et se mesure en m2/GWh/an.
Le nucléaire : énergie dense et économe en espace
Le nucléaire est une énergie extrêmement dense.
Dans le périmètre du parc nucléaire français utilisant la technologie des réacteurs à eau pressurisée (REP), la densité d’énergie produite dans une cuve de réacteur est de l’ordre de 100 MW thermique par m3. La densité énergétique de l’îlot nucléaire est de l’ordre de 260 MWh/an/m².
On peut estimer l’empreinte au sol des centrales nucléaires à partir des données publiées sur les sites des centrales nucléaires (figure 1). Un relevé de données sur quelques centrales donne des résultats d’emprise au sol très variables selon les sites.
On observe qu’aux États-Unis, les installations occupent en général davantage de place qu’en Europe.
Le maintien du socle de production nucléaire ne nécessite quasiment aucune nouvelle artificialisation des sols
L’emprise du domaine foncier acquis pour chaque installation varie en fonction de l’histoire du site, du coût du terrain, et aussi de la place réservée à d’autres installations potentielles. Dans la plupart des cas, les surfaces clôturées sont largement surdimensionnées par rapport aux surfaces effectivement occupées par le bâti. En conséquence, un programme de « nouveau nucléaire », dont l’objectif serait de renouveler une partie du parc existant par la construction de nouveaux réacteurs ne nécessiterait pas l’artificialisation de nouveaux sites. EDF a indiqué être en mesure de construire les six premiers EPR sur des sites existants, potentiellement à Penly (Normandie), Gravelines (Hauts-de-France), et Bugey ou Tricastin (Auvergne – Rhône-Alpes).
Du reste, le foncier non occupé autour de sites nucléaires interdits d’accès au public représente une opportunité de contribuer à l’augmentation de la part des espaces protégés et de créer des zones de biodiversité positive : en témoignent les actions de la centrale de Saint-Alban en partenariat avec le Conservatoire des espaces naturels ou la réserve ornithologique du Blayais.
La phase d’enrichissement de l’uranium et le foncier sont les deux contributions principales à l’empreinte au sol du nucléaire
Une étude3 (figure 2) fournit des ordres de grandeur d’empreintes sur les différentes phases du cycle de vie d’une centrale. Les écarts pour l’activité minière dépendent des concentrations de minerai, exploitées en souterrain ou à ciel ouvert. L’écart sur l’enrichissement résulte du choix entre la diffusion gazeuse et la centrifugation. L’étude utilise par ailleurs beaucoup de données américaines. Sur l’emprise au sol des centrales (comme vu plus haut) la France présente des chiffres plus bas. Il faudrait donc prendre la variante haute de ces estimations.
En complément de ces évaluations, des travaux4 se développent pour évaluer les empreintes matières liées à la construction des installations elles-mêmes (matériaux de structure). Qui dit empreintes matières dit en conséquence calculs des empreintes au sol liées à la production de ces matières5.
Le nucléaire présente un bilan plus avantageux que les autres moyens de production
Le graphique (figure 3) présente les résultats d’une synthèse réalisée par l’Irena6 – l’Agence internationale pour les énergies renouvelables – sur l’empreinte au sol de différentes filières de production. La variabilité des résultats souligne la dépendance des résultats aux périmètres et aux hypothèses utilisés sans pour autant modifier la hiérarchisation des résultats entre filières. Enfin, l’empreinte au sol ne préjuge pas de l’usage à d’autres fins qui en est fait autour des installations, notamment naturelles ou agricoles.
Ces chiffres montrent donc que le nucléaire présente un bilan avantageux par rapport aux EnR. Les effets additionnels liés à l’empreinte des matières nécessaires à la construction des installations EnR donnent un avantage additionnel au nucléaire7 : une pénétration accrue des EnR dans les systèmes électriques s’accompagnera d’un besoin supplémentaire en batterie consommatrice de cuivre et lithium.
Enfin, l’impact des centrales fossiles est comparable au nucléaire sauf à considérer les effets indirects sur la biodiversité terrestre liés aux émissions de CO2 qui donnent évidemment l’avantage à l’atome : les feux de brousse causés par la sécheresse, les températures élevées ou la propagation des parasites lors des hivers doux sont des exemples de ces effets indirects.
Une centrale est soumise à une réglementation sur l’eau exigeante et à un système de contrôle rigoureux
Pour fonctionner, une centrale thermique utilise de l’eau. Les impacts conséquents sur les écosystèmes marins et la gestion de la ressource en eau douce sont encadrés par des directives européennes et déclinés dans une réglementation nationale.
En France les autorisations de prélèvement d’eau et de rejets, sujettes à des contrôles stricts, sont accordées par l’ASN en accord avec le Code de l’environnement. Elles font l’objet d’une étude d’expertise propre à chaque centrale en fonction des paramètres écologiques du milieu d’implantation.
Un premier pan de la réglementation porte sur la quantité d’eau prélevée et celle consommée
Par conception, le circuit de refroidissement d’une centrale nucléaire peut fonctionner :
↦ en circuit ouvert. L’eau, prélevée par pompage, refroidit directement le condenseur puis est entièrement restituée au cours d’eau au plus près du point de prélèvement ;
↦ en circuit fermé. L’eau est refroidie au moyen d’une tour aéroréfrigérante. Les prélèvements d’eau sont plus faibles, et permettent l’installation d’une centrale, proche d’un cours d’eau à faible débit. En revanche, une partie de l’eau du circuit est vaporisée dans l’atmosphère.
En cycle ouvert, l’eau prélevée, de l’ordre de 40 m3/s/GW, est entièrement restituée à la source froide. En cycle fermé, la centrale prélève peu d’eau (2 m3/s/GW) mais une certaine quantité est consommée, c’est-à-dire vaporisée dans l’atmosphère : de l’ordre de 0,75 m3/s/GW (source : EDF).
Dans les écosystèmes fluviaux, la disponibilité de l’eau et les ruptures de connectivité écologique peuvent avoir un impact sur le long terme notamment lors des sécheresses. La réglementation vise à diminuer ce risque. Une coordination étroite avec les gestionnaires de barrages en amont est mise en place afin de minimiser les périodes d’étiage.
Un deuxième pan de la régulation porte sur la qualité de l’eau rejetée dans l’environnement
Les centrales nucléaires doivent effectuer régulièrement des rejets radioactifs et chimiques, qui sont strictement encadrés et contrôlés.
En moyenne, sur chaque installation, près de 20 000 contrôles sur l’environnement des centrales sont réalisés chaque année : prélèvements en rivière, dans la nappe phréatique, dans l’herbe ou dans la production laitière.
Les rejets radioactifs ont un impact très faible, d’un facteur 100 fois inférieur à la radioactivité naturelle. Tous les résultats sont accessibles au public sur le site du Réseau national de mesures de la radioactivité de l’environnement (RNM8) tenu par les pouvoirs publics. Les contrôles des rejets chimiques, issus des substances utilisées en phase d’exploitation et de maintenance, permettent de s’assurer que les seuils ne soient pas dépassés.
En mer, les rejets thermiques subissent une forte dilution et ne sont donc pas un enjeu significatif. Les réacteurs en cycle ouvert portent la très grande majorité des rejets thermiques des centrales dans les cours d’eau. Les limites réglementaires portent sur l’élévation de température de la source en aval de la centrale et sur la température absolue du cours d’eau après mélange. L’impact sur la biodiversité est double : le premier, immédiat et direct, consiste en l’élévation locale de la température dont les organismes vivants aquatiques sont dépendants pour leur physiologie ; le deuxième, indirect, se produit via la modification induite par l’élévation de température sur les paramètres physico-chimiques du milieu aquatique. Par exemple, lorsqu’il y fait plus chaud, la solubilité du dioxygène diminue et s’y fait alors plus rare. En cas de dépassement des températures, l’arrêt de la centrale peut être alors décidé.
L’enjeu de la biodiversité est global et exige un véritable projet de société qu’il faut bâtir tant au niveau individuel qu’au niveau national et international. Moteur de la production matérielle, l’énergie est un élément décisif de ce projet. Si la sobriété matérielle, du côté de la demande, est le premier levier en vertu du principe « l’énergie la plus propre est celle que l’on ne consomme pas », au niveau de la production (côté offre) et particulièrement de la production d’électricité, le nucléaire présente un bilan nettement avantageux comparé aux autres technologies de production – tant du point de vue des effets directs sur les écosystèmes que des effets indirects via les émissions de GES.
- Costanza et al., 1998, ≪ The value of the world’s ecosystem services and natural capital ≫.
- RTE GT Environnement.
- V. Smil, 2015, ≪ Power Density ≫.
- Watari et al., JRC 2020, 2019, Vidal 2019, WNA 2020.
- On pourra se référer aux articles de la RGN juillet-août 2021 consacrée à l’empreinte matières non énergetiques.
- UNCCD et IRENA, 2017, ≪ Energy and Land Use ≫.
- AIE, ≪ The Role of Critical Minerals in Clean Energy Transitions ≫.
- www.mesure-radioactivite.fr