Les vingt prochaines années vont être passionnantes ! - Sfen

Les vingt prochaines années vont être passionnantes !

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C’est ce message que Thomas Branche, directeur général adjoint d’Assystem Energy & Infrastructures, en charge du Nucléaire, a souhaité faire passer à la Jeune Génération.

 

Thomas Branche, quel est votre parcours ?

Je suis  diplômé de l’Ecole Polytechnique puis du corps des Mines. A la fin de mes études, j’ai fait mon dernier stage chez Total, dans le service d’audit interne, pour découvrir le domaine de l’énergie. Cette expérience m’a particulièrement motivé pour poursuivre dans ce secteur. J’ai débuté ma carrière au service de l’État et en continuité, au Ministère de l’Energie. J’y ai rédigé un rapport sur le choix des politiques publiques concernant le mix électrique. En 2005, j’ai présenté ma candidature pour être le principal représentant de l’Etat pour le débat public sur l’EPR de Flamanville. J’étais encore assez peu expérimenté, mais mes supérieurs m’ont fait confiance. Ensuite, toujours au service de l’Etat, j’ai travaillé sur le nucléaire en France et la coopération avec d’autres pays, notamment les « nouveaux entrants ». C’était d’autant plus intéressant que l’Etat joue là un rôle important. En 2011, je suis entré comme Directeur adjoint, en charge de l’Energie au cabinet du Ministre de l’Industrie, Éric Besson.

En 2012, au terme de mes engagements envers l’Etat, j’ai choisi de découvrir le monde de l’entreprise. Mon parcours m’avait appris que la France a besoin d’entreprises fortes pour se développer à l’international. Et Assystem, entreprise ambitieuse qui se donne les moyens de l’être, m’a convaincu de la rejoindre !

 

Pourquoi avez-vous choisi de travailler dans le nucléaire ?

Je ne visais pas ce secteur là en particulier. Quand je me suis manifesté pour représenter l’Etat sur le débat sur l’EPR de Flamanville 3, c’est parce que l’expérience m’intéressait. Puis j’ai continué, de fil en aiguille, parce que les sujets sont complexes et passionnants.

D’autre part, je suis convaincu que, sans l’énergie nucléaire, nous ne serons pas en mesure d’atteindre les objectifs de lutte contre le réchauffement climatique, c’est-à-dire 2 degrés de plus au maximum en 2050. Le nucléaire seul ne le permet pas, mais il est indispensable. Cette technologie fait partie de l’avenir et ne pas compter dessus serait une erreur.

 

C’est un domaine sur lequel l’opinion publique est assez divisée…

Les enquêtes d’opinion montrent que l’opinion des Français est assez constante dans la durée, avec un peu plus d’avis favorables que défavorables. Logiquement, après les accidents de Tchernobyl et de Fukushima, la proportion de personnes défavorables au nucléaire a augmenté significativement. Mais deux ans après, l’opinion publique est retournée à son niveau d’origine pour s’y stabiliser. Cela étant, sur les dix dernières années, le pourcentage de gens sans opinion diminue. En fait, plus le temps passe, plus les personnes s’expriment sur le nucléaire.

Le sujet du nucléaire a connu deux évolutions importantes, sur le plan médiatique et sur le plan politique. Ces dix dernières années, le nucléaire a occupé chaque année une place de plus en plus importante dans la presse, y compris grand public. L’énergie est devenue un sujet majeur. Auparavant, c’était un sujet qu’on évoquait très peu dans l’actualité. En France, le nucléaire est même devenu une question politique. Le consensus historique qui existait sur le sujet a évolué pendant la campagne pour la présidentielle de 2012. C’est significatif pour la filière. Pendant 50 ans, les lignes politiques n’avaient pas changé. Les partis pro-nucléaires restaient favorables, et vice-versa. Mais depuis 2012, le nucléaire s’est installé au cœur des débats politiques.

 

Mais alors, comment convaincre l’opinion que le nucléaire est une bonne solution ?

Il n’y a pas de message simple. Et d’ailleurs beaucoup de raccourcis peuvent s’avérer regrettables.

Par exemple, il est faux de dire que « Le nucléaire n’est pas dangereux ». Le nucléaire est une industrie, et toute industrie comporte des risques, même si, dans notre cas, il y a une très forte notion de sûreté qui l’entoure. La filière est globalement très performante en matière de maitrise des risques. Cela ne veut pas dire qu’elle n’a pas rencontré des catastrophes. Toute industrie doit faire face à cela. Mais le nucléaire est dans une démarche de progrès continu très bénéfique pour l’environnement, y compris en tenant compte des accidents. Et ce, plus encore que les autres filières.

Il est aussi faux de dire « Le nucléaire est LA solution » : ce n’est pas la seule. La plupart des gens déduisent : « Rien d’autre que le nucléaire ». Economiquement et techniquement, le tout-nucléaire serait un non-sens, quel que soit le pays. En revanche, dire que « Le nucléaire fait partie de la solution » me convient parfaitement.

Le secteur énergétique est un champ de contraintes. Tous les pays sont d’accord pour dire qu’une politique énergétique doit répondre à trois critères : la disponibilité, le respect de l’environnement et le coût. Les questions de la disponibilité et du coût sont relativement faciles à traiter. Celle de l’environnement l’est moins, car il n’y a pas de consensus sur sa signification. Qu’entend-t-on par environnement ? La sauvegarde du climat ? Les particules fines ? La préservation des paysages ?

 

Justement, à propos d’environnement, quel rôle le nucléaire va-t-il jouer ?

Pour moi, le sujet le plus important est la question du réchauffement climatique. Le problème est loin d’être simplement écologique, même si les ravages sur l’environnement sont incontestables. Les conséquences principales seront aussi économiques et surtout humanitaires : des destructions d’infrastructures côtières à grande échelle, des déplacements de populations massifs, des risques de conflits pour des territoires ou des ressources essentielles comme l’eau. Dans ce contexte, le nucléaire fait partie de la solution.

En matière d’électricité décarbonée, nos seules solutions sont le nucléaire, l’éolien et le solaire. L’hydroélectrique est quasiment arrivée à saturation partout dans le monde. L’éolien et le solaire sont des technologies d’avenir, mais le soleil et le vent ne se pilotent pas. Cette problématique est gérable en soit. Cependant, dans la mesure où la production doit s’adapter en permanence à la demande, il est indispensable de concevoir des systèmes efficaces de stockage de l’énergie si l’on souhaite à terme utiliser exclusivement ces technologies. Et aujourd’hui, ces systèmes ne sont pas au point.

L’idée du « tout-renouvelable » se base sur l’hypothèse que le stockage de l’énergie à grande échelle fonctionnera et pourra être déployé en masse et à faible coût, ce qui est tout sauf démontré. On ne peut pas fonder la stratégie de lutte contre le changement climatique sur un tel pari. Ce serait irresponsable ! En effet, si cette hypothèse s’avère fausse (ce que je ne souhaite pas), le seul moyen de rattraper en urgence le manque de puissance sur les réseaux passera par des systèmes de production d’électricité d’origine thermique, ce qui n’est pas envisageable du point de vue de la protection du climat.

A mon avis, le nucléaire doit faire partie de la solution, car sans cela la stratégie de lutte contre le changement climatique n’est pas résiliente. Le nucléaire n’est pas un choix du cœur, c’est un choix de raison. L’existence de notre parc de centrales reste tout à fait justifiée, même si les raisons sont différentes de celles évoquées à sa création il y a quarante ans. A l’époque, le parc a été créé pour répondre à des questions de dépendance énergétique de la France. Aujourd’hui, nous nous préoccupons également de l’impact environnemental de notre production électrique.

 

Bien sûr, mais on entend souvent dire que « le vrai problème du nucléaire, ce sont les déchets… »

Et pourtant c’est faux ! Cette problématique est maitrisée sur le plan technique. Le recyclage fonctionne depuis des années, et nous disposons de solutions effectives et sûres pour tous les déchets sur plusieurs décennies. Le sujet restant est leur gestion définitive, c’est-à-dire à plus de 50 ans. L’industrie nucléaire française a choisi la solution du stockage géologique, les couches géologiques étant stables et hermétiques sur une longue durée. C’est un environnement qui est mesuré, étudié, maitrisé. Il reste à faire l’installation : le projet Cigéo est en préparation. A la question « pourquoi ne l’a-t-on pas fait plus tôt ? », je répondrai : « pourquoi le faire plus tôt ? Nous n’en avions pas besoin. Il faut du temps pour faire refroidir les colis de déchets avant stockage définitif. A présent nous en avons besoin. Faisons-le. »

 

Comment l’entreprise Assystem se positionne-t-elle sur le marché du nucléaire ?

Je rappellerais tout d’abord qu’Assystem intervient dans plusieurs secteurs industriels, dont l’aéronautique, l’automobile, l’énergie et les infrastructures. Au sein de ces différents secteurs, le nucléaire joue un rôle clé pour Assystem pour plusieurs raisons. Parce que l’histoire d’Assystem s’inscrit depuis près de 50 ans dans le nucléaire, parce que les perspectives de développement du nucléaire sont importantes et parce qu’Assystem occupe une position de choix dans l’industrie nucléaire. Nous sommes en effet la 1ère société d’ingénierie européenne, et la 4ème mondiale (référence : classement ENR 150)

Nous souhaitons continuer de nous positionner d’une part au service de l’industrie nucléaire française, en France comme en-dehors de France. Et également nous positionner auprès d’autres filières, afin de continuer de développer notre expertise.

Dans ce cadre, nous menons des actions de montée en compétences (structuration de nos bureaux d’études, développement de méthodologies…). Nous signons aussi des contrats de maitrise d’œuvre de plus en plus importants qui sont à la fois des vitrines et des laboratoires pour l’évolution de notre savoir-faire. Et nous procédons à des renforcements ou acquisitions à l’international, notamment au Moyen-Orient.

 

Comment voyez-vous l’avenir du nucléaire ?

Les réalités sont très différentes selon les pays.

A part en Allemagne, où l’accident de Fukushima a provoqué le passage à l’acte d’une réflexion déjà engagée, aucun programme nucléaire n’a été stoppé définitivement. Mais Fukushima a entrainé un ralentissement du développement du nucléaire.

De grands pays comme la Chine, l’Inde, la Russie, les États-Unis avaient un programme nucléaire et continuent dans ce sens. La diminution des investissements dans le nucléaire aux États-Unis est surtout due au prix très bas des gaz de schiste, et pas uniquement à Fukushima. De nombreux autres pays comptent durablement sur le nucléaire pour répondre à une partie de leurs besoins, avec des ambitions très différentes, dépendant notamment de leur taille et de celle de leur population.

La Chine est le pays qui construit le plus et qui souhaite construire davantage. Cela s’explique aisément dès que l’on regarde la production d’électricité du pays il y a quelques années et la croissance de la demande. Pour la Chine, le nucléaire est un choix pragmatique parmi d’autres. Les Chinois investissent dans toutes les technologies pour répondre à leurs besoins. Ils doivent à la fois remplacer leurs infrastructures les plus anciennes et en créer de nouvelles pour répondre à la demande, d’où le grand nombre de constructions.

De nouveaux pays souhaitent aussi entrer dans le nucléaire. Les  Emirats Arabes Unis, par exemple, ont 4 réacteurs en construction et souhaitent en lancer davantage. D’autre pays, comme l’Arabie Saoudite, ont des programmes ou des ambitions de programmes pour lesquels il reste à prendre la décision politique finale. Autre cas, l’Afrique du Sud qui a déjà 2 réacteurs et est sur le point d’engager de nouvelles constructions. Et je citerai aussi notre voisin au programme ambitieux qu’est la Grande-Bretagne, résolument engagée dans un programme de construction de réacteurs.

 

Comment préparez-vous votre développement pour accompagner ces projets ?

Nous nous préparons en investissant sur les méthodologies et les compétences, ce qui suppose des politiques RH fortes de mobilité et construction de parcours. Nous investissons à l’international, nous nous positionnons dans un certain nombre de pays et développons des partenariats.

Depuis plusieurs années, nous investissons au Royaume-Uni où Assystem est déjà un acteur significatif. Nous nous sommes positionnés aussi dans le Golfe Persique avec une base à Dubaï. Nous avons de nombreuses discussions avec des acteurs à l’international, en vue de partenariats éventuels. Par exemple en 2011, nous avons créé la Nuclear Assystem Atkins Alliance qui sert de socle solide pour notre développement aux Emirats. C’est en échangeant avec les entreprises, et pour certaines en allant plus loin dans les discussions, que l’on est prêt à travailler ensemble.

 

Quel message donnez-vous à la Jeune Génération ?

J’en ai deux. Le premier : soyez fiers de ce que vous faites.

Les vingt prochaines années seront les plus passionnantes depuis le début de l’industrie nucléaire. Ce seront les années du renouvellement. Dans les décennies à venir, nous aurons beaucoup de débats, beaucoup de constructions neuves, beaucoup de maintenance, beaucoup de démantèlement. Tous ces évènements se dérouleront en parallèle dans de très nombreux pays, plus encore qu’il y a 50 ans.

Nos prédécesseurs, qui ont construit le parc nucléaire il y a vingt, trente, voire quarante ans, s’en félicitent et ont raison. De la même manière, les jeunes d’aujourd’hui pourront regarder le parc dans quelques décennies, dire « J’y étais, j’y ai contribué » et en tirer une grande fierté. Et ils auront raison ! Malgré ce que l’on en dit, le nucléaire est et restera une très belle réussite industrielle en France.

Mon deuxième message tient en deux mots : persévérance et responsabilité.

Aujourd’hui, on assiste à  la politisation croissante de la question énergétique. Ne vous laissez pas polluer par les débats ! Même dans un débat politique mal engagé pendant des années, la réalité physique et mathématique finira par prévaloir. Lors des véritables périodes de crise, la parole politique finit par s’estomper et laisse la place aux fondamentaux techniques.

L’industrie nucléaire n’est pas anodine. Vous avez, nous avons, un devoir de responsabilité au quotidien dans notre travail, mais aussi en dehors parce que vous représentez la filière. Partagez votre avis et vos connaissances avec justesse. Il n’y a pas de sens à dire « le nucléaire c’est mieux que tout » ou « tous les projets du nucléaire sont bons ». Ne vous laissez pas endoctriner ! C’est une belle filière, mais comme toutes les filières industrielles, elle comporte aussi des projets malheureux. Ayez conscience de ses points forts et de ses faiblesses, sans mépriser les autres solutions. N’oubliez jamais de faire la part des choses. C’est une qualité à avoir pour la nouvelle génération.

Publié par Emilie Combes, Francois Kerdranvat et Thomas de Laugier de Beaurecueil (SFEN JG)