Politique énergétique allemande : nouveau gouvernement, même combat ?
Le bilan de l’Energiewende n’est pas bon. Dix ans après ce « tournant énergétique » marqué par la sortie du nucléaire et une politique de développement des énergies renouvelables volontariste, l’Allemagne reste fortement dépendante des énergies fossiles. En plus de peser lourd sur les émissions de gaz à effet de serre, les choix allemands complexifient la sécurité d’approvisionnement du pays et, en pleine crise ukrainienne, sa politique étrangère.
Le 8 décembre 2021, une nouvelle coalition est arrivée au pouvoir en Allemagne. Celle-ci se compose du Parti social-démocrate (SPD) auquel appartient le nouveau chancelier, ancien ministre des Finances et vice-chancelier d’Angela Merkel, Olaf Scholz, des Verts (Die Grünen) et du Parti libéral-démocrate (FDP). Le nouveau ministre de l’Économie et de la Protection du climat, le Grünen Robert Habeck a établi sans détour l’état des lieux de la transition allemande. Pour lui, l’Allemagne a raté les objectifs qu’elle s’était fixés pour 2021 et est mal partie pour réaliser ceux prévus pour 2030. « Jamais encore un bilan aussi déconcertant n’avait été livré par le ministère de l’Économie, qui se contentait habituellement de célébrer la progression des renouvelables », commente la correspondante du Monde à Berlin, Cécile Boutelet1.
L’abandon du nucléaire dans un pays à forte dimension industrielle a donné à la transition énergétique allemande l’apparence d’un véritable casse-tête. Charge à la nouvelle coalition de le résoudre pour atteindre la neutralité carbone en 2045. Pour mémoire, en 2021, le gouvernement d’Angela Merkel avait rehaussé les ambitions climatiques en visant une réduction des émissions de CO2 de 65 % en 2030 par rapport au niveau de 1990, contre 55 % auparavant. La neutralité carbone, elle, doit être atteinte en 2045, soit cinq ans plus tôt que l’objectif précédent.
La nouvelle coalition face à un défi d’ampleur
Ces ambitions semblent difficiles à atteindre pour le nouveau gouvernement. Il hérite d’une décennie de transition énergétique qui la laisse encore fortement dépendante des énergies fossiles. Celles-ci continuent de représenter plus des trois quarts de la consommation énergétique. Selon Agora Energiewende, un institut de recherche indépendant qui développe des stratégies documentées et politiquement viables pour la mise en œuvre de la neutralité carbone en Allemagne notamment, le défi de la baisse des émissions repose pour moitié sur la décarbonation du système électrique et pour moitié sur les réductions d’émissions dans le bâtiment, le transport et l’industrie. « Des secteurs pour lesquels les réductions sont jusqu’à présent trop lentes », note l’institut.
Bilan 2021 : un rebond économique carboné
En 2020, à l’instar de plusieurs pays en Europe, le ralentissement économique causé par la crise du Covid-19 a permis à l’Allemagne d’atteindre ses objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre (GES). Mais en 2021, la reprise économique s’est accompagnée d’une hausse des émissions d’environ 33 millions de tonnes de CO2 (+ 4,5 %)2.
Selon les résultats publiés en décembre 2021 par AG Energiebilanzen, la production brute d’électricité en 2021 a été réalisée à 47 % par les énergies fossiles (lignite 19 %, gaz 15 %, houille 9 % et fioul 4 %), à 41 % par les énergies renouvelables (EnR) et à 12 % par l’énergie nucléaire. La production à base de charbon augmente de près de 20 % pour le lignite (+ 16,6 TWh) et de 26,7 % pour la houille (+ 11,5 TWh). En résumé, après dix ans de transition énergétique, le mix électrique se partage en deux parts quasiment égales d’énergies fossiles et d’énergies bas carbone.
Ainsi, depuis 1990, le charbon reste la première source d’électricité en Allemagne. En 2019, les centrales à charbon ont produit 171 TWh, soit 28 % du mix électrique, en 20213. Une amélioration, certes, par rapport aux 260 TWh de 2011 et 288 TWh de 2013. La bonne nouvelle pour le climat est que la production d’électricité à base de charbon devrait continuer à décroître, le nouveau gouvernement ayant avancé la sortie du charbon à 2030. Mais le parc représente aujourd’hui encore une capacité d’une quarantaine de gigawatts.
D’autant que la fermeture du nucléaire se poursuit avec l’arrêt de trois réacteurs le 31 décembre 2021. Des 20 GW installés en 2010, il ne reste plus en 2022 que 4 GW. Avant la décision de sortie du nucléaire, cette énergie représentait environ 20 % de la production électrique qui reposait alors à près de 60 % sur les énergies fossiles. Le calendrier de sortie du nucléaire prévoit l’arrêt des trois derniers réacteurs en exploitation, Esmland (1 300 MW), Neckarwestheim 2 (1 300 MW) et Isar 2 (1 400 MW) fin 2022. En 2021, les six réacteurs nucléaires représentaient seulement 3,6 % de la puissance installée, mais 12 % de la production d’électricité (69 TWh) avec un facteur de charge moyen de près de 92 %.
Du côté des EnR, le panorama est contrasté car si les productions éolienne et solaire ont plus que doublé entre 2011 et 2021 et que l’ensemble des énergies renouvelables ont produit 237 TWh soit près de 41 % de l’électricité allemande en 2021 contre 105 TWh en 2010, l’année passée marque cependant le premier recul de la production des renouvelables après une croissance ininterrompue. En 2020, l’Allemagne avait produit 250 TWh à partir des renouvelables et 240 TWh en 2019. En cause, un ralentissement dans le déploiement et le manque de vent qui a fait chuter la production de l’éolien (terrestre et maritime) de 132 TWh en 2020 à 118 TWh en 2021.
Sécurité d’approvisionnement : du gaz à tous les étages
La sortie du charbon d’ici à 2030 ne peut être que saluée. Néanmoins, la fermeture en cours des réacteurs nucléaires et à court terme des centrales à charbon pose la question de la sécurité d’approvisionnement. « Si vous sortez (d’une filière), vous devez aussi entrer dans une autre », résumait Olaf Scholz en octobre 20214 en soulignant la nécessité de construire de nouvelles centrales à gaz pour assurer la sécurité d’approvisionnement. « Le gouvernement se prononce clairement en faveur de la construction de nouvelles centrales à gaz comme technologie de transition pour garantir l’approvisionnement en cas de sortie avancée du charbon », détaille Hartmut Lauer5, ancien vice-président de RWE Power dans la branche « Nucléaire et énergies renouvelables ». Une étude de Boston Consulting pour le compte de la Fédération de l’industrie (BDI) évalue le besoin de nouvelles centrales à gaz d’ici 2030 à environ 40 GW. Elles doivent être construites de manière à pouvoir être converties à terme aux gaz neutres pour le climat. Cela pose un vrai défi technologique. Cela interroge aussi sur les conditions de production de l’hydrogène, aujourd’hui issu des énergies fossiles.
Le gaz, avec une production de 89 TWh, représente aujourd’hui 15 % de la production d’électricité. Mais il est aussi présent plus globalement dans le mix énergétique, pour le chauffage notamment, avec une part de 26,7 % de la consommation d’énergie primaire. Sur le volet climatique, le gaz émet 490 g CO2/kWh. C’est certes deux fois inférieur aux émissions du charbon (820 g CO2/ kWh), mais quarante fois supérieur à celui du nucléaire (12 g CO2/kWh)6. Sur le volet économique, la dépendance européenne au gaz pour la production de son électricité a fortement impacté les prix de gros avec plus de 600 €/MWh, atteints le 21 décembre 2021. Un recours accru au gaz ne fera qu’accroître la volatilité des prix.
Sur le volet de la politique internationale, le nouveau gouvernement doit gérer le dossier ukrainien sur fond de dépendance énergétique. Pour rappel, la Russie fournit 40 %7 du gaz et 46 % du charbon européen. Le 23 janvier dernier, le chancelier avait appelé à la « prudence » en cas de sanction européenne décidée en réponse d’une attaque contre l’Ukraine. « La prudence commande de choisir les mesures qui auront le plus d’effet sur ceux qui violent les accords. En même temps, nous devons prendre en considération les conséquences que cela aura pour nous », a-t-il déclaré8. Le 22 février, l’Allemagne a finalement suspendu la mise en service de Nord Stream II.
Où va la transition énergétique allemande ?
Après dix ans d’Energiewende, le pays reste fortement dépendant des énergies fossiles. « Nous allons probablement rater nos objectifs climatiques en 2022 et en 2023 », a déclaré le nouveau ministre de l’Économie et de la Protection du climat. En préservant ses centrales nucléaires, l’Allemagne aurait pu fortement réduire l’utilisation de ses centrales à charbon. L’augmentation des besoins en électricité et les tensions sur le gaz, y compris géopolitiques, fait planer une ombre menaçante sur une sortie du charbon en 2030. Par ailleurs, le 27 février, interrogé sur le calendrier de sortie du nucléaire lors d’une session parlementaire, Robert Habeck a répondu que son ministère étudiait la possibilité de prolonger l’exploitation de plusieurs réacteurs.
1. « En Allemagne, le gouvernement dévoile son programme d’urgence “ultra-ambitieux” pour le climat », Le Monde du 12 janvier 2022.
2. Agora Energiewende.
3. AG Energiebilanzen, mix électrique, décembre 2021.
4. 27 octobre 2021, Reuters.
5. allemagneenergies. com
6. GIEC, 2014.
7. Eurostat, 2019.
8. Reuters.
9. Eurostat, 2019.