Le point sur le projet ASTRID – les recherches de R&D et de multi-recyclage se poursuivent - Sfen

Le point sur le projet ASTRID – les recherches de R&D et de multi-recyclage se poursuivent

Publié le 3 septembre 2019 - Mis à jour le 28 septembre 2021
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La presse régionale et nationale s’est récemment intéressée aux orientations des recherches françaises sur les réacteurs de 4e génération. Qu’en est-il ?

Depuis 2010, les recherches sur les réacteurs rapides au sodium (réacteur de 4ème génération) sont structurées par le programme ASTRID. Soutenu par l’action du même nom du Programme des investissements d’avenir (PIA), le programme consiste en l’étude d’un projet de démonstrateur, au niveau d’un avant-projet, avec des actions de recherche et de développement pour le réacteur lui-même et pour les procédés du cycle du combustible. Si la décision a été prise de ne pas réaliser aujourd’hui de démonstrateur, les travaux français sur ces réacteurs se poursuivent avec un programme de R&D piloté par le CEA, dans la continuité scientifique et technique. Par ailleurs, la politique française de traitement recyclage des combustibles, visant à long terme un recyclage complet des matières avec multi-recyclage, a été réaffirmée par le gouvernement le janvier 2019, lors de la signature du contrat de filière entre l’Etat et l’ensemble des acteurs.  

Pourquoi un réacteur à neutrons rapides ?

Les réacteurs à neutrons rapides (RNR) présentent de nombreux avantages pour l’utilisation de l’énergie nucléaire. En effet, un RNR, sur le principe, peut utiliser sans limitation tout le plutonium produit par le parc actuel des réacteurs à eau légère (REP) ou par eux-mêmes. Ensuite, le RNR peut brûler tout type d’uranium, alors que dans les systèmes actuels, seul l’uranium 235 est utilisé énergétiquement. En permettant de valoriser la totalité de l’uranium extrait du sol, il multiplie par un facteur proche de 100 l’énergie que l’on peut extraire d’une masse donnée d’uranium naturel. Par ailleurs, un RNR pourrait permettre de transformer les actinides mineurs tels que l’américium contenus dans les déchets radioactifs ultimes (déchets de haute activité à vie longue) en éléments à vie plus courte. Cette transformation, appelée transmutation, permettrait de réduire l’émission de chaleur et la radiotoxicité intrinsèque à long terme des déchets ultimes.

Un programme lancé en 2010

Le projet ASTRID a été lancé par l’Etat en 2010 avec le soutien du PIA. Il consistait principalement à étudier un réacteur démonstrateur au stade de l’avant-projet sous la direction du CEA, jusqu’en 2019. Ce programme implique de nombreux partenaires industriels pour la conception du réacteur, en premier lieu Framatome. Un partenariat fort a été engagé avec le Japon en 2014. Le volet « recherche » du programme est nourri par de nombreux partenaires académiques en France et à l’étranger.

Acquis du programme Astrid

Partant de la large base de connaissances accumulées en France sur les réacteurs à neutrons rapides, le programme Astrid a permis de développer les technologies pour les aligner sur les critères de la 4e génération en matière de sûreté nucléaire. Le programme a ainsi permis de concevoir une façon nouvelle de faire face à des scénarios d’accident, y compris d’accident grave. Les innovations technologiques ont concerné l’ensemble du réacteur, de la conception du cœur aux composants et à l’instrumentation. Elle a aussi porté sur les procédés de fabrication. Les connaissances ont été capitalisées dans une nouvelle génération d’outils de calcul pour la simulation, reposant sur les meilleurs développements multifilières du CEA et de ses partenaires. Des plateformes expérimentales ont été développées qui sont disponibles pour des innovations à venir. Enfin, la conduite du programme elle-même a été l’objet d’innovation, pour la gestion des nombreuses interfaces techniques et l’ingénierie simultanée, avec des méthodes agiles de conception, de gestion des données, des performances et des incertitudes.

Un contexte qui a évolué depuis

Alors que le programme Astrid, dans le cadre de la convention du PIA, approche de son terme, il faut constater que le contexte énergétique a évolué, à commencer par les ressources en combustible qui restent très suffisantes sur le court et moyen terme (échelle de plusieurs dizaines d’années) permettant d’assurer la sécurité d’approvisionnement de la France[1].

Un travail d’analyse stratégique a donc été conduit entre les acteurs de la filière nucléaire française et les services de l’Etat. Cela s’est traduit dans la PPE qui note que « dans la mesure où les ressources en uranium naturel sont abondantes et disponibles à bas prix, au moins jusqu’à la deuxième moitié du 21ème siècle, le besoin d’un démonstrateur » [c’est-à-dire le projet de réacteur ASTRID] « et le déploiement de réacteurs à neutrons rapides ne sont pas utiles avant cet horizon ».

Dans ce contexte, le CEA a annoncé que le projet de démonstrateur d’un réacteur prototype, tel que celui étudié avec le projet ASTRID, pourrait être différé et ne serait pas réalisé à court terme.

Les travaux d’étude sur ASTRID se concluront au cours de l’année 2019, avec l’élaboration d’un dossier qui récapitulera dix années de développement et capitalisera les connaissances accumulées, les choix et leurs motivations de façon à les rendre utilisables dans le futur pour la conception d’un réacteur expérimental ou démonstrateur.

La politique de recyclage complet des matières (fermeture du cycle) confirmée à long terme

La France a mis en place une politique de traitement recyclage des combustibles nucléaires : aujourd’hui ils sont retraités et de nouveaux combustibles (MOX) sont fabriqués à partir de matières recyclées une première fois. Ce mono-recyclage permet une économie des ressources naturelles (10 % avec le recyclage du plutonium, jusqu’à 25 % avec le recyclage de l’uranium), une gestion améliorée des déchets (réduction des volumes d’un facteur 5 et de la radiotoxicité d’un facteur 10 à long-terme), tout en les conditionnant de manière sûre et pérenne.

La vision long-terme du nucléaire en France repose sur la fermeture du cycle du combustible, comprise comme le recyclage complet des matières avec multi-recyclage des matières nucléaires, afin de garantir dans la durée la sécurité d’approvisionnement en combustible du pays. Cette vision, qui nécessite à terme le développement d’une 4e génération de réacteurs à neutrons rapides (RNR), a été réaffirmée par le gouvernement en janvier 2019, lors de la signature du contrat de filière entre l’Etat et l’ensemble des acteurs : « Le recyclage des combustibles usés est un élément majeur de la stratégie de la filière nucléaire française : il permet d’économiser les matières premières et de minimiser le volume des déchets, tout en les conditionnant de manière sûre. Il s’appuie aujourd’hui sur l’utilisation opérationnelle de combustible MOX, qui permet un recyclage en réacteur à eau sous pression (REP) des matières issues du traitement des combustibles usés. Des études seront également menées pour le moxage de nouveaux réacteurs [utilisation de combustibles MOX dans les réacteurs] et le multi recyclage des matières ».

Un programme de R&D dans la continuité du programme Astrid

Pour la suite, un programme de R&D révisé sur la 4e génération sera proposé par le CEA au gouvernement en fin d’année, pour prendre le relais dès 2020 et au-delà. Il s’inscrit dans la continuité des développements du programme Astrid, tout en étant focalisé sur la simulation, sur les travaux expérimentaux et les développements technologiques. Des moyens significatifs seront prévus pour accroître la maturité du concept de RNR. Le CEA souhaite en particulier maintenir l’effort sur les sujets de compréhension et de modélisation de la physique des accidents graves, sur l’évaluation des risques chimiques du sodium, la simulation numérique, le comportement en service des matériaux, le comportement sous irradiation des combustibles. Autant de sujets d’approfondissement qui permettent une R&D collaborative entre la France et le Japon, par exemple. L’objectif pour le CEA est notamment de maintenir et de développer les compétences acquises afin que les RNR au sodium puisse contribuer à long terme à la stratégie énergétique française.

Réacteurs nucléaires de demain et outils du futur, objet de recherche

Comme rappelé dans la PPE et le contrat stratégique de la filière nucléaire, il s’agit notamment de poursuivre le développement de l’EPR2 et d’un SMR (Small Modular Reactor), de technologie française. Concernant le CEA, à partir de 2020, le programme sur les réacteurs de 4e génération restera donc centré sur la R&D des réacteurs rapides refroidis au sodium tout en étant ouvert sur d’autres concepts de réacteurs (SMR, HTR, etc.), qui seront étudiés sous forme d’esquisses permettant de les évaluer. Ce programme de R&D sur les réacteurs portera aussi sur le développement des outils de simulation multiphysique et des validations expérimentales ciblées, les développements technologiques et la qualification de procédés industriels.

A suivre donc, d’ici fin 2019 du programme détaillé de recherche révisé que le CEA proposera au gouvernement.

 

 

[1] En France, les stocks d’uranium correspondent à deux ans de production d’électricité. Par ailleurs, la France réduit ses besoins en uranium naturel en recyclant ses combustibles usés : 10 % de l’électricité nucléaire française est produite à partir des matières recyclées (combustibles MOX). Enfin, la France dispose d’un stock stratégique d’uranium appauvri qui peut se substituer à tout moment à 4 ans de consommation d’uranium naturel en utilisant les capacités modernes de conversion et d’enrichissement domestiques. A moyen terme, la France possède, au travers d’Orano, un portefeuille de réserves en uranium représentant 30 ans de consommation. Sur le long terme, les ressources connues en uranium représentent 130 ans de consommation mondiale et jusqu’à 250 ans si l’on inclut les ressources estimées (AIEA/OCDE – 2018).


Cécile Crampon & comité de rédaction (SFEN)
© Crédit Photo Ph. Stroppa/CEA – Modélisation du fonctionnement d’un réacteur de 4ème génération à neutrons rapides refroidi au sodium (RNR-Na) réalisée dans le cadre du projet Astrid.

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