Optimiste, la filière nucléaire se réunit au World Nuclear Exhibition
Reporté d’un an en raison de la crise du Covid-19, le World Nuclear Exhibition 2021, organisé par le Gifen, s’est déroulé du 30 novembre au 2 décembre 2021. Portés par une conjoncture favorable à l’atome, les exposants étaient enthousiastes et optimistes quant à l’essor de leur filière. L’occasion de se projeter vers l’avenir, de s’adresser aux jeunes pour attirer les talents et de démontrer le potentiel d’innovation de ce secteur.
« Nuclear is back ! »
Lors de l’inauguration du WNE le 30 novembre dernier, le ton du grand salon du nucléaire a été donné par Fatih Birol. Le Directeur général de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) a lancé « Nuclear energy is coming back ! », à une audience conquise. « Politiquement, économiquement, technologiquement, le nucléaire est de retour », a-t-il insisté. Un sentiment partagé par le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire : « L’heure est à la reconquête pour la filière nucléaire française. »
Cette dynamique s’inscrit aussi au niveau européen puisque, pour la première fois, une Commissaire européenne participait au salon. En charge de l’énergie, Kadri Simson a assuré que « le besoin d’innovation et les objectifs de neutralité carbone placent le nucléaire au centre de la transition énergétique ».
À l’origine de ce retour en grâce de l’atome, on trouve le besoin d’électricité bas carbone dans le cadre de la lutte contre le changement climatique. Ce défi pour la filière, déjà mis en avant lors de la COP26 à Glasgow, a été au coeur de nombreuses conférences pendant les trois jours de salon. « Décarboner l’économie mondiale sera difficile sans le nucléaire, voire impossible », a expliqué sur scène Rafael Grossi, Président de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), ajoutant que cela représentait une responsabilité importante pour la filière. Le besoin de sécurité d’approvisionnement et de stabilité des prix portent aussi l’atome en pleine crise des prix de l’énergie, qui a vu les cours du gaz s’envoler entraînant avec eux ceux de l’électricité, a jugé Fatih Birol.
Des coopérations renforcées
Si le WNE vise à valoriser l’écosystème et l’innovation dans le nucléaire, ce grand salon est orienté business. Et l’édition 2021 a été l’occasion d’officialiser de nombreux contrats. Ainsi, Naarea, start-up française créée le 29 novembre 2021, et Assystem ont annoncé la signature d’un accord de coopération pour la construction d’un réacteur nucléaire ultracompact, le XSMR (Extra Small Modular Reactor). Il s’agit d’un microgénérateur à sels fondus conçu pour fonctionner avec le combustible usé des réacteurs du parc actuel. À travers cet accord, Assystem assurera les prestations de gestion de projet et d’accompagnement pour l’obtention des permis, l’intégration et l’ingénierie.
De leur côté, Framatome et le groupe russe Rosatom ont signé un nouvel accord stratégique de coopération à long terme visant à consolider les efforts des deux entreprises pour développer des technologies de fabrication de combustible et de systèmes de contrôle-commande.
Le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies Alternatives (CEA), le groupe EDF et Rosatom ont signé une déclaration d’intention pour une collaboration de R&D à long terme. L’accord prévoit une expérimentation en laboratoire impliquant toutes les étapes nécessaires au recyclage du plutonium secondaire provenant du combustible Mox usé dans les réacteurs à neutrons rapides (RNR). L’objectif est de démontrer la possibilité de recycler les matières provenant des combustibles Mox de la génération actuelle de réacteurs.
Par ailleurs, l’Américain Westinghouse Electric Company et EDF ont officialisé un mémorandum d’entente (MoU) visant à produire des sources de cobalt 60 dans des réacteurs à eau pressurisée (REP) d’EDF. Le cobalt 60 joue un rôle essentiel dans la sécurité des appareils médicaux. Il a également une fonction vitale dans le traitement de certains cancers du cerveau. Cet accord entre EDF et Westinghouse représente une première pour la production en Europe de ce radioisotope à des fins médicales.
L’innovation à l’honneur sur le stand du CEA
Sur le stand du CEA étaient présentés de nombreux produits innovants. Deux d’entre eux ont tout spécialement retenu l’attention. Le premier est un bras robotique télé-opérable disposant d’une grande flexibilité puisqu’il peut être opéré manuellement, en mode semi-automatique ou automatique. Tout est fait pour être précis. L’opérateur, grâce à un dispositif de retour de force, ressent l’effort de la machine, ce qui lui permet d’être alerté de manière intuitive en cas d’anomalie et de réaliser des opérations délicates.
Le second est Maud (Mesure par autoradiographie digitale), un dispositif développé par le CEA, les ateliers Laumoniers, l’université de Poitiers et L’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra). Ce petit appareil a la faculté de détecter les radionucléides peu irradiants, difficilement mesurables, de type béta à vie longue, mais également les rayonnements alpha de l’uranium sur les surfaces de génie civil des installations nucléaires. L’objectif est que ces mesures, disponibles en temps réel, participent à l’établissement des états radiologiques des installations nucléaires avant leur déclassement final.
Jean-Bernard Lévy face aux jeunes
Mardi 30 novembre, pendant 50 minutes, Jean-Bernard Lévy, président-directeur général d’EDF, s’est prêté au jeu des questions/réponses avec la journaliste Asha Sumputh. Elle était entourée de trois jeunes très engagés dans les associations sur les enjeux climatiques et sociétaux : Jadwiga Najder, présidente du réseau Jeune génération de la Société nucléaire européenne (ENS-YGN), Camille Théron, membre du Shift Project et Bruno Idini, en deuxième année de master en énergie internationale à Sciences-Po.
Interrogé sur le défi climatique, Jean-Bernard Lévy a déclaré que cette urgence était l’affaire de tous et que le nucléaire était au coeur du débat pour atteindre l’objectif net zéro carbone en 2050. « L’accélération de la transition énergétique a besoin d’énergies renouvelables, de solaire, d’hydraulique et du nucléaire pour y arriver », a-t-il plaidé.
À la suite de la COP 26 de Glasgow, le dirigeant d’EDF a aussi été interrogé sur les solutions à apporter aux populations qui n’ont pas d’accès sécurisé et régulier à l’électricité. Pour Jean-Bernard Lévy, quelques petits pays s’intéressent au nucléaire mais le financement, les règlementations et les autorisations sont toujours un frein. En revanche a-t-il assuré, les pays occidentaux peuvent investir dans des projets d’infrastructure à long terme et ont aussi la capacité de financer leurs exportations. Cette possibilité passera, entre autres, par la mise en place de la taxonomie européenne qui doit définir quels sont les investissements verts et attirer les capitaux vers des projets vertueux. Jean-Bernard Lévy a insisté sur l’importance de ces discussions pour savoir quelles technologies y figureront.
Interrogé sur la politique de recrutement du groupe, Jean-Bernard Lévy a confirmé la volonté d’être mobilisé sur l’emploi des jeunes, la gestion des talents à tous niveaux, l’importance de la mixité homme femme et la lutte contre toutes les formes de discrimination. Enfin, le dirigeant s’est dit très reconnaissant aux « VIP » tels que Bill Gates, Jeff Bezos et Elon Musk qui se sont récemment prononcés en faveur du nucléaire. Il remercie aussi toutes les organisations et les jeunes impliqués en faveur du climat.
Quand Cigéo devient un terrain de jeu
Dans les allées du salon, il n’était pas rare de voir des visiteurs avec un casque de réalité virtuelle sur les yeux et des manettes dans les mains en train de procéder à des opérations industrielles dans un monde virtuel en 3D. Une telle expérience saisissante était proposée notamment sur le stand de l’Andra pour visiter en avant-première le site de stockage géologique des déchets radioactifs Cigéo. L’immersion était totale. Plongé à plusieurs centaines de mètres sous le sol, on assiste à l’arrivée d’un colis placé sur un chariot automatisé, avant que celui-ci ne soit poussé dans une alvéole dédiée. François Lauman, responsable de la cellule sécurité du projet Cigéo à l’Andra, qui a supervisé le développement de cet outil numérique, fait même la démonstration de scénarios accidentels, tel qu’un incendie ou l’effondrement d’une galerie.
Loin d’être une simple démonstration pour la communication, il s’agit de déployer « un vrai outil opérationnel », assure Nataliya Dias, experte génie civil et souterrains à l’Andra. Cette simulation a été faite sur la base de la maquette 3D de Cigéo par la société d’ingénierie Crise. Il s’agit de développer un serious game. Dans cette simulation, plus de 40 personnes peuvent travailler en même temps, jouant le rôle d’un ingénieur, d’un opérateur, d’un technicien, d’un pompier, etc. « Tout cela permet de décrire nos procédures en amont de phase et de faire monter les intervenants en compétences », se réjouit François Lauman. Cet outil doit aussi permettre de prévoir et d’optimiser les travaux à venir, qui débuteront dans plusieurs années.
Place aux étudiants
Sous la houlette de l’Institut international de l’énergie nucléaire (I2EN) et avec le Gifen, la journée du 2 décembre a rassemblé près de 250 étudiants issus d’une vingtaine d’écoles spécialisées. C’est un programme sur-mesure qui a permis des interactions riches entre les jeunes et des professionnels du secteur.
Montrer la diversité des métiers dans le nucléaire était l’objectif principal : de nombreux ingénieurs et techniciens ont témoigné sur leur parcours et leurs motivations personnelles. Les jeunes ont pu échanger avec des responsables des ressources humaines, des conseillers académiques et des industriels sur les stands du salon.
À cette occasion, Alexandre Perra, directeur exécutif d’EDF en charge de la Direction innovation, responsabilité d’entreprise et stratégie, a véritablement battu le rappel : « Nous allons avoir besoin de compétences, de recherche, de créativité et de beaucoup d’humilité face au défi climatique. » Parce que les enjeux d’optimisation sont au coeur de l’avenir énergétique, Alexandre Perra a dessiné pour les étudiants les perspectives passionnantes qui les attendent en choisissant d’exercer dans le secteur de l’énergie.
L’engagement dynamique des territoires était également mis à l’honneur. Organisée par Chantal Juhaz, responsable emploi compétences de la filière d’excellence Normandie Énergies, avec la participation de Valérie Faudon, déléguée générale de la Sfen, la table ronde sur l’éducation, la formation et les perspectives d’emplois a réuni quatre grandes régions : la Normandie, les Hauts-de-France, Auvergne-Rhône-Alpes et la Bourgogne-Franche-Comté. Élisabeth Terrail, présidente de l’Université des métiers du nucléaire (UMN), a présenté l’ambition de construire une démarche collective, à l’échelle nationale et locale, en associant tous les acteurs de la filière pour donner une lisibilité de l’offre de formation et une cohérence avec les métiers clés. Enthousiasmant.