Quelles seront les opportunités pour le nucléaire chinois au 14ème Plan quinquennal ?
Interview réalisée par le média chinois Beijixing et traduite en français par le service nucléaire de l’Ambassade de France en Chine et publiée dans sa lettre d’information : « Nouvelles nucléaires de Chine n°112 de Mars 2020 ».
Le programme nucléaire chinois a été caractérisé en 2019 par un redémarrage après trois ans d’absence d’autorisation de nouveaux projets, et en particulier avec la construction prévue de nouveaux réacteurs Hualong 1. Il s’agit d’un choix cohérent déterminé par des facteurs internes et externes, plaçant de grands espoirs dans la mise en service de sa première tête de série en 2020. Cette année sera également l’année de préparation du 14ème Plan quinquennal, au cours duquel, nos attentes vis-à-vis de nouveaux projets ne se limitent pas au marché national. Mais comment permettre au nucléaire chinois de se positionner à l’international face à une situation complexe et changeante ? Dans quelle mesure le parc nucléaire chinois peut-il être compétitif face à la concurrence des centrales éoliennes et solaires ? Les électriciens nucléaires chinois doivent-ils mettre leurs œufs dans un seul panier ? La revue mensuelle de la CNNC « China Nuclear Industry » a invité M. ZHAO Chengkun, vice-président de la Commission d’experts de la CNEA (China Nuclear Energy Association) a répondu à toutes ces questions.
Question : Le programme nucléaire a enfin redémarré en 2019 suite à l’absence d’approbation de nouveaux projets nucléaires pendant trois années consécutives. Dans cette perspective, quelles sont vos attentes pour 2020 et les années suivantes ?
ZHAO : Il s’agissait d’une décision que les acteurs du nucléaire chinois attendaient depuis longtemps. Les industriels chinois impliqués dans le nucléaire comme Shanghai Electric, Dongfang Electric, Harbin Electric, First Heavy, Second Heavy, ainsi que d’autres entreprises privées, ont considérablement accru leur capacité de production ces 15 dernières années dans le cadre d’une politique nationale en faveur du développement de l’énergie nucléaire. Ils ont investi des dizaines de milliards de yuans pour moderniser leurs outils, ce qui a contribué à ce que nos centrales atteignent un taux de localisation de 85 %. Aujourd’hui, ils sont capables d’équiper 8 à 10 nouvelles tranches nucléaires chaque année. Ces industriels sont en difficulté faute de commandes d’équipements depuis plusieurs années. Cette situation a engendré des fuites de compétences, non seulement pour nos équipementiers, mais aussi pour les instituts de design et les exploitants de centrales nucléaires. Dans ce contexte, les acteurs chinois de la filière attendent de l’État un plan de développement stable et constant qui prenne en compte tant la structure énergétique du pays et l’environnement, que le développement du secteur nucléaire.
L’absence d’autorisation de nouvelles tranches nucléaires pendant trois années consécutives pourrait être liée à deux facteurs : premièrement, le retard très important dans la construction des réacteurs importés (AP1000 et EPR) et le manque de référence industrielle pour le réacteur domestique Hualong 1 en construction. Ceci a conduit l’État à temporiser sa prise de décision notamment en tenant compte de la sûreté. En second lieu, le facteur le plus important pour expliquer les décisions du gouvernement est celui de l’acceptabilité du nucléaire par le public ; en particulier dans un contexte où certaines personnalités antinucléaires ont remis en cause l’Autorité de sûreté nucléaire chinoise.
Les nouveaux projets nucléaires autorisés en 2019, y compris celui de Zhangzhou, sont le résultat des efforts déployés par les acteurs de la filière pendant de nombreuses années. Doté d’une capacité installée de 60 GW en service et en construction, le parc nucléaire chinois n’aura pas de difficulté pour atteindre 70 GW en 2025. Dernièrement, les discussions ont été menées sur le programme nucléaire chinois pour la période 2025-2035. L’objectif de 150 GW à atteindre en 2035 est partagé par une majorité des participants aux travaux de prospective. Cela veut dire qu’il faut additionner 80 GW entre 2025 et 2035, soit environ six à huit nouvelles tranches à construire chaque année.
Q : Dans ce contexte, sera-t-il possible de démarrer la construction de nouvelles centrales nucléaires à l’intérieur des terres ?
ZHAO : Doté d’une soixantaine de réacteurs en service et en construction, le parc nucléaire chinois est situé le long de la côte. Bien que les sites en réserve en bord de mer pourront être utilisés pour quelque temps, ils ne seront pas suffisants pour accompagner un développement durable du nucléaire.
Il existe deux grandes préoccupations pour la construction des centrales nucléaires en bord de rivière. La première concerne la fusion du cœur d’un réacteur induite par les effets d’une inondation et d’un effondrement de barrage, mettant hors service les systèmes de refroidissement. À ce sujet, les études de faisabilité préliminaire effectuées ont démontré que les sites nucléaires sélectionnés en bord de rivière sont implantés sur des « terrains secs », ne risquant pas d’être inondés en cas d’ événements météorologiques et hydrologiques extrêmes. La catastrophe de Fukushima ne se produira pas en Chine.
La seconde préoccupation concerne la possibilité de rejet des effluents radioactifs en cas d’accident grave dans les cours d’eau, en particulier dans le bassin du fleuve Yangtze. À cet effet, le Hualong 1 et l’AP1000 ont été conçus pour contenir les effluents radioactifs dans l’enceinte de confinement en cas d’accident grave. Au vu des retours d’expérience de Fukushima, nous sommes capables d’assurer la sûreté d’une centrale nucléaire, quel que soit son emplacement, sur la côte ou à l’intérieur des terres, en travaillant à éviter la perte d’alimentation électrique et la perte de la source d’eau et en menant à bien la gestion d’un accident grave.
Le développement économique rapide de la Chine a exercé une pression sur l’approvisionnement électrique et l’environnement dans les régions à l’intérieur des terres, en particulier au centre du pays. Afin d’y remédier, des mesures telles que le développement de technologies de transmission UHV et la construction de chemins de fer pour le transport du charbon ont été prises par l’État, qui n’arrive pas à répondre à la demande générée par une croissance soutenue. Dans ces régions souffrant de pénuries de charbon et de gaz naturel, le nucléaire sera une bonne option.
A mon avis, il faut déployer tous nos efforts pour démarrer la construction de centrales nucléaires à l’intérieur des terres au cours du 14ème plan quinquennal, en particulier dans les provinces du Hubei, du Hunan et du Jiangxi. Les sites sélectionnés disposent des conditions nécessaires pour répondre aux exigences de sûreté et l’opinion publique locale est en faveur du nucléaire. Aujourd’hui, le Hualong 1 ou l’AP1000 sont tout à fait capables de répondre à la croissance forte en énergie. En effet, un montant de 15 milliards de yuans a été investi pour préserver les trois sites sélectionnés. Dans cette perspective, l’État devrait prendre une décision claire prochainement. Sur ce sujet, la CNEA a mené de nombreuses études et a formulé des suggestions pour promouvoir la construction de centrales nucléaires dans des provinces au centre de la Chine au cours du 14ème Plan quinquennal.
Le recours à des sites en bord de rivière aidera à accompagner la mise en œuvre du programme nucléaire chinois pour 2035 et 2050.
Q : Suite au décès de M. ZHANG Guobao (ex-président de la National Energy Administration (NEA)) en 2019, l’importation des AP1000 décidée pendant son mandat fait l’objet d’une polémique dans la filière. Alors que les nouvelles tranches autorisées ont recours à la technologie du Hualong 1, quel sera le choix technologique du programme nucléaire chinois ?
ZHAO : Le Hualong 1 et l’AP1000 ont chacun leurs propres atouts. Le Hualong 1, doté des systèmes de sûreté active et passive, est une technologie très avancée et mature alors que le réacteur AP1000 dispose d’un concept innovant consistant à simplifier les systèmes et réduire considérablement le nombre des composants. La mise en service de plusieurs réacteurs AP1000 et l’expérience acquise dans l’exploitation de ces centrales devraient ouvrir des perspectives pour le développement de ce type de réacteur. Le projet de Zhangzhou a initialement été prévu pour des AP1000, qui ont été remplacés en temps opportun par des Hualong 1. Dans le contexte international actuel, c’est une décision très correcte.
D’ici 2035, je pense que le Hualong 1 et le CAP1400 seront les principaux types de réacteurs à équiper le parc nucléaire chinois.
Quant aux réacteurs de très grande puissance, celui de 1700 MW par exemple que des industriels chinois et étrangers promeuvent, je ne pense pas qu’il soit nécessaire de déployer beaucoup d’efforts à leur développement, car peu de pays au monde disposent de réseaux électriques capables de distribuer une puissance électrique de 1700 MW. Nos efforts doivent se concentrer sur l’amélioration de la sûreté du parc actuel et l’optimisation de ses systèmes.
Q : Vous venez de présenter les atouts du Hualong 1 qui est également l’option principale pour l’exportation de centrales nucléaires chinoises. Est-il compétitif sur le marché international ?
ZHAO : Les concurrents sur le marché international des centrales nucléaires sont les États-Unis, la France, le Japon, la Corée du Sud, la Russie et la Chine. Au cours de la dernière décennie, la Russie a enregistré le plus de succès grâce à :
ses avancées technologiques, en particulier en prenant des mesures de prévention et d’atténuation des conséquences des accidents graves, qui répondent pleinement aux exigences pour les réacteurs de génération III ;
ses capacités de fabrication d’équipements ;
des prix compétitifs par rapport à l’AP1000 et à l’EPR.
La Russie a donc remporté des contrats pour construire une vingtaine de tranches nucléaires sur le marché international ces dernières années, alors que l’AP1000 n’a trouvé de marché qu’en Chine et par la suite probablement au Royaume-Uni. Des EPR sont en construction au Royaume-Uni et pourraient être construits dans d’autres pays européens, mais en nombre limité. La Corée du Sud s’appuyant sur une synergie nationale, a remporté un contrat pour construire quatre réacteurs APR aux Emirats arabes unis grâce à son avantage de prix compétitif. La Corée du Sud peut également être un concurrent potentiel de la Chine.
Le Hualong 1 est un réacteur de troisième génération développé par la Chine avec les droits de propriété intellectuelle chinois dont la construction de la tête de série se poursuit actuellement sans accroc. La mise en service de celle-ci est prévue pour 2020. La capacité chinoise à construire le premier réacteur Hualong 1 en respectant le planning prévu et à assurer son exploitation dans des conditions sûres et fiables sera non seulement favorable au futur programme nucléaire chinois, mais permettra aussi de fournir un modèle pour aider au positionnement du nucléaire chinois à l’international. La Chine vise le Royaume-Uni pour exporter ses réacteurs Hualong 1, dont la procédure Generic Design Assessment (GDA)[1] est en cours d’examen.
Le coût de construction du Hualong 1 est compétitif par rapport à l’AP1000 et à l’EPR (entre 6 000 et 8 000 US$ kW installé) et moins cher que le VVER (4 000 US$ kW installé). Certes, il n’y a pas que le coût de construction qui compte lors de l’exportation d’une centrale nucléaire, il faut ajouter d’autres frais supplémentaires. En tout cas, nous devons continuer à améliorer sa compétitivité tant d’un point de vue technique qu’économique.
La Chine dispose de l’ensemble des activités industrielles nucléaires qui intéresseraient certains pays en développement, eux même manquant de capacités dans le domaine du cycle du combustible ou de compétences dans le domaine de l’ingénierie.
La Chine est capable de gérer la construction d’une trentaine de réacteurs simultanément comme en témoigne la réalisation de la tête de série des EPR et des AP1000.
Q : Quelle est la compétitivité du nucléaire par rapport à d’autres sources d’énergie propre ? Quel est l’impact du prix de marché sur la production d’électricité d’origine nucléaire ?
ZHAO : Le nucléaire est moins favorisé qu’il y a 10 ans où les centrales électriques à partir d’énergies renouvelables (solaire et éolien) étaient encore au début de leur développement. En outre l’opinion publique et l’ÉÉtat considéraient le nucléaire comme étant une option éprouvée en matière de technologie et de sûreté, capable de générer les fortes quantités d’électricité requises. Aujourd’hui, le nucléaire fait face au défi de l’éolien et du solaire dont l’intermittence de la production sera gérée grâce aux progrès réalisés dans le domaine du stockage de l’énergie. A voir comment l’ÉÉtat fera pour équilibrer la répartition de ces énergies décarbonées.
Le parc nucléaire chinois est composé de deux types de réacteurs. Les réacteurs de génération II améliorée présentent un bon niveau de sûreté, une technologie en maturité et un coût de construction maîtrisée, dont le tarif de référence à 0,43 yuan/kW ne devrait pas poser de problème dans l’ouverture à la concurrence du marché de la fourniture d’électricité. Quant aux réacteurs de génération III tels que le Hualong 1 et le CAP1400, leur coût de construction par kW installé devrait augmenter de 20 % par rapport aux réacteurs de génération II améliorés en raison des mesures prises pour répondre aux exigences de sûreté plus élevées. Un autre problème doit être signalé. Il s’agit de la durée de remboursement des prêts, qui est fixée à 15 ans tant pour une centrale nucléaire conçue pour une exploitation de 40 ans que 60 ans. Un arrangement sur le délai aiderait à baisser le tarif d’électricité notamment pour les premières années d’exploitation d’une nouvelle centrale nucléaire.
Les centrales nucléaires sont considérées comme des sources d’électricité de base car elles reposent sur une technologie dont les coûts fixes sont élevés et les coûts variables faibles. Au fur et à mesure que la part de l’énergie nucléaire dans le bouquet énergétique en Chine augmente, les électriciens sont appelés à mettre en œuvre les capacités de fonctionnement en régime flexible de leurs centrales. Le fonctionnement de celles-ci en mode de suivi de charge ne pose pas de problème technique, mais nécessite des mesures complémentaires pour en assurer la sûreté.
Aujourd’hui, 20 % de la production d’origine nucléaire est soumise à la concurrence du marché de l’électricité en Chine. Dans le cadre d’une ouverture totale à la concurrence, la production nucléaire ne serait plus rentable notamment en raison des activités trop peu diversifiées des électriciens nucléaires chinois.
Dans cette optique, il faudrait insister sur l’enjeu du nucléaire en tant que fondation de la stratégie nationale de la Chine à l’instar des États-Unis qui n’ont jamais abandonné leur R&D bien qu’ils n’aient pas construit beaucoup de nouveaux réacteurs nucléaires ces dernières années. Les États-Unis visent ainsi à se préparer à se positionner comme leader mondial lors de la prochaine compétition.
Q : Les SMR ont attiré un intérêt international, dont l’économie fait l’objet d’un débat. Qu’en pensez-vous ?
ZHAO : Dans la conception des SMR chinois, de nombreux concepts avancés ont été adoptés, y compris le recours aux systèmes de sûreté passive. Cependant, il ne s’agit que des « réacteurs en taille réduite », qui nécessiteraient des efforts complémentaires pour simplifier leurs systèmes.
Sans design innovant, les SMR chinois feront aussi face aux coûts de construction. Le NuScale, un SMR américain et le SMART, un SMR développé par les Coréens ont adopté des innovations dans le domaine des systèmes de sûreté passive et de la simplification des systèmes de sûreté active.
Pour réduire les coûts de construction, il est important que les SMR soient réalisés en usine sous forme de modules industrialisés directement installables sur site. Le déploiement des SMR pour produire de l’électricité ne présente pas un grand intérêt en Chine à l’exception des sites isolés, mais leurs applications non électrogènes sont intéressantes : chaleur, dessalement, cogénération, notamment pour le chauffage urbain dans le Nord de la Chine.
La sûreté des SMR pour le chauffage urbain dans le Nord de la Chine, leur compétitivité économique et l’acceptabilité publique : tels sont les grands défis auxquels sont confrontés les instituts de design impliqués dans le développement des SMR.
Q : Pour les réacteurs de grande puissance comme le Hualong 1 (1000 MWe), quels seront les travaux d’amélioration pour les optimiser ?
ZHAO : Cette question devrait être traitée par nos instituts de design. Je sais qu’ils ont déjà travaillé là-dessus. Je considère que les améliorations devraient être apportées essentiellement sur la sûreté et l’économie.
Dans le domaine de la sûreté, il faut mettre l’accent sur le développement de l’EATF (Enhanced Accident Tolerant Fuel), un combustible plus résistant aux situations accidentelles graves et notamment aux pertes de refroidissement. Westinghouse se place au premier rang en la matière, alors que la Chine a mis en place un centre de R&D en regroupant les compétences de plusieurs acteurs pour développer des combustibles avancés.
Les efforts doivent également être focalisés sur la digitalisation et la robotisation qui offrent un relai important de compétitivité, et de nombreux atouts pour la sécurisation des réacteurs numérisés, la simplification des opérations d’entretien et de maintenance.
Il faut envisager d’autres améliorations techniques pour optimiser et simplifier les systèmes des réacteurs. De nombreuses questions méritent d’être approfondies. Par exemple, tous les nouveaux réacteurs construits en Chine et à l’étranger sont équipés d’une double coque pour les protéger contre une chute de gros avion. Cette nouvelle structure a entrainé une augmentation non négligeable du coût. S’agirait-il vainement d’une option unique ? Le parc nucléaire chinois étant doté essentiellement des réacteurs de génération II améliorée qui ne sont pas équipés d’une double coque, comment remédier à leur différence face à ces nouvelles exigences ?
Le Japon a autorisé le redémarrage d’une dizaine de réacteurs après l’accident de Fukushima. Lors de ma visite dans ce pays en 2018, mes interlocuteurs japonais m’ont expliqué que ces réacteurs avaient été examinés conformément aux normes de sécurité les plus strictes, y compris celles sur la résistance à des chutes d’avion. Comme les enceintes de réacteurs japonais que j’ai visitées n’étaient pas complétées par de nouvelles structures en béton, il est certain que d’autres mesures technologiques ont été prises pour résister à des chutes d’avion.
Sur cette question, la NNSA a demandé à chaque centrale nucléaire de disposer d’une capacité de résistance en fonction de ses conditions de site sans imposer l’installation d’une double coque.
Pour les réacteurs à exporter, les technologies fournies doivent satisfaire les besoins des clients.
Q : Dans un contexte caractérisé par une friction commerciale de longue durée entre la Chine et les États-Unis, quels sont les défis auxquels les acteurs du nucléaire chinois font face pour se positionner à l’international ? Quelles seront les précautions à prendre pour prévenir les risques ?
ZHAO : Le positionnement du nucléaire chinois à l’international et la vente des AP1000 par les États-Unis à la Chine répondent à l’intérêt des deux pays. La Chine a pris de grands risques pour réaliser les quatre premiers réacteurs AP1000, y compris en essuyant des pertes économiques occasionnées. Si la Chine ne s’était pas engagée dans la construction des AP1000, il aurait été difficile de dire quel serait l’état de développement de cette technologie américaine aujourd’hui. Dans cette logique, les États-Unis devraient remercier la Chine pour avoir absorbé beaucoup de risques dans la construction de la tête des séries et fourni une expérience précieuse à Westinghouse.
En 2019, les États-Unis ont changé leur politique nucléaire vis-à-vis de la Chine, imposant des restrictions à la coopération entre les deux pays. Ces restrictions peuvent avoir des conséquences sur certaines entreprises chinoises à court terme. Cependant, les capacités de l’industrie nucléaire chinoise n’ont pas été affectées dans son ensemble et les acteurs chinois sont incités à développer davantage l’innovation. Je crois que peu importe le pays, la coopération est toujours mutuellement bénéfique.
Le programme nucléaire chinois a démarré tardivement, en se basant essentiellement sur la maitrise progressive des technologies importées. Aujourd’hui, la Chine dispose d’une industrie électronucléaire complète sur son territoire, et a développé un réacteur de génération III. D’un point de vue objectif, il y a encore un écart entre la Chine et les pays avancés notamment les États-Unis dans le domaine du nucléaire civil. L’AP1000, un réacteur révolutionnaire, utilise des systèmes passifs pour la sûreté, un mode modulaire pour la construction et une simplification et une réduction du nombre de composants, reflétant l’intensification des efforts menés dans les domaines de la sûreté et de la réduction des coûts. Il est vrai que de nombreuses difficultés ont été rencontrées lors de la construction des AP1000 en Chine et des améliorations seront nécessaires pour surmonter ces obstacles. Malgré tout, les acteurs du nucléaire chinois doivent encore intensifier leurs efforts d’innovation en termes de sûreté, de coûts et d’acceptabilité lors du développement des réacteurs de génération IV ou des SMR.
Pour devenir une puissance en matière de nucléaire civil, la Chine doit montrer ses capacités non seulement dans les domaines de la construction de centrales nucléaires et de la fourniture d’équipements, mais surtout dans le domaine technologique. La raison pour laquelle les États-Unis ont imposé des contraintes à la Chine est probablement liée à leur crainte d’être dépassés par celle-ci.
Pour pouvoir effectivement dépasser les États-Unis, il faudrait mieux valoriser nos capacités d’innovation et améliorer la performance globale de la filière grâce notamment à l’intégration des acquis technologiques de pointe dans le secteur nucléaire.
[1] Une GDA est accordée lorsqu’un système nucléaire de génération de vapeur remplit l’ensemble des exigences légales relatives à la sécurité, la sûreté et l’impact environnemental, en vigueur en Grande-Bretagne. Cette pré-homologation est indépendante du site et constitue une condition préalable à des demandes de construction spécifiques.