Obligations vertes, nucléaire et taxonomie

En octobre l’Union européenne (UE) lancera ses premières « obligations vertes » pour financer le plan de relance post-covid. Un dispositif qui « ne pourra en aucun cas bénéficier au nucléaire », a affirmé Johannes Hahn, le commissaire européen au Budget et à l’administration. La raison : la labélisation comme « investissement vert/durable » du nucléaire est toujours suspendue au projet de taxonomie dont la finalisation est attendue pour 2022.
L’Union européenne (UE) qui a l’ambition d’atteindre la neutralité climatique d’ici 2050, a lancé en 2018 un projet de « taxonomie européenne » visant à orienter les investissements des marchés financiers vers des activités dites « durables ». La « taxonomie », ou parfois « taxinomie », désigne en français la science des lois de la classification. Il s’agit donc pour l’Union européenne de définir et de labelliser les activités qui pourront bénéficier de ce mécanisme de financement. L’objectif de l’UE est d’émettre, dans le cadre du plan de relance post-covid, jusqu’à 250 milliards d’euros d’obligations vertes d’ici à 2026.
Des obligations vertes basées sur le 1er acte délégué de la taxonomie
Le 1er acte délégué sur la taxonomie, officiellement publié en avril 2021, inclut les énergies renouvelables et exclut le gaz et le nucléaire, qui feront l’objet d’un Acte délégué complémentaire. Bien qu’indéniablement reconnu comme un moyen de lutte contre le réchauffement climatique par le premier groupe d’experts (le TEG), ce dernier a recommandé que des travaux techniques plus poussés soient entrepris, par des experts ayant une bonne connaissance du cycle de vie (ACV), sur le critère du « non-préjudice significatif à l’environnement » (Do not significant harm (DNSH)). Les conclusions de plusieurs groupes d’experts ont ainsi été publiées et la décision de la Commission européenne est attendue pour 2022.
« Le caractère « vert » ou « durable » des obligations qui seront émises en octobre a été défini selon ce premier acte délégué et celles-ci n’incluent donc pas le nucléaire », précise Nicolas Goldberg, expert en énergie chez Colombus Consulting. « Certains usages limités du gaz ont été inclus mais ils ne concernent pas la production d’électricité, seulement des réseaux de chaleur, convertibles aux énergies renouvelables et de récupération. Tous les moyens de production électriques qui émettent plus de 100 g CO2/kWh sont exclus ». Pour rappel, selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), le nucléaire émet 12g CO2/kWh, le gaz 490g CO2/kWh, le charbon 820 g CO2/kWh.
Un débat politique
La décision revient au Parlement européen qui débat à la fois sur l’inclusion du nucléaire et du gaz comme « énergie de transition ». Néanmoins, les impacts sanitaires et environnementaux du cycle de vie des activités nucléaires ont déjà fait l’objet de nombreuses études et rapports internationaux de référence comme en 2016 avec le rapport de la Commission économique pour l’Europe des Nations unies (UNECE) et l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Le corpus scientifique existant permet de conclure dès aujourd’hui que l’industrie nucléaire européenne satisfait déjà l’exigence DNSH sur l’ensemble des critères étudiés. L’activité nucléaire est par ailleurs déjà soumise à l’exigence DNSH au sein de l’UE par la directive 2011/70/Euratom.
De plus les conclusions des rapports des experts européens, notamment celui du Centre commun de recherche (CCR/JRC), allaient dans le sens de l’inclusion du nucléaire. « Les analyses n’ont révélé aucune preuve scientifique que l’énergie nucléaire nuit plus à la santé humaine ou à l’environnement que les autres technologies de production d’électricité déjà incluses dans la taxonomie en tant qu’activités soutenant l’atténuation du changement climatique », concluait le CCR[1].
L’UE, un soutien de poids au développement d’infrastructures
L’enjeu est de permettre le développement d’infrastructures bénéfiques à la transition énergétique et à l’atteinte de la neutralité carbone 2020. « L’Union européenne joue un rôle prépondérant car elle permet de débloquer des financements à moindre coût sur le long terme et de favoriser le développement, y compris pour des pays qui pourraient rencontrer des difficultés à se financer à taux intéressant sur les marchés par exemple », explique Nicolas Goldberg. « Les emprunts sont fortement garantis, donc à faible taux, mais ils sont généralement un facteur de croissance du PIB vu qu’ils financent des infrastructures ». C’est donc de « la fausse dette ».
Ces financements permettront, par exemple, de financer la transition énergétique des pays encore très dépendants du charbon notamment la Pologne et la Bulgarie. La France défend l’inclusion du nucléaire, socle pilotable et bas carbone dans la taxonomie, comme l’a rappelé fin août Bruno Le Maire, le ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance. La République tchèque, la Roumanie, la Slovaquie, la Hongrie, la Slovénie et la Pologne soutiennent également l’inclusion du nucléaire pour la décarbonation et le développement de leur économie. Parmi les pays s’opposant à l’inclusion du nucléaire se trouvent notamment l’Allemagne, le Danemark, le Luxembourg et l’Espagne.
3/3 Présidence française de l’ @UEFrance : Le nucléaire doit être dans la #taxonomie européenne », a déclaré @BrunoLeMaire #REF21 @BertilleBayart pic.twitter.com/EBiHs6d4jz
— Sfen (@SFENorg) August 26, 2021
Voir page 7 : https://ec.europa.eu/info/sites/default/files/business_economy_euro/banking_and_finance/documents/210329-jrc-report-nuclear-energy-assessment_en.pdf