NZIA et Hydrogène bas carbone : batailles à Bruxelles sur l’énergie nucléaire
Alors que l’Union européenne doit avancer rapidement sur plusieurs textes concernant la compétitivité industrielle et la décarbonation de l’économie, une opposition systématique à la contribution du nucléaire ralentit les avancées nécessaires. Le cas des discussions sur le Net Zero Industry Act et l’hydrogène bas carbone, actuellement en débat à Bruxelles, est symptomatique.
L’Union européenne a bien reconnu en septembre[1] dernier que l’énergie nucléaire était une énergie « verte » comme recommandé par son centre de recherche (Joint Research Centre). En conséquence, l’atome a été inclus logiquement dans la taxonomie. Pourtant, la question de son inclusion dans de nombreux dispositifs européens de décarbonation continue à générer de difficiles négociations, au point de conduire à un manque de continuité et de cohérence d’un texte à l’autre. Conséquence : l’Union perd du temps face aux Américains, et laisse ses industriels dans l’incertitude.
Net Zero Industry Act (NZIA) : dans le bon sens, mais encore flou
La Commission a proposé vendredi 17 mars sa première mouture du Net Zero Industry Act (NZIA). Ce texte est présenté comme un nouveau « Green Deal » industriel pour améliorer la compétitivité de l’industrie européenne. Il est censé répondre à l’Inflation Reduction Act américain (IRA), très protectionniste pour ses entreprises et ses industries. Il doit également soutenir la transition rapide vers la neutralité climatique.
Selon la Présidente de la Commission Ursula von der Leyen, le NZIA permettra aux secteurs industriels concernés de bénéficier d’une simplification des procédures réglementaires (délivrance simplifiée et accélérée des permis), d’une accélération de l’accès au financement (cadre temporaire de crise pour les aides d’état), de programmes de formation, et d’accords commerciaux. Ce texte est une étape symbolique forte pour le futur de l’industrie européenne et sa décarbonation.
Selon Euractiv[2], les discussions se sont poursuivies jusqu’à la dernière minute entre les commissaires pour savoir si l’énergie nucléaire serait incluse ou non dans la liste des technologies bénéficiaires. La France, via le ministre de l’Économie Bruno Le Maire, avait déclaré qu’elle irait « jusqu’au bout » pour que le nucléaire soit inclus. Des débats internes à la Commission d’autant plus décalés que l’IRA fait la part belle au nucléaire[3] : crédits d’impôt aux centrales existantes, soutien au développement des réacteurs avancés, subventions aux usines du cycle du combustible.
Le texte présenté vendredi 17 mars inclut finalement le nucléaire, mais de manière relativement floue. Ainsi, il est bien cité parmi les technologies définies comme étant « net zero » (article 3), mais n’est bizarrement pas inclus dans les technologies dites « stratégiques ». Relativement incompréhensible alors que le nucléaire est, avec 25 % de l’électricité produite dans l’Union, la première source de production bas carbone en Europe. Et il satisfait tous les critères énoncés pour être considérés comme « stratégique », quant à sa maturité technologique, et les contributions qu’il apporte à la décarbonation, à la compétitivité, et à la sécurité d’approvisionnement. Le texte reste pourtant vague sur l’impact concret de cette distinction.
Aussi, le texte limite la définition de « net zero » appliquée au nucléaire de manière restrictive à « des technologies avancées pour produire de l’énergie à partir de processus nucléaires avec un minimum de déchets, de petits réacteurs modulaires et les meilleurs combustibles associés ; des technologies de capture, d’utilisation et de stockage du carbone »[4]. Personne ne sait dire aujourd’hui ce que signifie « technologies avancées », ou ce que recouvre les « meilleurs combustibles associés ». Il serait particulièrement incompréhensible que ni le parc nucléaire européen ni les usines du cycle ne soient inclus, alors que les deux font l’objet de supports particuliers de l’IRA aux États-Unis.
Cette première proposition de la Commission doit maintenant être examinée par le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne.
Hydrogène bas carbone : des négociations toujours complexes et difficiles
La question de l’égalité de traitement entre hydrogène renouvelable et hydrogène bas carbone, qui comprend donc le nucléaire, dans la réglementation européenne continue de bloquer les négociations au niveau de deux dossiers clefs : d’une part, la révision de la directive sur les énergies renouvelables (RED III), d’autre part, la directive sur les marchés du gaz et de l’hydrogène.
Dans un courrier[5] adressé aux législateurs européens le 10 mars, une cinquantaine d’organisations issues de l’industrie européenne de la sidérurgie, des engrais, de la chimie, et du nucléaire – parmi lesquels on trouve la Sfen et nucleareurope – ont appelé à trouver un compromis en faveur de l’hydrogène bas carbone dans RED III. Les signataires appellent à prendre en compte d’une façon ou d’une autre l’hydrogène bas carbone (c’est-à-dire dont la production est issue du nucléaire) dans les quotas obligatoires de consommation d’hydrogène prévus pour l’industrie et les transports, jusqu’ici réservés à l’unique hydrogène renouvelable.
« Limiter ces objectifs à l’hydrogène renouvelable sans prendre en compte le potentiel de l’hydrogène bas carbone ralentirait le processus de décarbonation dans l’industrie lourde et les transports », préviennent les signataires, qui appellent les législateurs européens à « concevoir un cadre pragmatique pour l’hydrogène » fondé sur le caractère décarboné de sa production. Les trilogues doivent se poursuivre a minima jusqu’au 29 mars.
En parallèle, les discussions se sont poursuivies la semaine dernière en Comité des représentants permanents (Coreper) sur la directive sur les marchés du gaz et de l’hydrogène. Dans la plupart des mesures de la directive relative aux règles de marché de l’hydrogène, les États membres parviennent à faire converger leurs positions, à l’exception du rôle de l’hydrogène bas carbone. Il continue de susciter l’opposition d’une poignée de pays, à travers l’article 8a (sur l’hydrogène et les carburants bas carbone) proposé par la France et 7 autres pays. La présidence suédoise a l’ambition de décrocher un accord final entre États membres lors du Conseil des ministres de l’Énergie programmé le 28 mars.
Illustrant ces divisions, dans un courrier[6] en date du 16 mars, sept États (Allemagne, Autriche, Danemark, Espagne, Irlande, Luxembourg, Portugal) ont rejeté catégoriquement toute tentative de trouver un compromis pour reconnaitre le rôle de l’hydrogène bas carbone, à la fois dans RED III et au sujet de l’article 8a. Ces pays admettent tout de même que l’hydrogène bas carbone « pourrait jouer un rôle dans certains États membres » et qu’« un cadre réglementaire clair est nécessaire ». Mais ils suggèrent qu’une solution soit trouvée directement dans la directive sur l’hydrogène et le gaz, sans pour autant soutenir la proposition française. ■
Par Valérie Faudon, Déléguée générale de la Sfen, et Maxime Sagot, Direction Régulations d’EDF
Photo : Ursula von der Leyen, Présidente de la Commission européenne – ©JohnThys/AFP
[1] https://www.sfen.org/rgn/taxonomie-le-nucleaire-reconnu-technologie-verte-par-leurope/#:~:text=Le%20Parlement%20europ%C3%A9en%20ne%20s,atteindre%20les%20objectifs%20climatiques%20europ%C3%A9ens
[2] https://www.euractiv.fr/section/energie/news/industrie-verte-de-lue-la-commission-envoie-un-signal-positif-sur-le-nucleaire-selon-ses-defenseurs/
[3] https://www.energy.gov/ne/articles/inflation-reduction-act-keeps-momentum-building-nuclear-power
[4] En anglais : « advanced technologies to produce energy from nuclear processes with minimal waste from the fuel cycle, small modular reactors, and related best-in-class fuels; carbon capture, utilisation, and storage technologies ».
[5] https://www.euractiv.com/wp-content/uploads/sites/2/2023/03/10032023_Open-letter_consideration-of-low-carbon-hydrogen-annex.pdf
[6] https://www.euractiv.com/wp-content/uploads/sites/2/2023/03/20230316-Joint-Letter-RED-to-Commission-final.pdf