Le nucléaire au service des hommes et des océans - Sfen

Le nucléaire au service des hommes et des océans

Publié le 24 janvier 2020 - Mis à jour le 28 septembre 2021
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La mer est un écosystème fragile, en équilibre instable, qui subit de plein fouet les effets du changement climatique et de la pollution. L’élévation des températures et l’acidification des océans peuvent avoir des effets néfastes sur le milieu biologique marin ainsi que sur les populations environnantes. Dans ce contexte, certaines des applications du nucléaire peuvent venir en aide à l’homme et à son environnement marin.

Parmi les effets du changement climatique et de la pollution, on peut citer, s’agissant des océans, la prolifération des efflorescences algales (connues sous le nom de marées rouges) ou la modification des mécanismes de transfert et d’accumulation de divers contaminants dans les produits de la pêche (aussi appelés produits de la mer). Tout ceci a des conséquences sur la santé humaine, car la consommation de ces toxines ou de ces métaux lourds tels que le plomb ou le mercure peut entraîner de graves dysfonctionnements pouvant aller jusqu’au décès d’un individu. L’écosystème marin est également touché. Les algues, qui sont à la base de l’alimentation d’un certain nombre d’animaux, peuvent entraîner une surmortalité lorsque les efflorescences algales les contaminent. La présence de métaux lourds a des conséquences similaires sur ces populations. En outre, ces polluants peuvent migrer d’un étage à l’autre de la pyramide alimentaire, via le phénomène de bioacculumation [1]. 

Outre ces problématiques sanitaires et environnementales, le secteur économique est aussi impacté, comme c’est le cas des secteurs aquacole et de la pêche. En effet, en raison de ces contaminations, des zones d’élevage doivent fermer tandis que des normes sanitaires restreignent la liste des espèces susceptibles d’être pêchées, ainsi que leur taille. Par ricochet, les primes d’assurance augmentent. 

Pour pouvoir remédier à ces difficultés, des mesures correctives et préventives doivent être mises en place. Mais avant cela, il faut avoir une idée précise des polluants présents dans les espèces marines. C’est là que les techniques de mesure nucléaires entrent en jeu. Plusieurs d’entre elles sont utilisées, comme par exemple le dosage récepteur-ligand, dans le cas des marées rouges.

Un système de détection nucléaire rapide et fiable

Ce moyen de détection et de dosage s’intègre dans un système de mesure physico-chimique plus global, prenant en compte les interactions entre les produits de la mer et des membranes (des détecteurs biochimiques utilisés en laboratoire) représentant la destination de ces produits. Un tel système de détection de ces algues existait déjà, mais non basé sur des mesures nucléaires. Le principe était d’injecter directement des toxines issues de ces algues à des souris, pour ensuite mesurer leur durée de survie et la corréler aux concentrations de toxines. 

Le système de mesure nucléaire mis en place dans un certain nombre de pays, grâce à l’aide de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), est à la fois plus fiable et plus rapide que la méthode « classique » citée plus haut. Il s’agit de marquer les toxines avec un radio-isotope (par exemple l’oxygène 13 – O13 ou l’hydrogène 3 (tritium) – H3), ce qui les rend radioactives. Ces « témoins radioactifs » sont mis en contact avec des produits de la mer puis avec un tissu membranaire (détecteur) sensible à la (ou aux) toxine(s) recherchée(s). Il suffit alors de mesurer l’activité du tissu membranaire pour en extrapoler le niveau de contamination aux toxines des produits de la mer. Si l’échantillon n’est pas contaminé par les toxines, il ne reste que les « témoins radioactifs » sur le tissu membranaire. Cela veut dire que le produit de la mer est sain. 


Le système de mesure nucléaire mis en place dans un certain nombre de pays (…) est à la fois plus fiable et plus rapide que la méthode « classique », biochimique, effectuée en laboratoire


Cette méthode vient en complément ou en remplacement du dosage biologique, et l’AIEA travaille à son développement au sein des laboratoires à l’échelle internationale. Plus rapide et plus précise que le dosage biologique, elle permet de ne pas attendre le décès de la souris pour procéder aux mesures. En outre, la membrane peut être adaptée afin de détecter spécifiquement telle ou telle toxine, avec une sélectivité et donc une fiabilité que l’on ne retrouve pas dans les autres méthodes. Plusieurs expériences concluantes de l’application de cette méthode ont déjà été réalisées au Chili, en Namibie ou aux Philippines.

Les métaux lourds  sous surveillance

Les polluants tels que les métaux lourds, en particulier le mercure, ou d’autres polluants organiques tels que des microplastiques peuvent aussi se retrouver dans la mer et contaminer ses produits. En outre, la hausse de la température et de l’acidité des océans accentue la bioaccumulation de ces polluants dans les espèces vivantes, et pas dans le bon sens. En particulier, le mercure, un métal lourd extrêmement toxique provenant entre autres de l’exploitation de gisements aurifères et d’autres activités industrielles comme les centrales électriques à charbon, est étroitement surveillé car il se retrouve dans les végétaux et animaux marins. Or la consommation mondiale de produits de la mer a beaucoup augmenté ces dernières décennies, faisant de la contamination des produits marins un enjeu de santé publique. La convention de Minamata [2] sur le mercure a mis l’accent sur la prévention et la surveillance des taux de mercure dans l’environnement. Mais pour combattre l’ennemi, il faut d’abord le connaître et le quantifier. Là encore, l’expertise de l’AIEA dans le domaine de la métrologie est utilisée pour mettre au point et diffuser des systèmes de détection fiables et rapides, dont certains ne sont pas des systèmes de mesure nucléaire à proprement parler [3].

Pour bien quantifier le risque de contamination et de transfert à l’homme, des chercheurs du laboratoire de l’environnement de l’AIEA ont pu reproduire en laboratoire le processus de la digestion humaine à l’aide de différentes enzymes et de systèmes de broyage mécanique. Des produits de la mer sont soumis à ce système digestif artificiel. Différents modes de cuisson sont également testés, afin de vérifier leur incidence sur la contamination et la bioaccumulation des polluants. La quantification vient ensuite, par diverses méthodes, telles que la spectrométrie de masse par exemple.

Quantifier l’impact des plastiques

D’autres techniques innovantes sont en cours de mise au point. Dans le cas des microplastiques, par exemple, c’est la bioaccumulation et la transmission aux générations suivantes de poissons qui sont étudiées. En effet, les méthodes existantes, basées sur des comptages visuels, peuvent conduire à des erreurs et fausser les modélisations de bioaccumulation. 

Une des solutions pourra passer par le marquage, à l’instar de ce qui se fait pour les efflorescences algales. Des microplastiques radioactifs sont ingérés par des poissons élevés en laboratoire, et les mesures de radioactivité permettent le suivi de la bioaccumulation ainsi que des transmissions aux générations futures. Le tout dans une optique de surveillance des écosystèmes face aux polluants et de prévention.

Outre la mesure en elle-même, les sciences nucléaires seront dans ce cas utiles à la fabrication des microplastiques radioactifs, utiles à des fins d’études et de travaux de recherche. Trois techniques sont envisagées. Tout d’abord la fabrication de plastique à partir de matériaux directement radioactifs. Ensuite, l’incorporation de nanoparticules métalliques à l’intérieur de microbilles de plastiques. Enfin, une dernière technique consiste en l’encapsulation de nanoparticules de métal non radioactif dans du plastique. Ces billes seraient ensuite soumises à irradiation neutronique afin de rendre les nanoparticules radioactives. D’après les chercheurs, si les deux dernières méthodes n’ont pas encore été utilisées dans la cinétique de la bioaccumulation, elles permettraient  cependant d’atteindre des concentrations en microplastiques équivalentes à celles qu’on trouve dans l’environnement. On pourrait ainsi avoir des modèles plus pertinents et une surveillance de cette pollution plus efficace encore. Ces travaux sont coordonnés par les laboratoires environnementaux de l’AIEA, en particulier celui de Monaco.

Au gré du développement des systèmes de détection et de mesure de polluants dans l’environnement, l’AIEA a développé de multiples compétences dans le domaine de la formation, mais aussi dans l’élaboration de matériaux et d’échantillons de référence pour des procédures de contrôle qualité des laboratoires et des intercomparaisons, et pas seulement des échantillons radioactifs.

Depuis quelques années, les effets du changement climatique se font sentir sur la planète, comme l’a montré l’Obscop [4], une étude réalisée par EDF et IPSOS dans une trentaine de pays dans le monde. Créés à la base pour une tout autre mission (la diffusion des technologies civiles du nucléaire), les labo ratoires environnementaux de l’AIEA sont maintenant en capacité d’aider les pays et les populations à pouvoir détecter et quantifier les effets délétères du changement climatique et des activités humaines sur les produits de la mer en leur permettant d’adapter la surveillance des milieux marins, et d’accroître la sécurité sanitaire de l’alimentation venant de la mer. 


La bioaccumulation est la capacité des êtres vivants à accumuler certaines toxines, et donc à élever leur concentration. La concentration peut  alors atteindre des seuils de toxicité. 

Convention baptisée en référence à la ville japonaise de Minamata, où des milliers de personnes ont été empoisonnées par des effluents industriels contaminés au mercure. Adoptée le 10 octobre 2013, cette convention est pilotée par les Nations Unies et vise  à protéger la santé humaine et l’environnement des effets néfastes du mercure. 

Car ils ne mesurent pas la radioactivité. Cependant, ce sont des systèmes qui, dans une grande partie de leur équipement, ont bénéficié des avancées des travaux de R&D en mesure nucléaire.

Sondage publié en octobre 2019.


Par Alexis Quentin, chargé d’études, EDF. Photo © Shutterstock/Rich Carey