« Le nucléaire s’ancre-t-il dans l’utopie transhumaniste ? »
Scientifique, écrivain, penseur et entrepreneur, Laurent Alexandre multiplie les casquettes. Pour cet expert du mouvement transhumaniste – doctrine qui mise sur les nouvelles technologies pour abolir la maladie et la mort –, l’énergie nucléaire s’intègre difficilement dans ce projet de société. En cause : l’augmentation de ses couts. Pour Laurent Alexandre, « pro nucléaire depuis tout petit », le nucléaire est devenu l’« anti loi de Moore ». Entretien.
Co-fondateur de Doctissimo, Laurent Alexandre, 56 ans, est un chirurgien urologue, énarque, serial entrepreneur, et expert du mouvement transhumaniste. Ses domaines de prédilections : les neuro-technologies, l’intelligence artificielle et la génétique. Ses quatre start-up, situées en Amérique du Nord et en Europe, travaillent sur ces questions. Conférencier et observateur passionné de l’adaptation de la société aux vagues technologiques, Laurent Alexandre prend régulièrement la plume dans les journaux et est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont le fameux « La mort de la mort », ed JC Lattès.
À la question « que vous évoque le nucléaire ? », Laurent Alexandre répond du tac-o-tac qu’il s’agit « d’une des seules industries dont la productivité a baissé depuis 1950 ». « Le coût du kilowatt nucléaire est plus élevé en 2017 qu’il ne l’était au démarrage des premiers réacteurs ! » Pour le fondateur de Doctissimo, la filière n’arrive pas à réaliser suffisamment d’économies d’échelle. « Il y a eu des effets d’échelle par moments, comme en France entre 1970 et 1980, mais sinon les séries sont trop petites et les exigences réglementaires n’ont cessé de se renforcer. »
Ce manque de compétitivité pose « un énorme problème », estime-t-il. « Les énergies renouvelables ne sont pas prêtes aujourd’hui ». Et leur intermittence pourrait fragiliser le système si elles étaient développées à grande échelle : « Dans notre société hyperconnectée, la tolérance à des coupures d’électricité est nulle ». C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il n’accorde aucun crédit au scénario Négawatt : « Ces scénarios font des hypothèses très fortes qui pourraient entraîner des interruptions de courant ».
Pour Laurent Alexandre, le nucléaire a peu de place dans l’utopie transhumaniste : « Pour les transhumanistes, ce qui est important ce sont les croissances explosives, d’où leur fascination pour l’effondrement des coûts du séquençage ADN. Pour eux, ce qu’il y a de plus beau dans l’aventure industrielle c’est quand les courbes montent jusqu’au ciel. Dans le nucléaire, c’est le contraire ». La puissance de l’énergie nucléaire et les projets novateurs comme la fusion pourraient s’inscrire dans l’imaginaire transhumaniste. Toutefois, les retards connus sur les différents chantiers limitent l’intérêt des transhumanistes. « Les transhumanistes sont fascinés par le solaire qui leur rappelle la loi de Moore, selon laquelle la puissance informatique double tous les dix-huit mois. Pour eux, photovoltaïque et micro-processeurs, c’est la même technologie. »
Il estime qu’à moyen terme, l’énergie nucléaire sera concurrencée par le solaire photovoltaïque. « Le solaire aura une part croissante. Son rendement va passer de 20 % aujourd’hui à 60 % dans quelques décennies. En parallèle, son coût va continuer de diminuer. Le photovoltaïque devrait devenir l’énergie la plus compétitive. » Pour continuer à être dans la course, l’industrie nucléaire devra créer des petites séries (effets de séries) et, « construire les réacteurs plus rapidement qu’aujourd’hui ! », les chantiers qu’elle entreprend. Laurent Alexandre observe ainsi avec intérêt l’émergence de start-up dans le nucléaire et leur financement par de riches entrepreneurs comme Bill Gates. « Pourra-t-on avoir un Space X nucléaire ? » s’interroge-t-il, faisant référence à l’entreprise d’Elon Musk qui a réussi à développer un lanceur de fusée réutilisable à des prix défiant toute concurrence. Laurent Alexandre tempère et ajoute : « Le développement de ces petits réacteurs va prendre du temps. D’ici là, le solaire pourrait être une solution bien plus compétitive ».
Dans ce futur proche, le chirurgien prédit que la société aura un autre visage, convaincu que la puissance de l’informatique rendra l’homme surpuissant, immortel… ou esclave de l’intelligence artificielle dont il aura perdu le contrôle… « Demain, les technologies NBIC – Nanotechnologie, Biotechnologie, Informatique, Cognitique [1] – vont nous permettre de lutter contre la mort, la vieillesse et la maladie grâce à une médecine de combat. Il deviendra possible de réparer nos cellules, de créer des organes de rechange, d’intégrer dans notre corps des implants électronique, d’interfacer nos cellules avec des composants informatiques, etc. ». Et de conclure, sur le ton d’un lanceur d’alerte : « l’intelligence artificielle va bouleverser notre vie et rendre inutile les emplois les moins qualifiés. Nous devons nous y préparer. »
Crédit photo : Jean Chiscano
Science du cerveau et intelligence artificielle.