Le nucléaire et ses « externalités »
Le coût des externalités des moyens de production électrique permet de mesurer l’impact environnemental de chaque technologie. La méthodologie n’est pas simple et nourrit abondamment la littérature scientifique. Une étude de la Sfen, présentée à l’AIEA, souligne l’écart majeur qui existe entre les énergies bas carbone, dont fait partie le nucléaire, et les énergies fossiles.
Au début de l’année 2023, la Sfen publiait une note technique intitulée « Combien coûte le nucléaire ? – Économie du nucléaire dans le système électrique », qui faisait le point sur les méthodes et les évaluations recensées dans la littérature pour examiner les différents coûts du kWh d’électronucléaire. La note se concluait sur la question des coûts externes, ceux qui n’étaient pas facturés aux usagers du réseau électrique. Étaient-ils du même ordre de grandeur que le coût de production ? Qu’en était-il des autres moyens de production ? Que se passerait-il si les consommateurs venaient à payer effectivement ces coûts ? C’est à ces questions qu’un autre travail de recherche conduit à la Sfen (présenté dans le cadre de la deuxième conférence Atoms4NetZero organisée par l’AIEA du 9 au 13 octobre 2023 et consacrée au rôle de l’énergie nucléaire pour la lutte contre le changement climatique), essaye d’apporter des réponses.
Qu’est-ce que le « coût » du nucléaire ?
Qu’entend-on par coût ? Le coût d’un bien ou d’un service définit l’équivalent monétaire de la production de ce bien ou de ce service, ce qui inclut le capital immobilisé (les machines nécessaires à la production) et les éventuelles consommations intermédiaires (telles que le diesel des camions pour le transport du béton nécessaire à la construction d’une centrale), ou même la nourriture qui permet aux humains d’être en capacité de conduire ces camions. Une telle définition suppose de tenir l’argent pour une sorte d’étalon par lequel la valeur de n’importe quoi peut s’exprimer – une fonction aujourd’hui très critiquée dans la littérature car elle rend toutes choses commensurables entre elles. Pour comparer des choux et des carottes, il « suffit » de connaître le prix1 du kg de choux et celui du kg de carottes. Pourtant, dans la production de ces choux et de ces carottes, certains flux de matières et d’énergie non médiés par les institutions humaines de la sphère productive (essentiellement les marchés dans nos économies libéralisées) ne semblent pas avoir reçu d’équivalent monétaire : le rayonnement solaire, le gaz carbonique pour la croissance des plantes, etc. Dans ces circonstances, la « valeur totale » de nos légumes n’est pas représentée par son équivalent monétaire.
C’est l’arbitraire de l’histoire des institutions économiques qui décide de l’exclusion ou non de ces différents flux dans la sphère économique. Lorsque la température de l’atmosphère est devenue un sujet vital pour nos sociétés, ont été instaurés des mécanismes de marché destinés à réguler les émissions des gaz responsables du réchauffement de l’atmosphère. Ainsi, aujourd’hui, le flux de matière des gaz à effet de serre générés par certaines activités (pas toutes) est intégré comme un coût, ce qui n’était pas le cas hier.
Les externalités : objectiver les impacts réels de la production
On appelle externalités positives ou négatives2 d’un produit ou d’un service leurs effets qui ne trouvent pas de transcription monétaire dans leur coût final. D’après la théorie économique orthodoxe, de tels « trous dans la raquette » conduisent à des défaillances de marché : mauvaise allocation des ressources, utilité des agents sous-optimale, etc. Des taxes peuvent être implémentées pour combler le fossé entre le « coût privé », celui que paye effectivement le consommateur, et le « coût social » ou « coût environnemental », celui qu’aurait dû payer le consommateur si l’ensemble des flux physiques était facturé. Lorsqu’au global, des externalités positives sont générées, le coût privé est plus faible que le coût social ; lorsque les externalités sont globalement positives, c’est le contraire.
La méthodologie standard pour évaluer l’impact de la production d’un service ou d’un produit sur toute sa durée de vie, « du berceau à la tombe » – ce qui revient à dresser l’inventaire de ces flux physiques de matières et d’énergie impliqués dans sa production – est l’Analyse en cycle de vie (ACV). Dans son étude, la Sfen reprend le cadre de référence établi par la Commission européenne, « l’empreinte environnementale ». Ce cadre exhaustif compte 16 indicateurs et couvre les thèmes de la santé humaine, des écosystèmes non humains, et de l’épuisement des ressources.
La production d’électricité est à la fois un facteur important de l’empreinte environnementale globale de nos économies (responsable de 42 % de nos émissions globales de CO2 en 20223) et également un levier important pour réduire notre empreinte (carbone, mais pas uniquement). Quasiment tous les scénarios de prospective énergétique se fondent sur une augmentation de la consommation électrique. L’ACV a donc été massivement utilisée dans le milieu académique pour évaluer les impacts des différents moyens de production d’électricité afin d’objectiver des aspects comme l’empreinte carbone ou l’empreinte matière de différents mix électriques4.
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