L’Allemagne ferme ses derniers réacteurs nucléaires

Le samedi 15 avril 2023, l’Allemagne a fermé ses trois derniers réacteurs nucléaires qui représentaient encore 6 % de la production électrique en 2022. Un aboutissement de la politique antinucléaire du gouvernement à contre-courant de la lutte contre le changement climatique. La fermeture de ces trois unités représenterait des émissions supplémentaires de CO2 de l’ordre de 30 millions de tonnes par an, par rapport à un scénario où elles auraient été conservées.
Depuis le 1er janvier 2022, l’Allemagne ne comptait plus que trois réacteurs nucléaires : Emsland (1 300 MW), Isar 2 (1 400 MW) et Neckarwestheim 2 (1 300 MW). Ces trois unités devaient au départ être fermées au 31 décembre 2022 mais le gouvernement a finalement été contraint de les prolonger jusqu’à la fin de l’hiver en raison de la crise énergétique[1]. En 2022, elles ont représenté 6 % de la production d’électricité allemande et plus de 1 000 TWh, à elles trois, pendant la durée de leur exploitation[2] soit plus de deux ans de la consommation électrique de la France. Les trois irréductibles devront s’éteindre ce samedi 15 avril 2023 alors que les énergies fossiles restent importantes dans le mix électrique allemand.
Production électrique 2022 : état des lieux
Le mix électrique de l’Allemagne est souvent présenté de manière à servir différents narratifs. Par exemple, la houille est parfois séparée du lignite ce qui fait de facto de l’éolien (sur terre et sur mer) la filière la plus productrice d’électricité en Allemagne. Afin d’y voir plus clair, faisons l’état des lieux de la production électrique plus de 10 ans après le tournant énergétique allemand. Pour ce faire, retenons ici trois découpages classiques :
- Fossiles & énergies bas carbone : si l’on retient ces deux catégories, le bas carbone domine avec la production de près de 290 TWh contre 260 TWh pour les fossiles.
- Fossiles, renouvelables & nucléaire : en divisant la catégorie bas carbone, les énergies fossiles repassent devant, le nucléaire ayant produit 35 TWh et les énergies renouvelables 254 TWh.
- Ventilation par source d’énergie : avec une distinction par source d’énergie, c’est le charbon qui arrive en première place avec une production de 180,6 TWh (Lignite 116,2 TWh, houille 64,4 TWh), viens ensuite l’éolien 125,3 TWh (100,2 TWh produits sur terre et 25,1 TWh en mer), le gaz avec 79 TWh, le photovoltaïque avec 44,6 TWh, le nucléaire avec 35 TWh et l’hydraulique avec 17,5 TWh.

Des émissions de CO2 supplémentaires de l’ordre de 30 millions de tonnes
Si dans les années 2010, la priorité avait été donnée à l’arrêt des centrales au lignite en conservant le parc nucléaire, on peut imaginer que ce serait presque chose faite. En effet, le parc nucléaire d’une capacité de 20 GW produisait 140 TWh en 2010, contre 35 TWh avec 3 réacteurs aujourd’hui. Pour rappel les centrales au lignite, un charbon de mauvaise qualité, ont généré 116 TWh en 2022.
Par ailleurs, en considérant que l’arrêt de la production électrique des trois dernières unités le 15 avril 2023 amène à conserver autant de production de centrales au lignite et en supposant que celle-ci se substitue à la production nucléaire manquante dans le ‘merit order’[3], cela provoquerait en Europe des émissions supplémentaires supérieures à 30 millions[4] de tonnes de CO2 par rapport à un scénario où les réacteurs auraient continué à fonctionner.
Plusieurs études alertent sur les impacts économiques et sanitaires de fermetures prématurées
Une étude pour évaluer les impacts de la fermeture des réacteurs en Allemagne de l’université californienne de Berkeley rapporte un surcoût annuel de 12 milliards de dollars. Ce chiffre intègre différents éléments comme le surcoût lié aux émissions de CO2 mais surtout l’augmentation de la pollution à proximité des centrales thermiques causant 1 100 morts prématurées supplémentaires par an. Une autre étude de plusieurs chercheurs américains, notamment du Massachusetts Institute of Technology (MIT), dont la Sfen publiera prochainement un décryptage a quant à elle estimé que la fermeture de toutes les centrales nucléaires aux US entraînerait une surmortalité de 9 000 personnes par an.
L’opinion publique favorable à une prolongation
Plusieurs sondages montrent qu’une majorité d’Allemands sont en faveur d’une prolongation des trois dernières unités. Tout d’abord, en août 2022, les résultats d’un sondage ARD-DeutschlandTrend montraient que seule une minorité d’Allemands (15 %) souhaitaient arrêter les trois derniers réacteurs nucléaires du pays d’ici la fin de l’année. Enfin, plus récemment, dans une enquête de l’institut YouGov, 32 % des sondés se sont prononcés en faveur d’une prolongation temporaire au-delà du 15 avril et 33 % d’une prolongation durable. Ainsi, seulement 26 % des Allemands soutiennent la sortie du nucléaire à cette échéance. Selon le sondage, il n’y a que parmi les sympathisants des Verts qui trouvent une majorité (56 %) pour la sortie du nucléaire bien qu’on soit loin de l’unanimité, et ce dans un parti à la génétique antinucléaire. ■
Gaïc Le Gros (Sfen)
Crédit photo ©Shutterstock – La centrale nucléaire d’Isar en Basse-Bavière compte début 2023 un réacteur Konvoi en exploitation.
[1] Non sans provoquer de vives discussions politiques, même au sein d’un parti comme « Les Verts » https://www.spiegel.de/international/germany/habeck-s-meltdown-nuclear-energy-standby-proposal-has-germany-s-greens-seeing-red-a-8825c5c4-91bf-41c9-a4d9-4d6a91856ce2
[2] AIEA-PRIS, 1988-2021.
[3] La logique du ‘merit order’ (ou préséance économique) consiste simplement à faire appel aux unités de production suivant leur coût marginal de production (croissant dans une logique de rationalité économique).
[4] Remplacement d’une production de 35 TWh (2022) avec des centrales au lignite à 1000 g CO2/kWh.