L'AIE appelle l'Europe à miser sur le nucléaire et les renouvelables pour se passer du gaz russe - Sfen

L’AIE appelle l’Europe à miser sur le nucléaire et les renouvelables pour se passer du gaz russe

Publié le 18 mars 2022 - Mis à jour le 22 mars 2022

Dès le début du conflit en Ukraine, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) présentait un plan en 10 points à l’adresse des acteurs de l’Union européenne pour réduire leur dépendance aux importations de gaz russe. Parmi les mesures concernant le secteur électrique, le nucléaire a un rôle clef à jouer en tant que moyen pilotable bas carbone en substitution aux centrales au gaz.

Le 3 mars 2022, dans le contexte de l’invasion russe en Ukraine, le Président de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), Fatih Birol, présentait un plan en 10 points à l’adresse de l’Union européenne pour réduire sa dépendance aux importations de gaz russe. En 2021, l’UE importait par jour en moyenne 380 millions m3 de gaz russe via pipeline, ce qui représente 140 milliards m3 de gaz (bcm[1]). L’AIE estime que l’application des 10 mesures pourrait résulter en la réduction de plus d’un tiers de gaz, soit environ 50 bcm dans l’année, tout en poursuivant la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre (GES).

Les 10 points :

  1. Ne pas signer de nouveaux contrats de fourniture de gaz avec la Russie. [Impact : permet une plus grande diversification de l’approvisionnement cette année et au-delà].
  2. Remplacer les approvisionnements russes par du gaz provenant de sources alternatives [Impact : Augmente l’approvisionnement en gaz non russe d’environ 30 milliards de mètres cubes en un an].
  3. Introduire des obligations minimales de stockage de gaz [Impact : améliore la résilience du système gazier d’ici l’hiver prochain].
  4. Accélérer le déploiement de nouveaux projets éoliens et solaires [Impact : réduit la consommation de gaz de 6 milliards de mètres cubes en un an].
  5. Maximiser la production d’électricité à partir de la bioénergie et du nucléaire [Impact : réduit la consommation de gaz de 13 milliards de mètres cubes en un an].
  6. Adopter des mesures fiscales à court terme sur les bénéfices exceptionnels afin de protéger les consommateurs d’électricité vulnérables contre les prix élevés [Impact : réduction des factures d’énergie même lorsque les prix du gaz restent élevés].
  7. Accélérer le remplacement des chaudières à gaz par des pompes à chaleur [Impact : Réduction de la consommation de gaz de 2 milliards de mètres cubes supplémentaires en un an].
  8. Accélérer les améliorations de l’efficacité énergétique dans les bâtiments et l’industrie [Impact : réduction de la consommation de gaz de près de 2 milliards de mètres cubes en un an].
  9. Encourager les consommateurs à réduire temporairement leur thermostat de 1 °C [Impact : réduction de la consommation de gaz de quelque 10 milliards de mètres cubes en un an].
  10. Intensifier les efforts pour diversifier et décarboner les sources de flexibilité du système électrique [Impact : Relâcher les liens forts entre l’approvisionnement en gaz et la sécurité électrique de l’Europe].

 

Parmi ces mesures, celles concernant le secteur électrique qui représente un gisement potentiel de 19 bcm, sont d’un intérêt tout particulier compte tenu de l’actualité des marchés de l’électricité.

Premièrement, le point 4 de l’AIE vise à poursuivre le déploiement des énergies renouvelables -solaire et éolien- déjà estimé à 100 TWh d’énergie supplémentaire pour l’année 2022 et même accélérer ce déploiement. En ajoutant l’équivalent en capacité de 35 TWh supplémentaire d’énergie d’origine renouvelable, l’AIE estime que l’UE pourrait réduire de 6 bcm ses importations de gaz russe.

Deuxièmement (point 5 de l’AIE), il faut maximiser la production des capacités pilotables bas carbones, qu’ils s’agissent de centrale biomasse ou nucléaire. Enfin (point 6 de l’AIE), compte tenu de la formation des prix sur les marchés de l’électricité[2], il faut, selon l’AIE, mettre en œuvre des mesures temporaires pour protéger les consommateurs vulnérables de la flambée des prix qui dès aujourd’hui s’observent sur les marchés.

Pilotage de la production bas carbone

Concernant la maximisation de la production des capacités pilotables bas carbone, il existe selon l’AIE deux leviers : le nucléaire et la biomasse. Les centrales biomasses, qui ont produit à 50 % du temps en 2021, pourraient produire 50 TWh d’électricité supplémentaire en 2022 en augmentant leur disponibilité, si le contexte le permet (incitation économique et disponibilité de la biomasse).

Concernant le nucléaire, l’AIE soumet deux actions possibles. D’abord, il faut remettre en fonctionnement les réacteurs mis hors service en 2021 pour des opérations de maintenance et des contrôles de sécurité. En parallèle à la mise en route de l’EPR d’Olkiluoto en Finlande, cette première action permettrait d’augmenter la production électrique d’origine nucléaire de 20 TWh en 2022 réduisant de facto la demande de gaz de 4 bcm.

Ensuite, l’AIE invite à reconsidérer la fermeture annoncée de quatre réacteurs en UE d’ici à fin 2022 (trois[3] en Allemagne pour une capacité totale de 4 000 MW et un[4] en Belgique d’une capacité de 1000 MW) et celle d’un réacteur supplémentaire en début d’année 2023 en Belgique[5]. Sous réserve de bonnes conditions de sûreté, repousser ces fermetures pourrait permettre de réduire la demande de gaz de l’UE de 1 bcm par mois.

Pour les consommateurs et le climat

Les retombées économiques et en termes d’émissions de la combinaison des actions décrites au point 5 et 6 par l’AIE seraient très bénéfiques pour les consommateurs et le climat.

D’abord pour le climat puisque remettre en route les réacteurs (20 TWh de gaz remplacé par 20 TWh de nucléaire[6]) permettrait de réduire nos émissions de l’ordre de 8 millions de tonnes de CO2 sur l’année 2022. En outre, repousser la fermeture des réacteurs permettraient un gain supplémentaire de l’ordre 2 millions de tonnes de CO2 par mois.

Économiquement, car, en couplant les mesures 5 et 6, la facture des consommateurs de l’UE pourrait être réduite de 900 millions d’euros sur l’année 2022 et de 240 millions d’euros supplémentaires par mois si la fermeture des réacteurs est repoussée.

Rouvrir les centrales allemandes ?

Le 31 décembre 2021, l’Allemagne fermait trois réacteurs nucléaires en pleine crise des marchés de l’énergie : Gundremmingen (1 300 MW), Grohnde (1 300 MW) et Brokdorf (1 400 MW) ne laissant plus que trois réacteurs en fonctionnement. Selon des sources allemandes, l’opération de lavage chimique à l’acide n’aura pas lieu avant quelques semaines. Il serait donc théoriquement possible de redémarrer les réacteurs.

En tenant compte de la durée de (re)chargement du nouveau combustible (6 mois), 13 TWh[7] d’électricité d’origine nucléaire pourrait s’ajouter au 70 TWh estimés par l’AIE, soit une réduction des importations de 2 bcm. Sur l’année 2022, cela revient à réduire d’un million de tonnes nos émissions de CO2 et de réaliser 600 millions d’euros environ d’économies pour les consommateurs. ■

Par Ilyas Hanine (Sfen)

Corpyright photo : Daniel LEAL / AFP

[1] 1 bcm = 1 billion cubic meters = 1 milliard de m3

[2] Le coût de production de la dernière centrale -dite marginale- appelée fixant le prix unique de marché. La plupart du temps, cette centrale fonctionne au gaz.

[3] Esmland (1 300 MW), Neckarwestheim-2 (1 300 MW) et Isar-2 (1 400 MW) dont la licence d’exploitation arrive à son terme le 31 décembre 2022 : https://www.nuklearesicherheit.de/en/nuclear-facilities/nuclear-power-plants-in-germany/

[4] Doel 3 (1 006 MW) dont la fermeture est prévue en octobre 2022.

[5] Tihange 2 (1 008 MW) dont la fermeture est prévue en février 2023.

[6] En supposant que les centrales au gaz (les moins émettrices des centrales fossiles) sont marginales la plupart du temps. Compte tenu, des prix de l’électricité sur les marchés européens, cette hypothèse n’est pas scandaleuse. On prend le chiffre de 0,4tCO2/MWh pour l’intensité carbone d’une centrale au gaz.

[7] Même en considérant un fonctionnement réduit des centrales remises en route (on fait l’hypothèse d’un facteur de charge à 75 % là où les centrales allemandes avait un facteur de charge de 92 % en moyenne en 2021 : https://www.ise.fraunhofer.de/en/press-media/news/2022/public-net-electricity-in-germany-in-2021-renewables-weaker-due-to-weather.html#:~:text=In%202021%2C%20German%20photovoltaic%20systems,58.6%20gigawatts%20as%20of%20November.