La Suède affirme ses ambitions nucléaires

Le paysage énergétique suédois est en pleine mutation : le Parlement a voté, le 29 novembre 2023, un projet de loi pour relancer le nucléaire civil à la fois pour les réacteurs de puissance et les petits réacteurs modulaires (SMR).
En 2022, la Suède est devenue le premier exportateur européen d’électricité, dépassant la France dont le parc nucléaire connaissait une forte indisponibilité. Le pays conjugue le nucléaire (29 % de la production électrique nationale en 2022) avec un essor de l’éolien terrestre (19 % du mix) et une hydroélectricité abondante (41 %). Aujourd’hui, le gouvernement souhaite redonner une forte impulsion en faveur de l’atome alors que la loi limitait jusqu’ici le nombre de réacteurs à dix (six sont actuellement en exploitation). L’accord politique de Tidö signé par les quatre partis de la coalition de droite et d’extrême droite au lendemain des élections de septembre 2022 a permis la révision de la loi validée par le Parlement le 29 novembre 2023 avec une entrée en vigueur prévue le 1er janvier 2024.
Un parc nucléaire historique réduit
Au début des années 2000, le nucléaire suédois représentait 50 % de la production électrique. Entre 1971 et 1985, la Suède avait construit douze réacteurs de grande puissance répartis sur quatre sites (Ringhals, Oskarshamn, Forsmark, Barsebäck). Ces installations comprenaient neuf réacteurs à eau bouillante du suédois ABB Atom (acquis courant 2020 par Westinghouse) et trois réacteurs à eau pressurisée américains de Westinghouse. Bien que le référendum de 1980 ait initialement projeté une sortie du nucléaire en 2010, cette décision a été révoquée en 1997 face à la demande croissante d’énergie de l’industrie suédoise. Pourtant, depuis 1999, six des douze réacteurs suédois ont été arrêtés : deux pour des raisons politiques (Barsebäck 1 en 1999 et 2 en 2005) et quatre autres (Ringhals 1 et 2, Oskarshamn 1 et 2) entre 2016 et 2020, en raison de coûts de modernisation jugés excessifs dans un contexte de prix bas de l’électricité. Six réacteurs demeurent dont deux à eau pressurisée (Ringhals 3 et 4) et quatre à eau bouillante (Oskarshamn 3 et Forsmark 1, 2 et 3). Par ailleurs, la Suède, qui n’extrait plus d’uranium, fabrique une partie de son combustible nucléaire depuis les années 1960 (désormais à partir d’hexafluorure d’uranium importé). L’indécision politique sur le nucléaire a également causé la perte des réacteurs de recherche. Plus encore, à la suite du référendum de sortie du nucléaire de 1980, la recherche sur le nouveau nucléaire a été interdite entre 1987 et 2006.
Le retour en grâce du nucléaire
Conformément à l’accord de Tidö, le gouvernement demandera à l’énergéticien public Vattenfall (détenu à 100 % par l’État) de lancer des appels d’offres pour de nouveaux réacteurs nucléaires. Les partis de la coalition ont souhaité remplacer l’objectif national d’un mix électrique « 100 % renouvelables » en 2040 par l’objectif « 100 % exempt de combustibles fossiles » afin d’assurer le maintien de la part du nucléaire dans la production électrique nationale sur le long terme. Cette réorientation stratégique découle en partie de la prévision à la hausse de la consommation électrique nationale, qui devrait doubler d’ici 2045, atteignant au moins 300 TWh, notamment en raison du développement de projets d’industries électro-intensives.
Des dispositions ont également été prévues pour faciliter la mise en place de régulations favorables à la construction et à l’exploitation de réacteurs modulaires (SMR) dont l’importance est actée pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Par ailleurs, le processus d’autorisation des nouvelles centrales nucléaires devrait être accéléré pour répondre à la demande croissante d’électricité de manière efficace tout en respectant les engagements environnementaux.
Dans ce contexte, le gouvernement a présenté une « feuille de route pour le nouveau nucléaire » le 16 novembre 2023. Il vise la mise en service d’une capacité nucléaire équivalente à celles de deux réacteurs de forte puissance (au moins 2 500 MW) d’ici 2035 et de dix réacteurs d’ici 2045. Sur le plan du consensus politique, il faut rappeler que huit partis sont actuellement représentés au Parlement, avec des élections générales prévues en septembre 2026. Les Sociaux-démocrates, traditionnellement opposés au nucléaire, ont pourtant montré une ouverture pour des réacteurs de type SMR en 2022 tandis que les Démocrates de Suède et les Modérés soutiennent fortement le nouveau nucléaire. En revanche, les Verts et la gauche ex-communiste y restent opposés.
Pour mener à bien cette relance, le gouvernement actuel souhaite que le marché décide des investissements dans de nouveaux projets. Des études de préfaisabilité ont été lancées pour deux petits réacteurs modulaires sur le site de la centrale de Ringhals par Vattenfall. La centrale Nuward d’EDF, de 340 MWe avec deux réacteurs indépendants de 170 MWe chacun, fait partie des SMR à l’étude. Dans ce contexte, la coopération franco-suédoise au sein de l’Alliance européenne du nucléaire est importante, tout comme les opportunités de collaboration sur la chaîne d’approvisionnement des réacteurs en construction et la formation. La Suède est par ailleurs membre du consortium du réacteur de recherche Jules Horowitz (RJH). Enfin, le 19 décembre 2023, un accord de coopération de long terme dans le secteur nucléaire a été signé entre les deux pays.
Un leader dans le stockage des déchets nucléaires
En janvier 2022, le gouvernement suédois a approuvé les demandes de permis de la société suédoise de gestion de déchets radioactifs (SKB), pour construire le site final national pour le stockage des déchets nucléaires en couche géologique profonde à Forsmark et l’usine d’encapsulation nécessaire pour conditionner ces déchets sous leur forme définitive à Oskarshamn. La Suède, avec la Finlande, fait ainsi partie des pays particulièrement avancés sur le sujet.
Depuis ses débuts dans les années 1970, la recherche sur les méthodes de stockage final des déchets nucléaires a connu des avancées significatives. La Suède s’est imposée comme un pays pionnier dans ce domaine, mettant en oeuvre le système KBS-3, une approche technologiquement avancée et reconnue à l’échelle mondiale.
La première composante essentielle de ce système est l’encapsulation du combustible nucléaire usé dans des canisters en cuivre. L’opération sera réalisée dans une usine située dans la municipalité d’Oskarshamn. Cette installation jouera un rôle crucial en assurant le confinement sécurisé du matériau radioactif pendant la phase transitoire.Les canisters en cuivre, qui forment la première barrière de protection, sont soigneusement conçus pour résister aux conditions extrêmes, assurant une isolation étanche et durable du combustible nucléaire usé.
La deuxième barrière est constituée par l’argile de bentonite, qui entoure les canisters en cuivre sur le site final de stockage en couche géologique profonde proche de Forsmark. La substance argileuse possède des propriétés d’étanchéité exceptionnelles et agit comme un bouclier contre les infiltrations d’eau et les mouvements sismiques. L’association de cette argile spécifique avec les canisters en cuivre crée une barrière physique et chimique robuste.
La troisième barrière repose sur la roche elle-même. Des centaines de tunnels, creusés à une profondeur de 500 mètres dans la roche (granit), offrent une protection supplémentaire en isolant les déchets nucléaires de l’environnement extérieur. Cette profondeur substantielle permet de minimiser les interactions potentielles avec la biosphère, réduisant ainsi les risques liés aux rayonnements ionisants.
Le projet suédois de stockage accueillera 12 000 tonnes de combustible nucléaire usé encapsulé dans 6 000 canisters en cuivre. Développée en Suède, la méthode KBS-3 est une technologie de gestion des déchets nucléaires de pointe qui sera également utilisée en Finlande. Le dépôt final suédois devrait commencer à fonctionner au milieu des années 2030, une fois que toutes les licences nécessaires auront été obtenues.
1. Olivier Cuny et Julien Grosjean sont respectivement chef du Service économique régional Pays nordiques et conseiller régional Développement durable énergie matières premières de l’ambassade de France en Suède. Nicolas Devictor est conseiller nucléaire Royaume-Uni et Pays nordiques de l’ambassade de France au Royaume-Uni. Thibault Lemarié est conseiller nucléaire adjoint Finlande au service de l’ambassade de France en Finlande.
Pour en savoir plus :
Swedish Radiation Safety Autority – www.stralsakerhetsmyndigheten.se/en/
Ministry of Climate and Enterprise, disposition pour l’enfouissement des déchets nucléaires, 27 janvier 2022 – www.government.se/articles/2022/01/finaldisposal-of-spent-nuclear-fuel/
Site du Riksdag, le Parlement suédois – www.riksdagen.se
Par Olivier Cuny, Julien Grosjean, Nicolas Devictor et Thibault Lemarié
Olivier Cuny et Julien Grosjean sont respectivement Chef du Service économique régional Pays nordiques et Conseiller Régional Développement Durable Énergie Matières Premières de l’Ambassade de France en Suède. Nicolas Devictor est Conseiller nucléaire Royaume-Uni et pays nordiques de l’Ambassade de France au Royaume-Uni. Thibault Lemarié est Conseiller nucléaire adjoint Finlande au Service de l’Ambassade de France en Finlande.
Photo I La consommation électrique suédoise devrait doubler d’ici à 2045, atteignant au moins 300 TWh.
© Davide Alberani/WikipediaCommons