La relance globale du nucléaire concerne aussi l’Afrique
L’augmentation globale du niveau de vie sur le continent africain ne se fera pas sans électricité, mais la production électrique devra se faire en émettant le moins de CO2 possible. Le nucléaire est une option logiquement envisagée par plusieurs pays du continent.
Développer les différents volets de son économie en émettant le moins de gaz à effet de serre possible et ceci afin de limiter le changement climatique auquel elle est particulièrement vulnérable : tel est le défi considérable de l’Afrique. Le Giec a déjà souligné cette vulnérabilité notamment due au fait qu’une grande partie de la population subsaharienne vit de l’agriculture1 et que 95 % des terres agricoles dépendent de la pluie pour leur irrigation.
« Entre 1,5 °C et 2 °C de réchauffement global, les impacts négatifs devraient se généraliser et s’aggraver avec une réduction de la production alimentaire, une baisse de la croissance économique, une augmentation des inégalités et de la pauvreté, une perte de biodiversité, une augmentation de la morbidité et de la mortalité humaines », assurent les experts du climat.
Tout surcroît de production énergétique doit donc se faire de la façon la plus décarbonnée possible. Et le nucléaire est l’une des solutions envisagées pour associer développement et lutte contre le changement climatique. En effet, il ne faut pas oublier les différences de regards portés sur l’énergie et l’électricité entre les pays de l’OCDE et les pays à faibles revenus2. Le directeur général de l’Agence pour le nucléaire (AEN) de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), William D. Magwood souligne que : « Pour les pays de l’OCDE, l’enjeu est de préserver le progrès social et le niveau de vie tout en luttant contre le réchauffement climatique. Pour les pays moins riches, c’est une discussion sur l’avenir de la population, sur l’atteinte des aspirations d’éducation, de santé et de richesses ».
À l’électricité peut d’ailleurs « s’ajouter le sujet de la chaleur pour améliorer l’accès à l’eau potable ». Les usines de dessalement de l’eau de mer sont aujourd’hui abondamment utilisées au Moyen-Orient où elles produisent près de 50 % de l’eau potable aux Émirats arabes unis et 70 % en Arabie Saoudite3. Leur développement est également important en Algérie, en Égypte et au Maroc.
Un important besoin d’électricité
L’Afrique représente une production électrique de l’ordre de 800 TWh4 par an, soit l’équivalent de la France et de l’Espagne, mais à partager entre 1,4 milliard d’individus. Ce chiffre témoigne à la fois d’un manque d’électricité pour ceux qui en bénéficient, et d’un problème d’accès à l’énergie pour d’autres (43 % de la population du continent n’a pas accès à l’électricité5). En 2021, selon l’Agence internationale de l’énergie, la consommation électrique ramenée au nombre d’habitants atteignait près de 6 MWh par personne en Europe contre seulement 0,6 MWh en Afrique. La dotation en électrons reste toutefois très polarisée avec d’un côté l’Afrique du Sud, les pays d’Afrique du Nord, mais aussi le Ghana, le Gabon et la Côte d’Ivoire, en haut du classement et, de l’autre, la République démocratique du Congo, l’Éthiopie, le Nigeria, la Tanzanie et l’Ouganda qui représentent à eux seuls la moitié de la population subsaharienne qui n’a pas accès à l’électricité. Dans le scénario durable pour l’Afrique de l’AIE, la demande électrique atteint 1 200 TWh en 2030 avec une forte croissance des usages productifs et du transport. À ces besoins s’ajoutent le développement d’une chaîne du froid durable alors que le gaspillage alimentaire, avant même d’arriver au consommateur, était estimé en 2011 à 30 % pour la viande et à 50 % des fruits et légumes récoltés6.
Le nucléaire confronté à d’importantes barrières
Malgré ces besoins, les freins au développement du nucléaire sont importants. Au-delà des questions de sécurité et d’infrastructures, le problème du financement, déjà majeur dans les « pays riches », l’est davantage encore en Afrique.
Selon un récent rapport de l’AIE7, l’Afrique ne compte actuellement que pour 3 % des investissements mondiaux dans l’énergie et à peine 2 % des investissements mondiaux dans les énergies propres alors qu’elle représente un cinquième de la population mondiale. Jennifer DJ Nordquist, vice-présidente du Economic Innovation Group et ancienne représentante des États-Unis à la Banque mondiale (2019-2021), dénonce la frilosité des banques pour le financement de l’atome : « Je n’ai jamais vraiment compris cette attitude envers le nucléaire, c’est vrai pour la Banque mondiale, mais aussi pour la Banque africaine de développement », témoigne-t-elle8. Rafael Grossi, directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) considère que les banques de développement sont en décalage avec la situation actuelle, mais aussi avec la volonté de leurs actionnaires. « C’est une sorte de mantra post-Tchernobyl », a-t-il déclaré au Financial Times le 4 mars 2024. Les SMR, dont le modèle économique doit justement faciliter le financement, pourraient favoriser le développement du nucléaire sur le continent.
Qui s’intéresse au nucléaire ?
L’AIEA accompagne les pays souhaitant développer l’énergie nucléaire par la mise en place de trois phases bien distinctes. La première correspond à la considération de l’option nucléaire. Lorsque la décision est prise, démarre la phase 2 qui consiste en la préparation de la contractualisation et de la construction. La décision finale d’investissement marque le début de la phase 3 qui s’achève avec la mise en service de la centrale en question. L’AIEA considère que l’atteinte du dernier jalon-clé prend au minimum dix à quinze ans.
En 2021, l’AIEA classait le Kenya, le Soudan, le Niger, l’Ouganda et le Maroc en phase 1. En 2022, le Ghana est entré en phase 2, rejoignant ainsi le Nigeria tandis que l’Égypte est entrée en phase 3 avec la réalisation du premier béton d’El-Dabaa-1. À cette liste s’ajoute l’Afrique du Sud qui exploite la seule centrale nucléaire du continent et souhaite construire de nouvelles unités.
L’Afrique du Sud, l’Égypte et le Ghana en fer de lance
De nombreux pays ont envisagé la construction de centrales nucléaires au cours de leur histoire sans que cela se concrétise.
On observe aujourd’hui une relance nucléaire en Afrique, avec en particulier l’Afrique du Sud, l’Égypte et le Ghana. Le ministre sud-africain en charge de l’électricité, Kgosientsho Ramokgopa, a déclaré en décembre 2023 que le pays s’apprêtait à lancer un appel d’offres pour la construction de 2 500 MW de nucléaire.
À 7 000 kilomètres au nord des deux réacteurs sud-africains en exploitation, la seconde centrale du continent est en construction en Égypte. Le Caire a en effet confié à Moscou la réalisation de quatre réacteurs VVER, soit 4 800 MW de puissance, pour une mise en service de la première unité dès 2026. En janvier 2024, Vladimir Poutine et Abdel Fattah al-Sissi ont inauguré le lancement de la construction de la quatrième unité. Enfin, le Ghana a mis en place son Autorité de sûreté nucléaire en 2016. Le président Akufo-Addo a approuvé, en 2022, l’inclusion du nucléaire dans le mix électrique du pays tout en signant la même année un partenariat avec les États-Unis et le Japon via le programme FIRST destiné à aider les pays à développer un programme nucléaire basé sur la construction de SMR américains. Le pays vise à devenir « le hub africain de l’énergie nucléaire », selon les propos de Samuel Boakye Dampare, directeur général de la Ghana Atomic Energy Commission.
1. IPCC, AR6.
2. OECD / NEA, « Nuclear energy in Africa : Policy options to enhance safe and secure deployment », juin 2023.
3. IFRI, The Geopolitics of Seawater Desalination, 2022.
4. AIE, Africa Energy Outlook, 2022.
5. Ibid.
6. Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), 2011.
7. AIE, Financing clean energy in Africa, 2023.
8. OECD/NEA, « Nuclear energy in Africa », op. cit.