La prescription de l’AIE pour un come-back réussi du nucléaire - Sfen

La prescription de l’AIE pour un come-back réussi du nucléaire

Publié le 20 septembre 2022

C’est l’AIE qui le dit : le nucléaire est désormais prêt à faire un « retour en force » grâce à ses atouts climatiques et stratégiques. La reconfiguration géopolitique de l’approvisionnement en énergie donne également  des arguments de poids à l’énergie atomique. Un come-back qui nécessite néanmoins de résoudre un certain nombre de défis.

Publié en juin 2022, le rapport de l’Agence internationale de l’énergie atomique intitulé « Nuclear Power and Secure Energy Transitions : From today’s challenges to tomorrow’s clean energy systems »  examine une série de questions. Quel est le potentiel de croissance du nucléaire ? Quelle est sa valeur économique ? Quelles sont les mesures à prendre pour faciliter et réduire les coûts de son financement  ? « L’énergie nucléaire est prête à faire son retour », a assuré le patron de l’AIE Fatih Birol lors de la présentation du rapport, en soulignant un contexte favorable au développement de l’atome. Mais en  rappelant également que ce retour en force est soumis à conditions afin de répondre aux diverses difficultés que l’Europe ou les États-Unis ont rencontrées sur leurs chantiers.

Reconfiguration énergétique et reconsidération atomique

« L’invasion de l’Ukraine par la Russie et les perturbations de l’approvisionnement énergétique mondial qu’elle a provoquées ont amené les gouvernements à repenser leurs stratégies de sécurité énergétique,  en mettant davantage l’accent sur le développement d’un approvisionnement à la fois plus diversifié et plus local, résume l’AIE. Pour de nombreux gouvernements, l’énergie nucléaire fait partie des options  permettant d’atteindre cet objectif ». Certains pays s’engagent même dans un virage à 180 degrés à l’instar de la Belgique et, dans une moindre mesure, de l’Allemagne. En Belgique, un accord de principe  entre le gouvernement et Engie a été conclu le 22 juillet 2022 pour prolonger de dix ans l’exploitation de deux réacteurs nucléaires. La sortie du nucléaire est donc, à contrecoeur pour les écologistes belges,  repoussée. Ces derniers misaient en effet sur le gaz comme « énergie de transition », la ministre Tinne Van der Straeten vantant encore en juin 2022 les atouts de la Belgique « en tant que hub de transit pour le gaz naturel en Europe1 ».

En Allemagne, tandis qu’en mars le gouvernement évoquait des barrières à la fois techniques et réglementaires pour surseoir à la fermeture des derniers réacteurs en fonctionnement du pays, la question de  prolonger l’exploitation des trois derniers réacteurs du pays a été à nouveau à l’étude cet été. Le prolongement de ces réacteurs ferait économiser à l’Europe « 14 milliards de mètres cubes » de gaz selon  Thierry Breton, commissaire responsable du marché intérieur2. Ce dernier a ainsi appelé, comme l’AIE, à prolonger les réacteurs nucléaires existants et à en construire d’autres.

Quant aux pays plus favorables au développement du nucléaire comme les États-Unis, la Pologne ou le Japon, ils sont confortés dans leur choix par les circonstances. En effet, Washington continue de  multiplier les mesures pour renforcer l’indépendance énergétique du pays et pour promouvoir à l’export leur savoir-faire dans le domaine. La Pologne, quant à elle, vise la construction de 6 à 9 GW de nucléaire d’ici à 2040 et le Conseil des ministres a adopté en août 2022 un amendement pour accélérer la mise en place de ce programme. De son côté, le Premier ministre japonais, Fumio Kishida, a  réaffirmé l’importance de « maximiser l’utilisation de l’énergie nucléaire » et met la priorité sur le redémarrage du parc nucléaire. Au mois d’août 2022, il a également indiqué que « la construction de réacteurs de nouvelle génération » était à l’étude.

Une transition énergétique plus chère sans nucléaire

« Atteindre des émissions nettes nulles avec moins d’énergie nucléaire que ce qui est envisagé dans le rapport de l’AIE serait plus difficile et coûterait aux consommateurs 20 milliards de dollars de plus par an jusqu’en 2050 », alerte Fatih Birol. Pour rappel, le nucléaire est aujourd’hui la deuxième source d’énergie bas carbone après l’hydroélectricité dans les « économies avancées3 ». Les 436 réacteurs nucléaires  en exploitation dans le monde ont produit 2 653 TWh en 2021, soit 10 % de l’électricité totale. C’est 100 TWh de plus qu’en 2020 et très légèrement moins qu’en 2019 (2 657 TWh)4.

Concrètement, le scénario de l’AIE pour l’atteinte de la neutralité carbone, Net Zero Emissions by 2050 (NZE), compte sur le doublement de la capacité nucléaire mondiale d’ici le milieu du siècle, pour dépasser les 800 GW. Cette part supplémentaire sera indispensable à la lutte contre le changement climatique. Pour y parvenir, les coûts du nucléaire dans les économies avancées doivent baisser de 40 % et les investissements nucléaires mondiaux tripler d’ici à 2030.

Un défi industriel de taille

L’industrie nucléaire « doit achever les projets dans les délais et le budget pour jouer pleinement son rôle » souligne toutefois l’AIE en rappelant que les chantiers de construction dans le monde ont connu des délais très variables. En effet, les temps de construction des réacteurs connectés au réseau en 2021 varient entre 122 mois (Kakrapar 3) et 56 mois (Tianwan 6) avec une médiane de 88 mois. Celle-ci était de 120 mois sur la période 1996-2000 et de 58 mois sur la période 2001-2005, selon la World Nuclear Association (WNA)5.

Certains chantiers souffrent d’un retard et d’un surcoût important, que ce soit aux États-Unis (Vogtle 3 et 4), en Europe (Flamanville 3 et Olkiluoto 3) et, dans une moindre mesure, en République de Corée (Shin Kori 3 et 4). « Le coût des unités 3 et 4 de Vogtle situées dans l’État de Géorgie (US)  était à l’origine estimé à 4 300 $/KW pour quatre années de construction. Mais les récentes estimations portent le coût à près de 9 000 $/KW avec une mise en service en 2023, soit neuf ans après le début du  chantier », précise le rapport. Les chantiers des réacteurs coréens (APR 1400) de Shin Kori, mis en service en 2016 et 2019 ont respectivement duré sept ans et demi et dix ans contre les cinq ans de  construction annoncés au départ. L’EPR finlandais OL3 accuse également un important retard. Avec un début de construction en 2005, il est actuellement en phase de démarrage alors que sa mise en service  était à l’origine prévue pour 2009. De même l’EPR de Flamanville, lancé en 2007, est attendu sur le réseau en 2023.

Ainsi l’AIE constate que les économies avancées ont perdu une partie de leur leadership : 27 des 31 réacteurs en construction depuis 2017 sont de conception russe ou chinoise.

Les recommandations de  l’AIE

Afin que le nucléaire puisse jouer son rôle, l’agence recommande d’abord de prolonger la durée d’exploitation des centrales existantes. Elle appelle également à valoriser économiquement le caractère bas  carbone de l’énergie nucléaire ainsi que les services rendus au réseau électrique. Elle demande aussi la mise en place de cadres de financement pour la construction de nouveaux réacteurs afin de réduire le  coût du capital associé à un partage des risques plus équitable. C’est dans ce sens que se dirige par exemple le gouvernement britannique afin de financer le projet de construction de deux EPR à Sizewell  C6.

Du côté de l’acceptabilité sociale, l’AIE appelle à promouvoir une réglementation de sûreté efficace et à inclure les citoyens pour la création, là où ce n’est pas déjà le cas, de sites d’entreposage et de  stockage des déchets nucléaires.

Enfin, le rapport met l’accent sur les petits réacteurs modulaires (SMR) : « Des coûts d’investissement plus faibles, des caractéristiques inhérentes à la sûreté et à la gestion des déchets ainsi que des risques  de projet réduits peuvent améliorer l’acceptation sociale et attirer des investissements privés pour la recherche, le développement et la démonstration ». Une réforme de la politique gouvernementale et de la  réglementation – la compétitivité économique des SMR reposant notamment sur la standardisation – est nécessaire pour stimuler les investissements dans ces petits réacteurs d’une puissance unitaire inférieure à 300 MWe. Selon le rapport, « des décisions doivent être prises dès maintenant » pour permettre aux réacteurs SMR de jouer un rôle important dans la transition énergétique dès les années 2030.


1. Tweet du 21 juin 2022.
2. France Inter, 16 mai 2022.
3. Sont cités l’Australie, le Canada, le Chili, les 27 pays de l’Union européenne, l’Islande, Israël, le Japon, la Corée du Sud, le Mexique, la Nouvelle-Zélande, la Norvège, la Suisse, la Turquie, le Royaume-Uni
et les États-Unis.
4. “World Nuclear Performance Report”, 2022.
5. Ibid.
6. Voir sur ce point notre dossier article 4, RGN 4.

Par la rédaction, Sfen

Photo © Ritzau Scanpix / AFP / Claus Fisker I Fatih Birol, directeur général de l’Agence internationale de l’énergie (AIE)