Là où EDF accélère le temps - Sfen

Là où EDF accélère le temps

Publié le 22 avril 2024 - Mis à jour le 29 avril 2024
[Au coeur de l’enceinte interne de Vercors, de nombreux escaliers permettent d’accéder aux outils de mesure.]

Parmi la grande diversité des activités de R&D d’EDF Lab les Renardières, les problématiques de vieillissement des matériaux et de corrosion sont regardées de près afin de toujours garder une longueur d’avance.

Niché entre la Seine et la forêt de Fontainebleau, le site d’EDF Lab les Renardières, en Seine-et-Marne, se dévoile peu à peu. D’un côté de la route, un démonstrateur d’agri-voltaïsme lancé en 2019 ; alors que de l’autre, se dessine la courbe d’un dôme de béton caractéristique des réacteurs nucléaires. Un peu plus loin se dresse l’entrée du site : un bâtiment à l’architecture moderne empruntant les traits d’une pagode chinoise. L’installation est l’un des trois sites français de la R&D d’EDF avec ceux de Chatou, dans les Yvelines, et de Saclay, dans l’Essonne. Dès les années 1960, le site des Renardières réalisait de premiers essais sur des matériels nucléaires (robinets, soupapes, tuyaux) et mettait en service la station d’essais à moyenne tension. À cette époque sortait de terre le bien nommé Climatron, un laboratoire d’essais sur la production de chaleur alors que le sujet de l’efficacité énergétique ne faisait pas encore la une de l’actualité. Logiquement, s’ensuivra la création d’un laboratoire sur le chauffage à induction en 1977 ou la mise au point de bornes de charge pour véhicules électriques en 1993… la R&D d’EDF était déjà au coeur de nos foyers.

La recherche & développement chez EDF

[Microscope à balayage qui permet de préparer les échantillons et notamment de les souder sur une lame de seulement 150 nanomètres.]

Alors que certains industriels intègrent les activités de R&D au sein de leurs différentes entités d’ingénierie ou de production, EDF a fait le choix de regrouper les activités dans cette structure comptant 1 800 salariés et plus de 70 plateformes d’essais, de mesures et de simulations. La R&D d’EDF est en soutien du parc de production à court terme, en répondant aux demandes des équipes d’exploitation, mais travaille aussi sur le long terme.

« La R&D doit se préparer à répondre à la question qui nous sera posée demain », explique  Jean-Christophe Huchard, directeur des Programmes production amont R&D. « L’enjeu numéro 1 c’est la poursuite du fonctionnement des centrales nucléaires » précise-t-il en mentionnant aussi les défis du numérique, des petits réacteurs modulaires (SMR), des technologies de réacteurs avancés (AMR), de l’environnement et du changement climatique.

Parmi les objectifs majeurs, l’atteinte d’une très bonne qualité de fabrication : « nos laboratoires d’essais mécaniques et de microscopie électronique ont travaillé sur le programme de qualification de soudage du circuit secondaire principal de Flamanville 31 », illustre Stéphane Taunier, chef du département MMC (Matériaux et mécanique des composants). « Notre expertise pour modéliser et simuler numériquement l’amorçage et la propagation de la corrosion sous contraintes (CSC) a également été mise à contribution lors de la découverte du problème fin 2021 sur certaines tuyauteries auxiliaires du circuit primaire des CNPE. Nous avons pu comprendre ces phénomènes et identifier les paramètres importants sur les mécanismes mis en jeu ».

Enfin, la question de l’impact du changement climatique sur les moyens de production et l’impact de ces installations sur l’environnement est regardée de très près par le Lab pour, là encore, avoir un temps d’avance.

Si les trois centres français d’EDF R&D travaillent chacun sur le nucléaire, les sujets relatifs à l’atome traités aux Renardières se concentrent dans le département de Matériaux et mécanique des composants (MMC) grâce à quatre installations : Vercors, Cold Spray, le laboratoire de microscopie électronique, Fatcor 2.

Vercors où les 1001 vies du béton

[La maquette Vercors est une (double) enceinte de confinement à l’échelle 1/3 fortement instrumentée. Elle offre de la visibilité à EDF sur le vieillissement du béton dans le cadre de l’exploitation des réacteurs jusqu’à 60 ans et au-delà.]

Inaugurée en 2016, la maquette Vercors reproduit la double enceinte d’un réacteur nucléaire de 1 300 MWe ou 1 450 MWe.

« Lorsque la maquette fut construite se rappelle Myriam Hervé, correspondante communication du département MMC, il a fallu expliquer aux populations locales que nous n’étions pas en train de construire un réacteur nucléaire ! ».

Grâce à son échelle réduite à une échelle un tiers, le béton vieillit environ neuf fois plus rapidement car le principal facteur du vieillissement du béton est le séchage, ce phénomène étant plus rapide à mesure que l’épaisseur du béton est moindre. Le phénomène fait de déformations de retrait et de fluage2 conduit à une perte de précontrainte qui pourrait être limitante pour la durée d’exploitation, l’enceinte n’étant pas remplaçable. EDF regarde ainsi de près toutes les enceintes du parc nucléaire – dont par ailleurs les bétons diffèrent – et peut bénéficier d’une confortable longueur d’avance sur ses opérations grâce à Vercors.

« On représente ici les conditions de  vieillissement exactes d’une enceinte de réacteur de 1 300 MW, soit environ 25 °C pour 50 % d’humidité entre les deux enceintes3 » explique Jean-Luc Adia, chef de projet CIWAP4, entouré des deux immenses parois. « On commence même à tester la maquette à une pression un peu plus forte pour étudier l’évolution des fuites au-delà de la pression de dimensionnement, mais aussi pour étudier la tenue des revêtements sous pression », ajoute-t-il.

Au fil de notre ronde nous observons les dispositifs de précontraintes améliorant le comportement du béton en traction ainsi que  différents objets de mesures (pendules, câbles…), et tests qui sont effectués. Celui consistant à badigeonner le mur d’eau savonneuse pour repérer les éventuelles fuites d’air (qui se manifestent sous forme de bulles) est à la fois ingénieux et amusant.

« À Vercors, on développe et on valide aussi de nouveaux capteurs pour améliorer l’instrumentation sur le parc », complète le chef de projet. « Sur la base de l’expérimentation Vercors, EDF a développé un jumeau numérique d’enceinte de confinement visant à prédire son vieillissement et l’état de son étanchéité. Bientôt, ces enseignements seront transposés aux enceintes de confinement du parc nucléaire en exploitation ».

Le Cold Spray au chevet du métal

[Thomas Girard, responsable d’installation, nous présente le Cold Spray.]

Logé au coeur d’une salle confinant les particules métalliques et étouffant les 120 décibels de l’engin en fonctionnement, le Cold Spray est une sorte de pistolet monté sur un bras robotique.

« L’installation fait partie du laboratoire de fabrication et de réparation des composants métalliques » explique Thomas Girard, le responsable de l’installation. « Le Cold Spray, c’est tout simplement une projection dynamique de particules, ici métalliques, par un gaz (hélium ou azote) à très haute vitesse afin de former un dépôt sur un substrat, dans notre cas, métallique ».

Le résumé est plutôt simple, mais il s’agit bien d’une prouesse technologique. Le gaz, comprimé jusqu’à 50 bars et chauffé jusqu’à 1100 °C à l’intérieur du Cold Spray, projette ainsi des particules à plusieurs fois la vitesse du son. La détente du gaz permet cette accélération et une chute de température aux environs de 300 °C, ce qui est froid pour un matériau métallique (d’où le nom).

« La déformation de la particule va permettre son ancrage  mécanique, mais la matière ainsi déposée est dite fragile, précise Thomas Girard : l’idée est bien de réparer et d’avoir une qualité au moins équivalente à la pièce d’origine ».

Bien évidemment, cette technologie récente n’est pour l’instant pas destinée aux réparations sur des éléments critiques d’une centrale nucléaire. Pour améliorer les propriétés mécaniques des pièces, la R&D d’EDF étudie l’effet des traitements thermiques.

« Des études montrent qu’on va réussir à aller petit à petit vers des propriétés mécaniques voisines du matériau forgé ». Les éléments réparés sans défauts apparents sont ensuite étudiés à l’aide de microscopes de pointe.

À la pointe de la microscopie

[Le responsable de l’installation montre du doigt l’espace du porte-objet prévu pour l’échantillon avant son passage au microscope.]

Une des missions du laboratoire de microscopie est d’étudier le vieillissement des matériaux du nucléaire à très petite échelle. Pour cela, le laboratoire réalise des lames d’épaisseur de l’ordre de la centaine de nanomètres à partir d’échantillons massifs grâce au microscope électronique équipé de deux faisceaux, un électronique et un ionique.

« Il y a une différence de potentiel de 200 000 volts5, c’est pourquoi vous pouvez observer un énorme câble de tension derrière la machine », décrit Romain Badyka, le responsable de laboratoire.

L’ensemble est sous vide, de l’ordre de 10-6 Pascal (pour rappel, la pression atmosphérique vaut environ 105 ou 100 000 Pascal). « L’objectif est d’avoir le vide le plus propre du monde »,  surenchérit l’ingénieur-chercheur. Pour ce faire, il y a un piège, refroidi par de l’azote liquide à – 196 °C, qui permet de capturer les molécules de gaz et ainsi d’améliorer le niveau de vide.

« C’est tout en haut que sont émis les électrons. Le deuxième étage sert à focaliser le faisceau pour qu’il soit le plus fin possible, poursuit-il. Les champs magnétiques et les diaphragmes permettent d’orienter précisément le faisceau d’électrons. Il traverse l’échantillon puis vient nourrir une ribambelle de détecteurs, notamment un détecteur EDX6, qui permet de mesurer localement la composition chimique ».

La composition de l’échantillon est toujours validée avec l’oeil et la main de l’Homme pour corriger de possibles confusions de la machine, « certains atomes pouvant donner des résultats proches ». Le vieillissement s’observe également directement en image via une réorganisation des atomes observable grâce à cet outil permettant d’examiner des objets de très petite taille, jusqu’à 0,25 nm.

« Avec ce microscope on peut observer les atomes ou plus exactement nous voyons la représentation des interactions entre les électrons et nos atomes », précise l’expert.

Fatigue et corrosion à l’essai : Fatcor 2

[Éprouvette représentative d’une tuyauterie du circuit primaire d’un réacteur nucléaire utilisée dans la boucle Fatcor 2 ].

La boucle d’essai Fatcor 2 étudie, comme son nom le laisse penser, la fatigue et la corrosion des alliages métalliques dans les conditions proches du circuit primaire des réacteurs à eau pressurisée (température, pression, chimie du milieu). Elle s’est également intéressée plus récemment à la corrosion sous contrainte (CSC).

La boucle se compose d’une partie chimie au fond du laboratoire qui permet de contrôler le milieu. C’est là que tout commence. Au pied de ce grand tableau orné de jauges, l’eau borée (avec 1 000 mg/kg de bore dissous), comme celle qui circule dans les réacteurs nucléaires, est envoyée par trois pompes dans les machines.

« Nous bénéficions de machines modernes reproduisant le milieu primaire, c’est-à-dire 300 degrés et 155 bars de pression, pour étudier l’influence de cet environnement sur le comportement des matériaux testés en fatigue », résume Thomas Brossier, responsable de l’installation.

Les recherches ont en effet montré qu’un environnement aqueux caractérisé par une haute température et une forte pression accélérait le phénomène de fatigue des composants par rapport à un environnement sous air.

« Dans le cadre de la mise à jour des codifications de construction (RCCM) et d’exploitation (RSEM), l’objectif est de mieux prendre en compte les effets d’environnement sur les cinétiques en fatigue, sur l’amorçage comme sur la propagation, complète l’ingénieur-chercheur Romain Verlet. Deux des machines sont dédiées à l’amorçage (c’est-à-dire l’apparition de fissures depuis la surface) et une troisième est dédiée à la propagation de ces dernières.

« Pour la CSC, l’éprouvette a la particularité d’avoir un écrouissage7 représentatif d’une zone soudée qui a vu un chargement thermomécanique important lors du soudage », détaille-t-il.

Dans la deuxième machine, un dispositif de suivi électrique permet de suivre l’évolution des fissures in situ, directement dans le milieu haute température et haute pression. Un site qui continue d’évoluer Le site des Renardières évolue perpétuellement comme en témoigne l’arrivée d’une nouvelle maquette répondant au nom de Schedule8. L’objectif de cette installation est de quantifier le gain de temps sur la construction du génie civil avec une nouvelle méthode qui pourrait être utilisée pour la construction de SMR ou des futurs EPR 2.


1. Fait référence à la demande de reprise de soudure formulée par l’ASN en 2019.
2. Le retrait correspond à des variations dimensionnelles sous l’effet du séchage du matériau, pouvant provoquer l’apparition de fissures dans les ouvrages massifs en béton lorsque cette déformation est gênée notamment au jeune âge. Le fluage désigne une déformation du matériau en fonction du temps pour un chargement mécanique constant.
3. Pour rappel, en France certains réacteurs ont une double enceinte (ceux de 1 300 MW et de 1 450 MW) et d’autres une simple paroi (les 900 MW), plus épaisse, avec une peau d’étanchéité dite « Liner métallique ».
4. Civil Work Assesment Project.
5. Mais avec un très faible ampérage.
6. Energy Dispersive X-Ray spectroscopy.
7. Action de durcir par laminage ou battage à froid.
8. Steel Concrete High Efficiency Demonstration - European collaborative.

Par Gaïc Le Gros, Sfen

Photos du reportage © Romain Bassenne.

Revue Générale Nucléaire #1 | Printemps 2024