La Commission européenne reconnait (enfin) le rôle du nucléaire dans la décarbonation - Sfen

La Commission européenne reconnait (enfin) le rôle du nucléaire dans la décarbonation

Victoire de l’Alliance du nucléaire dans la directive énergie renouvelable (RED) de la Commission européenne. Toutes les sources de production bas carbone, comme le nucléaire, seront prises en compte dans les actions de décarbonation. Une décision historique, mais que les pays anti-nucléaires semblent vouloir faire payer cher à Paris alors que commencent les négociations sur la réforme du marché de l’électricité.

Ce ne sont que deux petites phrases, mais elles changent tout. La directive énergies renouvelables (RED) de la Commission européenne, en négociation depuis des mois, vise à atteindre une part de 42,5 % d’énergie renouvelable dans la consommation finale en Europe en 2030. Mais jusque-là, les autres sources bas carbone n’étaient pas prises en compte. Dans la dernière version du texte publié le vendredi 16 juin, on peut lire : « La Commission reconnait que d’autres sources d’énergie sans fossile que les énergies renouvelables contribuent à atteindre la neutralité climatique d’ici 2050 pour les États membres qui décident de s’appuyer sur ces sources d’énergie ».

Si le nucléaire n’est pas spécifiquement cité, cela signifie que les objectifs européens doivent en partie s’adapter à la situation des mix énergétiques nationaux, comme celui de la France dont 90 % de l’électricité est déjà décarbonée. Une condition sine qua non pour Paris qui avait menacé de bloquer ce texte.

Le poids de l’Alliance nucléaire

Le cabinet du ministère de l’Énergie n’hésite pas à parler d’un accord « historique ». Il faut dire que les enjeux sont importants puisque cela influe particulièrement la capacité de la France à produire de l’hydrogène propre à partir de son électricité actuelle, ou sa capacité à décarboner les usines d’ammoniac, indispensables à la production d’engrais. « C’est essentiel pour ces usines qui jouent un rôle clé pour notre souveraineté alimentaire », assure la ministre Agnès Pannier-Runacher.

Selon le cabinet de la ministre, la création de l’Alliance européenne du nucléaire a pesé lourd dans cette décision. Bien que cette initiative ne soit pas de statut officiel aux yeux de l’Union européenne, elle a été prise en compte, car neuf de ses membres (sur les quinze qui la composent) auraient pu constituer une minorité de blocage. Désormais, le texte RED doit être voté au 28 juin par le Parlement.

Tension sur la réforme du marché de l’électricité

Mais il est possible que cette victoire ne soit que de courte durée alors que l’Europe s’attaque au sujet sensible de la réforme des marchés de l’électricité, indispensable après les prix records observés pendant l’hiver 2022-2023. L’enjeu des négociations est de découpler les prix de l’électricité et du gaz, et d’offrir aux consommateurs un prix plus proche du cout réel de production. Il s’agit également de donner des signaux de long terme aux investisseurs.

Mais dès ce lundi 19 juin, le conseil des ministres de l’Énergie s’est séparé en vif désaccord. Des pays opposés au nucléaire, comme l’Allemagne, l’Autriche et le Luxembourg, refusent que le principe des CfD (contract for difference), un système de prix garantis, soit applicable au nucléaire existant. C’est-à-dire qu’il ne pourra être utilisé pour financer les opérations d’exploitation à long terme (LTO) des réacteurs en Europe. Or, « l’énergie nucléaire représente 25 % de la production électrique en Europe. Si nous ne sommes pas capables de trouver un mécanisme qui permette de prolonger les centrales, nous allons nous mettre dans des difficultés importantes », martèle la ministre française Agnès Pannier-Runacher.

Les opposants, et en particulier le ministre de l’Énergie luxembourgeois Claudes Turmes, jugent que cela créerait une distorsion de concurrence. Il s’oppose à financer des actifs, comme les centrales nucléaires, déjà amortis au lieu de favoriser l’émergence de nouvelles installations renouvelables. Il parle d’un chèque de 120 milliards d’euros donnés à EDF (sans expliciter son calcul).

Provocations en amont

Le ton avait été donné puisque, quelques heures avant le Conseil des ministres européens de l’Énergie du 19 juin, a eu lieu le rassemblement des « Amis du renouvelable ». Il a réuni 14 pays[1] en présence de la Commissaire européenne en charge de l’Énergie Kadri Simson. Si la France a fait part de son désir d’être présente, elle n’a pas été invitée. Témoignant dans Euractiv, un député européen explique que « nous accueillons tous ceux qui soutiennent réellement les énergies renouvelables et qui prennent le déploiement des énergies renouvelables au sérieux ». Et il ajoute : « après avoir retardé la directive sur les énergies renouvelables, la France n’a pas été invitée à la réunion d’aujourd’hui ».

Une position tout à fait ironique alors que comme le rappelle la ministre française de l’Énergie : « En 2022, la France a produit plus d’énergies renouvelables que l’Allemagne pour sa consommation finale avec 20,7 % contre 20,4 %. Et en Allemagne, le charbon, c’est plus de 30% de la production électrique, contre 0,6 % en France ». Rappelons par ailleurs que le mix électrique de la France est quatre à cinq moins carboné que l’Allemagne. ■

Par Ludovic Dupin (Sfen)

Photo : Agnès Pannier-Runacher a mené les négociations au nom de la France pour la directive énergies renouvelables avec la Commission européenne.
Photo : © Stephane Mouchmouche / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

[1] le Luxembourg, l’Autriche, l’Espagne, la Grèce, Malte, le Danemark, l’Estonie, le Portugal, les Pays-Bas, l’Allemagne, la Lettonie, la Slovénie, l’Irlande et la Belgique.