« Fukushima : la sûreté, la réglementation et les mentalités évoluent » Christophe Xerri - Sfen

« Fukushima : la sûreté, la réglementation et les mentalités évoluent » Christophe Xerri

Publié le 16 mars 2014 - Mis à jour le 28 septembre 2021
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Trois ans après les événements de Fukushima, la SFEN Jeune Génération est partie à la rencontre de Christophe Xerri, conseiller nucléaire à l’Ambassade de France à Tokyo pour qu’il donne son éclairage sur la situation actuelle.    

SFEN Jeune Génération : Quelle est la situation actuelle à Fukushima ?

Christophe Xerri : La situation est stabilisée. Le refroidissement du cœur du réacteur et de la piscine est assuré, le débit de dose de radioactivité est en baisse grâce aux travaux de décontamination qui ont été engagés, et les installations sont en cours de démantèlement. Concernant le retrait des combustibles de la piscine du réacteur 4, les opérations ont commencé et devraient s’achever dans un an. La gestion de l’eau radioactive et des fuites s’est améliorée mais il reste encore une préoccupation sur ce sujet. L’eau descend des montagnes voisines et s’écoule dans le sous-sol des bâtiments. Chaque jour, entre 300 et 400 m3 d’eau sont drainés, envoyés dans des filtres à césium, puis placés dans des réservoirs dans lesquels seront filtrés d’autres radionucléides.

Après les opérations de décontamination, il reste encore du tritium dans l’eau. Cependant, le niveau de toxicité est suffisamment faible pour pouvoir être rejeté dans la mer sans qu’il y ait de risque sanitaire ou environnemental : il serait rapidement dilué et n’augmenterait pas le niveau naturel de la radioactivité de manière significative. En dépit de cette réalité scientifique, les autorités se sont engagées auprès de la population locale à ne pas rejeter de matières radioactives dans la mer. D’autres solutions sont donc expérimentées visant à séparer le tritium de l’eau puis à le stocker. Des technologies expérimentales qui restent encore inapplicables pour traiter des quantités d’eau importantes. Pour ce qui est du retrait du cœur fondu, c’est une tâche complexe en raison de la localisation du corium (à l’intérieur et à l’extérieur des cuves de réacteurs) et de la forte radioactivité de celui-ci. Des actions sont menées aujourd’hui pour évaluer la meilleure méthode : simulations numériques, caméras envoyées à l’intérieur du réacteur pour analyser la situation ou encore expériences de fusion du combustible nucléaire – à petite échelle – pour aider à une meilleure compréhension du comportement du corium de Fukushima.

Les opérations de retrait du corium ne devraient pas commencer avant 2020.  

Après l’accident de Fukushima, l’ensemble des réacteurs ont progressivement été arrêtés, par quoi ont-ils été remplacés ?

CX : Avant l’accident, l’énergie nucléaire représentait 25 à 30% de la production d’électricité. Après Fukushima, les réacteurs nucléaires ont tous été arrêtés. Pour maintenir un même niveau de production d’électricité, le Japon a dû mobiliser d’autres sources de production comme les centrales à gaz et à charbon qui jusqu’alors ne fonctionnaient pas à pleine puissance et à temps plein. Certaines centrales qui avaient été arrêtées ont même été remises en fonctionnement !

La politique énergétique n’a semble-t-il pas considéré la réduction des émissions de CO2, ce sujet n’étant pas au Japon une priorité telle qu’elle peut l’être en Europe. Le gouvernement japonais préfère mettre l’accent sur les économies d’énergie et l’efficacité énergétique.  

Quel est l’état de l’opinion publique face à l’énergie nucléaire ?

CX : Avant les événements de Fukushima, les Japonais avaient en général une approche rationnelle de l’énergie nucléaire et étaient plutôt en faveur de celle-ci. Cependant, l’arrêt des centrales nucléaires n’ayant pas impacté leur quotidien, les Japonais sont devenus généralement moins favorables au redémarrage des centrales nucléaires. A contrario, les populations résidants à proximité des centrales nucléaires de type REP (réacteurs à eau pressurisée) soutiennent le redémarrage de l’exploitation. Alors que celles vivant proche des centrales dont les réacteurs sont du même type que les réacteurs de Fukushima, à savoir des réacteurs à eau bouillante, sont plus prudentes. De leur côté, les parlementaires de la majorité qui soutenaient avant l’énergie nucléaire remettent en question la nécessité même de l’énergie nucléaire. Le Premier ministre, Shinzo Abe, est lui toujours en faveur de celui-ci mais doit agir avec prudence.  

Quelles sont les mesures prises permettant de rétablir la sûreté des installations nucléaires japonaises ?

CX : Depuis Fukushima, le niveau de la sûreté des installations, la réglementation mais également les mentalités ont évolués. Des travaux ont été effectués sur les centrales nucléaires du parc japonais et, pour certaines d’entre elles, sont toujours en cours. Ces travaux comprennent notamment l’installation d’une digue plus haute contre les tsunamis, la ventilation filtrée, des recombineurs d’hydrogène, des camions transportant des sources électriques, une prévention des incendies renforcée et des portes étanches supplémentaires. Avant Fukushima, les Japonais considéraient que la réglementation était à même de fournir une feuille de route détaillée et dire aux concepteurs comme aux opérateurs les actions à mener. Cependant, cet aspect est en train de changer. La réglementation passe progressivement d’une base de prescription à une base d’évaluation.

L’Autorité de sûreté qui a été fondée en novembre 2012 a été reconnue comme une structure indépendante par la population japonaise. La gestion des accidents graves (c’est-à-dire les accidents impliquant la fusion du combustible nucléaire) qui étaient jusqu’alors exclus du champ d’application de la réglementation, en font maintenant partie. En outre, une association d’exploitants nucléaires japonais, appelé Jansi, est en cours de création. L’ambition est d’en faire un équivalent japonais de l’INPO américain, c’est à dire une structure où les opérateurs organisent des examens par les pairs, des évaluations et des inspections, identifient les meilleures pratiques nationales et internationales et délivrent des conseils et des recommandations.

Exploitants nucléaires japonais sont maintenant convaincus qu’il est nécessaire de dépasser la réglementation et d’appliquer le meilleur des pratiques internationales, ce qui est une évolution significative des institutions.  

Quel est l’avenir de l’énergie nucléaire au Japon ?

CX : Les trois centrales qui étaient en cours de construction avant les évènements de Fukushima seront terminées, puis mises en service. La politique visant, comme en France, à recycler les combustibles nucléaires usés est maintenue. Des études sont actuellement menées permettant d’évaluer la résistance de l’usine de recyclage du combustible de Rokkasho face aux nouvelles normes sismiques. Suite à cela, des aménagements seront réalisés qui permettront à l’installation industrielle, actuellement à l’arrêt, de rentrer à nouveau en fonctionnement. En ce qui concerne le redémarrage des centrales nucléaires, 12 dossiers ont été déposés auprès de l’Autorité de sûreté japonaise à l’été 2013 et 6 autres depuis. Parmi ces réacteurs, 6 devraient recevoir une autorisation de redémarrage avant l’été 2014. A moyen terme, 4 à 6 autres réacteurs devraient être remis en service. Avant les événements de Fukushima, le parc japonais était composé de 54 réacteurs nucléaires. Suite au tsunami, 4 des 6 réacteurs de la centrale de Fukushima ont été accidentés et sont aujourd’hui inutilisables. Les deux autres ont été mis à l’arrêt et ne redémarreront pas. Il reste donc 48 unités qui se répartissent en trois catégories. Des travaux de mise à niveau seront réalisés sur un tiers d’entre elles qui pourront ensuite redémarrer. Le deuxième tiers concerne les installations nucléaires dont les investissements seraient trop chers à mettre en œuvre ; celles-ci ne redémarreront donc pas. Pour le troisième tiers, des analyses complémentaires sont nécessaires pour répartir les centrales concernées dans la première ou la deuxième catégorie.

Le Japon sera donc à minima privé d’un tiers de sa production nucléaire. Par quoi sera remplacée cette source de production ? Par du gaz, des énergies renouvelables, des économies d’énergie, voire par de nouvelles centrales nucléaires. Pour le moment, cette question n’est pas à l’ordre du jour. La priorité étant le redémarrage des installations existantes.  

Télécharger le dossier complet de la SFEN Fukushima : état des lieux et perspectives en 2014  

Par Sophie Missirian

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