Fukushima dix ans après, la question de la gestion des eaux contaminées - Sfen

Fukushima dix ans après, la question de la gestion des eaux contaminées

Publié le 2 mars 2021 - Mis à jour le 28 septembre 2021
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TEPCO, l’exploitant de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, et les autorités japonaises ont fait de la gestion des eaux contaminées et de la surveillance de l’environnement, une de leurs priorités. Le point sur l’origine et la gestion de ces eaux à mars 2021.

Le séisme et le tsunami qui s’en est suivi, le 11 mars 2011, ont dévasté la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi avec pour conséquence une fusion des cœurs de trois réacteurs (1, 2 et 3). Avec la décroissance naturelle des éléments radioactifs (les produits de la fission nucléaire) l’énergie à évacuer a considérablement diminué depuis[1], mais les coriums continuent à être réfrigérés à bas débit, avec de l’eau épurée et recyclée (5 m3/h environ par réacteur). Aujourd’hui ces coriums, arrosés en permanence, sont désormais maintenus à une température faible, inférieure à 30°C[2].

L’essentiel de l’eau contaminée

L’essentiel de l’eau contaminée extraite du fond du réacteur provient des infiltrations de la nappe phréatique qui circule sous les réacteurs, les enceintes de confinement en acier et les blocs réacteurs en béton n’étant plus étanches comme le montre la figure ci-dessous et les niveaux d’eau actuels[3].

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Le niveau d’eau dans les 4 réacteurs accidentés – source METI

Dans les premières années, la production d’effluents liquides radioactifs pompés dans les trois réacteurs était de 400 à 500 m3 par jour. L’un des principaux objectifs de TEPCO a donc été de limiter ces infiltrations dans les sous-sols des bâtiments où elles se contaminent, rendant ainsi nécessaires leur traitement et leur entreposage​. Les tentatives initiales de réétanchéification n’ont pas été concluantes en raison des difficultés d’accès et des hauts niveaux de radioactivité, ce qui a conduit à d’autres solutions plus pérennes.

Traitement des eaux contaminées

Très rapidement, des dispositifs d’épuration des eaux extraites ainsi que des moyens de stockage ont été installés, souvent dans des conditions difficiles, l’environnement industriel ayant été ruiné par le séisme et le tsunami. Depuis, des installations de traitement (du césium au départ mais aujourd’hui multi-nucléides) et des réservoirs de stockage en inox soudé sur des bacs de rétention ont été améliorés et sont considérés comme efficaces et sûrs.

Des dispositifs de maîtrise des eaux souterraines installés progressivement depuis

Les quantités d’eaux extraites étant très importantes (550 m3 par jour en moyenne), la priorité était de les réduire. Les dispositifs furent donc mis en place en plusieurs étapes, parallèlement à la décontamination des débris divers et des sols du site pour réduire la dosimétrie pour les travailleurs.

La première étape a consisté à réduire les débits d’eau en amont des réacteurs, en rabattant la nappe phréatique. Comme le montre la figure ci-dessous, à gauche, des puits de drainage ont été forés et équipés pour pomper l’eau amont, non ou très peu contaminée, pour contrôle et rejet en mer (2014).

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Schéma de gestion des eaux de la nappe phréatique traversant les sous-sols des réacteurs – TEPCO

La seconde étape (à droite de la figure), a été de construire une paroi étanche, descendant à 27 m de profondeur jusqu’à un couche argileuse étanche, pour isoler, sur 800 m, le port de la nappe phréatique. En amont de cette paroi, des drains permettent de pomper l’eau contaminée dans son passage, dans les soubassements des réacteurs, de la traiter et de la rejeter en mer après épuration (2015).

Les rejets en mer ont ainsi été considérablement réduits, de 150 à 400 fois en césium et strontium (2015). Les rejets sont autorisés en accord avec les autorités du pays ainsi que les associations locales de pêcheurs.

La troisième étape, visant à réduire considérablement les débits entrants dans les réacteurs puis se dirigeant vers le port, a conduit à tenter d’isoler la totalité de l’îlot des réacteurs à l’intérieur d’une paroi étanche, une sorte de sarcophage, descendant également à 27 m et de 1400 m de longueur. La solution retenue a été de geler le sol sur 2 à 3 m d’épaisseur[4]. Cet ensemble, avec les installations frigorifiques de grande ampleur requises, a été réalisé en très peu de temps entre 2014 et 2016, malgré des difficultés multiples liées à l’ensemble de canalisations, galeries et chemins de câbles qu’il a fallu également étancher, et à la présence de contaminations élevées.

 

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Sarcophage de sol gelé entourant les 4 réacteurs – Tepco

Aujourd’hui, les résultats sont notables, avec une réduction des débits, de 500 à environ 150 m3/jour et l’objectif est de réduire encore ce débit à 100 m3/jour en 2025. Cette eau est pompée au fond des blocs de réacteurs, épurée en plusieurs étapes (césium puis multi-nucléides[5]), partiellement recyclée pour réfrigérer les coriums, le reste étant stocké.

Faute d’autorisations de rejet en mer, la totalité des eaux pompées et traitées est aujourd’hui stockée sur place, représentant près de 1.200.000 m3.

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Le stockage des eaux contaminées avant et après traitement (Copyright :  Nuclear news)

Dans l’attente d’une autorisation de rejet pour dilution

Cinq options ont été étudiées pour gérer ces eaux : la dilution en mer, l’évaporation dans l’air, l’injection dans le sol, le rejet sous forme de tritium gazeux, ou la solidification des eaux en vue d’un stockage. Les trois dernières options ont été écartées en février 2020, le ministère japonais de l’Économie évoquant « de nombreux problèmes non résolus pour une application pratique en termes de réglementation, de technologie et de temps ».

À l’issue des opérations de décontamination, seuls subsistent le tritium[6] (qui est sous forme d’eau et qui ne peut être séparé) et des éléments radioactifs à l’état de traces, stockés dans un millier de réservoirs. Selon l’AIEA, le stockage pourrait-être saturé d’ici à 2022 et une décision sur le devenir de ces eaux traitées devrait en conséquence être prise.

Le gouvernement japonais a établi des norme de rejets applicables à un rejet en mer, par nucléide, et au total en fonction des ratios de présence de ces nucléides (tableau ci-dessous).

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Les limites d’autorisations de rejet d’effluents radioactifs du gouvernement japonais (source : Tepco)

Ces valeurs, de quelques dizaines à quelques centaines de Bq/l selon les nucléides, sont beaucoup plus élevées pour le tritium (60 000 Bq/l). Le tritium sous forme d’eau ne fait en effet que transiter dans le corps et ne s’accumule pas, son impact sanitaire étant extrêmement faible. De plus, lors d’un rejet en mer, il est considérablement dilué.

Le stock actuel d’eau est en partie au niveau requis (1/4), comme le montre la figure ci-dessous, le reste nécessitant une ou des étapes supplémentaires d’épuration, dont les performances ont déjà été démontrées. 

 

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Niveau de radioactivité des effluents dans le stockage par rapport au normes de rejet. Les ¾ des rejets ne sont pas encore aux normes requises pour le rejet en mer (Source : Tepco)

Le 23 octobre 2020 s’est tenue une réunion portant sur la gestion des eaux stockées en présence des ministres de l’économie et de l’industrie (METI) et de l’environnement (MOE). Alors que l’annonce officielle d’une décision concernant le rejet de ces effluents était attendue selon la presse japonaise dans la semaine suivant cette réunion, lors d’une plénière de la chambre des représentants le 28 octobre, le Premier ministre Suga a simplement rappelé la nécessité pour le gouvernement de prendre une décision concernant ces cuves d’eaux rapidement, sans donner d’indications sur un éventuel calendrier.

 Le METI a souligné pour la première fois la présence de carbone 14 (14C) dans les effluents, indiquant que des analyses radiochimiques et des études d’impact étaient en cours car le procédé d’épuration des eaux ne ciblait pas spécifiquement l’extraction du 14C. Un rapport de TEPCO d’août 2020 signalait effectivement la présence de 14C dans 80 cuves, toutefois très en dessous du plafond d’autorisation de rejet en mer de cet élément soit 2 000 Bq/l au Japon (contenu 2 % du plafond en moyenne et 11 % au maximum).

En attendant, l’opérateur TEPCO rappelle que le rejet en mer pourrait se faire après dilution au niveau de 1500 Bq/l d’eau, soit 40 fois en dessous des normes des eaux de boisson selon l’OMS, la concentration initiale moyenne étant de 730 000 Bq/l dans les 979 réservoirs. L’opération s’étendrait sur de nombreuses années avec dilution et rejet progressif de 400 millions de m3 d’eau très légèrement radioactive dans le Pacifique. Aussi faibles soient-ils, surtout en comparaison des pollutions diverses non radioactives, ces rejets, impliquent de longues discussions avec les pays du Pacifique. Mais il faut souligner que le stockage actuel, aussi sérieux soit-t-il, reste une source d’irradiation d’un personnel auquel on pense trop peu, ce qui devrait également justifier des décisions plus rapides.

[1] Très approximativement 1/1000ème de la puissance résiduelle lors de la fusion des cœurs.

[2] Les piscines d’entreposage des combustibles usés génèrent très peu d’effluents. Les températures sont inférieures à 30°C. La piscine du réacteur 4 est vidée depuis novembre 2014 et celle du réacteur 3 devrait l’être fin mars 2021.  

[3] Noter qu’un nouveau séisme a frappé la côte est du Japon le 13 février 2021, près de Fukushima. De magnitude 7,1, il a été suivi de plusieurs répliques. TEPCO a noté depuis des baisses du niveau de l’eau de 70 cm dans le réacteur 1 et de 30 cm dans le réacteur 3  (mesure en cours dans le réacteur 2), ainsi une très petite fuite dans la piscine du réacteur 1.

[4] https://www.sfen.org/rgn/mur-glace-fukushima

[5] Principaux produits de fission présents dans les réacteurs.

[6] Le tritium est un isotope radioactif de l’hydrogène, présent naturellement dans l’environnement en faible quantité car il est produit en permanence par l’interaction entre les rayons cosmiques et l’atmosphère. C’est un émetteur beta de faible activité, dont la période (ou demi-vie) est de 12,3 ans. Très mobile, le tritium se combine avec de l’oxygène pour former de l’eau tritiée. Il pénètre facilement dans l’organisme à travers le cycle de l’eau, mais s’élimine rapidement, généralement entre 6 et 9 jours et est considéré comme faiblement radiotoxique, délivrant une dose moyenne annuelle de l’ordre d’un microsievert, soit le millième du seuil limite pour le public fixé à 1 millisievert.


Cécile Crampon (Sfen) et Jean-Pierre Pervès (expert Japon et Fukushima) – Crédit photo ©MLIT

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