Face à l’opinion, le nucléaire reprend des couleurs - Sfen

Face à l’opinion, le nucléaire reprend des couleurs

Publié le 6 juillet 2021 - Mis à jour le 27 septembre 2021
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Dix ans après l’accident de Fukushima, le nucléaire sort du purgatoire. Plusieurs études publiques convergent en ce sens comme par exemple, l’enquête Odoxa de mars 2021 qui a mesuré 59 % d’opinions favorables « à la production d’énergie par les centrales nucléaires », soit huit points de plus qu’en 2018 [1]. Mais ce constat positif doit être nuancé.

La cote du nucléaire est à la hausse. Le baromètre annuel de l’IRSN et les réponses sur le nucléaire sont certai­nement les plus positives depuis de nombreuses années [2]. Un renversement de tendance que les enquêtes réalisées à la de­mande d’EDF laissaient deviner depuis plus d’un an et dont nous avions rendu compte dans la RGN [3]. Les résultats du Baromètre des énergies réalisé début 2021 confirment cette amélioration sensible du rapport des Français à l’énergie nucléaire. Le contexte dans lequel est posée la question a son importance dans les réponses des sondés. Lorsque l’on prend soin de rappeler que le nucléaire sert à pro­duire l’électricité « dont nous aurons besoin à l’avenir » (Tab. 1.2.), une majorité de 43 % des Français s’y montre favorable. En face de ce tableau, on trouve deux groupes presque égaux : les hésitants (26 %) et les opposants (30 %). Entre 2016 et 2021, les opposants ont reculé de neuf points quand les favorables en ont gagné six : il ne s’agit donc pas uni­quement d’un recul de l’hostilité, mais aussi d’une progression du soutien (Tab. 2.).

 

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Mais si on examine le principe même consis­tant à recourir à l’énergie nucléaire en France – avec une formulation qui suggère qu’il va de soi d’être pour ou contre comme s’il s’agis­sait de deux options philosophiques oppo­sées (Tab. 1.1.) –, alors non seulement les ré­sultats apparaissent beaucoup plus indécis, avec une égalité entre favorables et oppo­sants (41%), mais l’évolution en cinq ans tra­duit davantage un recul de l’hostilité qu’une progression du soutien. Incohérence des répondants ? Faiblesse méthodologique du sondage ? 

Ni l’un ni l’autre : ce sont deux questions semblables, mais bien différentes en réalité. La première, qui fait allusion à l’électricité, replace le nucléaire dans le débat sur le mix énergétique et la question de la capacité de production d’un bien vital à l’avenir. La se­conde reste cantonnée à une position de prin­cipe, déconnectée des enjeux énergétiques. Ce qui explique que l’on peut être à la fois contre le nucléaire, mais pas contre son utili­sation à l’avenir pour produire de l’électricité, ce qui est tout de même le cas de 42 % de ces opposants « de principe » (17 % de l’ensemble des Français). Il y a cinq ans, ils n’étaient que 31 % à faire preuve d’un tel pragmatisme. Que s’est-il donc passé en cinq ans ?

Face aux nouveaux besoins, une vision pragmatique

On peut parler de changement d’époque en ce qui concerne la place des enjeux environnementaux et climatiques dans le débat public. Mal armé sur le plan environnemental à cause des déchets produits et d’accidents passés (Tchernobyl, Fukushima), le nucléaire s’est reconstruit une crédibilité sur l’enjeu climatique au point que même ses adversaires ne lui contestent pas cet avantage (mais le minimisent immédiatement ; c’est de bonne guerre).

On observe ainsi une certaine dépolitisation des positions sur le nucléaire, notamment à la gauche de la gauche et chez les écologistes. En 2016, 70 % des sympathisants EELV[4] et de LFI [5] étaient contre le recours au nucléaire à l’avenir ; ils ne sont plus respectivement que 51 % et 40 %. Chez ces catégories très mobilisées sur les enjeux environnementaux au sens large, les atouts climatiques de l’atome jettent un doute sur leur combat anti-nucléaire.


Dès lors que le débat énergétique pivote de la question du mix vers celle de l’approvisionnement, encadrée par l’objectif de neutralité carbone, une certaine neutralité technologique s’établit dans les esprits


Mais il est un autre facteur essentiel de ce changement de regard, qui tient à la place promise à l’électricité dans la transition énergétique en France, et par conséquent à la logique de besoin qu’elle initie. Les résultats du Baromètre sont éloquents : entre 2019 – date à laquelle cette question a été introduite – et 2021, le souhait que soit davantage utilisée l’électricité dans les quinze ans à venir, fait un bond en avant, passant de 41 % à 51 %. Quant au pronostic – croit-on qu’on l’utilise- ra davantage ? – il culmine à 76 %, là aussi en nette progression (+ 15 points en deux ans). La transformation du parc automobile vers l’électrique et l’hybride nourrit évidemment cette évolution.

Dès lors que le débat énergétique pivote de la question du mix vers celle de l’approvisionnement, encadrée par l’objectif de neutralité carbone, une certaine neutralité technologique s’établit dans les esprits et les atouts traditionnels du nucléaire (disponibilité, puissance) sont de nouveau considérés comme un luxe dont on ne peut pas se passer. D’autant que le spectre de la pénurie refait surface avec les prévisions très « tendues » de RTE pour les hivers jusqu’en 2024. Cette année, le 8 janvier, la demande avait été faite aux Français de modérer leur consommation d’électricité.

Lorsqu’on les interroge sur les arguments qui leur paraissent les plus forts en faveur du nucléaire, ce sont bien la permanence de l’approvisionnement en électricité (48 %) et son versant géopolitique – la sécurité énergétique de la France (46 %) – qui sont citées en premier, loin devant sa contribution à la lutte contre le changement climatique. Rappelons au passage que 45 % seulement des Français savent que le nucléaire ne pro- duit pas ou très peu de CO2 (38 % pensent l’inverse et 17 % ne savent pas), sans évolution cette année.


Une majorité absolue de Français (53 % en 2020) pense désormais que ni le solaire ni l’éolien ne pourront jamais produire une part importante de l’électricité en France


Le nucléaire est donc paradoxalement rassurant malgré son image de dangerosité, qu’il ne faut d’ailleurs pas exagérer. En effet, selon les sondés, l’argument phare mobilisé contre cette énergie est la question des déchets (73 %), très loin devant celle de l’accident (44 %). Cette année, tous les indicateurs de confiance liés à l’exploitation des centrales françaises sont au plus haut, évolution qu’on mettra en parallèle avec une progression de l’image d’EDF consécutive au premier confinement, durant lequel l’approvisionnement en électricité n’a jamais posé question.

De la crise de la Covid-19, on peut penser qu’elle joue bien sûr, de façon indirecte, en faveur du nucléaire. La crise pandémique a généralisé le risque de pénurie dans la fourniture des besoins essentiels (comme on l’a vu s’agissant des masques puis des vaccins) et elle a réactivé l’exigence de souveraineté industrielle entendue comme la capacité de produire sur le sol français ces biens essentiels. Or, si le nucléaire possède les qualités intrinsèques pour rassurer les Français, il bénéficie aussi d’une comparaison avec les énergies renouvelables qui tourne à son avantage. 

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Les énergies renouvelables (ENR) suscitent le doute

Ce doute a toujours été présent depuis que nous comparons les qualités perçues des énergies, comme le montre le Tab. 3. Les ENR sont louées pour leur caractère écologique et non dangereux, elles sont les énergies d’ave­nir et permettent de lutter contre le change­ment climatique, toutes choses sur lesquelles le nucléaire ne peut rivaliser. C’est déjà plus partagé sur la question du prix de production et de la modernité perçue, mais c’est bien sur la disponibilité, la puissance et les emplois que le nucléaire assoit sa supériorité.

Or, les Français doutent de plus en plus de la productivité des ENR. Certes, elles conti­nuent de représenter un idéal : 85 % des son­dés estiment qu’il serait souhaitable que dans dix ans « quasiment toute l’électricité néces­saire au pays soit produite à l’aide des éner­gies renouvelables ». Mais ils ne sont que 38 % à considérer que ce sera possible et ce sen­timent, qui s’était effondré après 2010, subit de nouveau une baisse sensible entre 2017 et 2021 (Tab. 4.).

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Une majorité absolue de Français (53 % en 2020) pense désormais que ni le solaire ni l’éolien ne pourront jamais produire une part importante de l’électricité en France. La perte de crédit atteint huit points en cinq ans, dont quatre en un an. La baisse est principalement imputable à l’éolien, dont l’image se dégrade. La publicité faite aux contestations locales et la visibilité plus fré­quente des machines contribue à freiner leur acceptabilité et à tendre le rapport de force entre ceux, très majoritaires, qui souhaitent toujours leur développement (66 %) et ceux qui souhaitent freiner ou arrêter (26 %). En 2016, ce face-à-face était plus favorable à l’éolien (78 % contre 18 %).

Cette énergie commence à crisper y com­pris dans le camp qui l’a le plus soutenue : la demande d’une accélération des éoliennes recule de quatorze points à LFI, de douze points chez les socialistes, de huit points parmi les écologistes. Chez ces derniers, ils ne sont plus que 38 % à souhaiter l’accélé­ration de la construction d’éoliennes. Mais il est à noter que la baisse la plus forte est enregistrée parmi les sympathisants du RN [6] (un recul de dix-sept points entre 2016 et 2021), qui devient ainsi le parti le plus anti-éolien de France.

Prolonger les centrales et construire quelques réacteurs : un nucléaire de précaution

Entre 2016 et 2020, l’idée que l’on pourrait d’ici 30 ans se passer du nucléaire « grâce aux ENR et aux économies d’énergies » partageait l’opi­nion publique en deux parts presque égales : ceux qui y croyaient (44 %) et ceux qui n’y croyaient pas (47 %). En 2021, les sceptiques ont gagné du terrain (52 %, + 5 pts) tandis que les convaincus ne sont plus que 37 % (– 7 pts). Dans ce contexte, le prolongement de dix ans des centrales avec l’accord de l’ASN, accepté de peu en 2020 – 46 % de oui, 42 % de non – l’est nettement plus en 2021. On compte désormais 50 % d’acceptation contre 35 % de refus. Mais que faire, face à la fermeture inévitable de cer­taines centrales ? Les Français approuvent la diversification du mix électrique et ne sont pas favorables à la reconduction d’un parc nucléaire à l’identique. Seuls 17 % sont sur cette position. Néanmoins, en parallèle avec la progression sur le nucléaire enregistrée cette année, on ne compte plus que 30 % des inter­viewés pour souhaiter qu’on ne remplace au­cune centrale nucléaire quand elles devront fermer au lieu de 37 % en 2020, lorsque cette question a été introduite (Tab. 5).

 

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La réponse dominante, qui fait ici figure de compromis, est de remplacer quelques cen­trales pour assurer la sécurité énergétique du pays « si les énergies renouvelables ne pro­duisent pas assez d’électricité » (42 %, + 2). C’est notamment l’option préférée des hési­tants sur le nucléaire en général, qui jouent ainsi une sorte de principe de précaution énergétique.

On voit donc à quel point la question de l’avenir du nucléaire a perdu pour la plupart des Français son contenu idéologique et ré­pond à une évaluation pragmatique des besoins futurs du pays. Même si cette énergie reste fort peu écologique à leurs yeux, notam­ment à cause des déchets, et peu susceptible de sauver le climat à elle seule.


Enquête Odoxa pour Challenges, Aviva et BFM Business réalisée les 2 et 3 mars 2021.

Notamment le soutien à la construction de nouvelles centrales, qui remonte de 18 points (de 11 % à 29 %) tandis que les opposants, toujours très majoritaires, baissent de 64 % à 45 %.

Voir RGN n° 4 (juillet-août 2020), « Le nucléaire et les valeurs des Français en 2020 », p. 28-31.

Europe-Écologie-Les Verts.

La France insoumise.

Rassemblement national.


Par Didier Witkowski, directeur des études à la direction de la communication, EDF – Photo © EDF / Stéphane Compoint / CAPA PICTURES – Place des Jacobins, Le Mans dans la Sarthe.