Un été atypique pour le système électrique et le parc nucléaire, et une priorité, préparer l’hiver

RTE a actualisé le 18 septembre ses prévisions concernant les répercussions de la crise sanitaire sur la sécurité d’approvisionnement électrique. Il a noté que le risque de déséquilibre entre l’offre et la demande d’électricité pour l’hiver 2020-2021, évoqué en juin, apparait désormais écarté avant cette période « du fait de l’amélioration annoncée de la disponibilité du parc nucléaire ». Dans le contexte inédit de la crise de la Covid, EDF, en accord avec l’Etat, RTE et l’ASN, avait révisé la programmation des arrêts de tranche du parc nucléaire cet été afin d’être au rendez-vous pour l’hiver. Le parc aura montré plus que jamais dans cette crise une grande flexibilité à plusieurs niveaux pour assurer la sécurité d’approvisionnement des Français.
Si la production d’électricité devait être assurée en France pendant la période du Covid, c’était aussi le cas pour les programmes d’arrêts de tranches destinés à assurer la maintenance des réacteurs pour qu’ils puissent fonctionner à plein régime pendant l’hiver suivant, lorsque la consommation est au plus haut.
Pendant le Covid, EDF a travaillé sur un ensemble de scénarios, y compris dégradés, pour vérifier sa capacité à remplir cette mission dans la durée, et ce, en concertation avec RTE et l’Etat. Il a donc été décidé de décaler certains arrêts pour maintenance ; d’autres arrêts de tranche ont été maintenus comme c’est le cas de la centrale du Bugey, qui a débuté son « grand carénage » en mars.
Au final, comme le rappelle le communiqué de RTE le 18 septembre dernier, le nucléaire a assuré, pendant toute la crise du Covid, la continuité de la fourniture de l’électricité. Le parc a pu démontrer sa robustesse et sa résilience durant le printemps et l’été, marqués par une baisse brutale de la consommation, une météo particulièrement clémente permettant la présence ponctuelle sur le réseau électrique d’une part majoritaire d’éolien et de solaire. Quand ces énergies prioritaires sur le réseau n’étaient plus en capacité de produire, c’est le nucléaire qui prenait le relais[1].
Une diminution programmée de la disponibilité du parc nucléaire cet été 2020
La France a connu cet été une diminution programmée, révisée et ajustée, de la disponibilité du nucléaire, pour donner la priorité à la maintenance du parc et garantir la sécurité d’approvisionnement électrique aux périodes de plus fortes consommations de l’année, de novembre 2020 à février 2021. Cette situation était connue et anticipée depuis juin 2020. RTE avait alors publié un communiqué le 11 juin portant sur une première analyse des répercussions de la crise sanitaire sur l’approvisionnement électrique, et avait annoncé une réduction de la capacité nucléaire disponible durant l’été 2020 de 12,2 GW.
Cette première analyse avait été réalisée sur la base d’une première déclaration prudente d’EDF sur la durée de ses arrêts programmés de maintenance. EDF avait revu à la hausse dès le 2 juillet son estimation de production d’électricité d’origine nucléaire pour 2020.
Des ajustements des programmes d’arrêts pour réduire les impacts prévisibles de la Covid-19 sur la période hivernale 2020/2021
Le directeur du parc nucléaire EDF, Etienne Dutheil, a confirmé le 16 septembre[2] que le groupe avait réalisé 13 arrêts programmés pour rechargement de combustible ou maintenance depuis début 2020 et que des arrêts de maintenance étaient en cours de réalisation (5 arrêts à simple rechargement, 11 visites partielles et 4 visites décennales)[3]. « Les retards liés à la crise sanitaire sur nos activités sont estimés de 1 à 3 mois selon les arrêts ».
Une nouvelle flexibilité dans la gestion du parc nucléaire
Parallèlement à ces arrêts programmés, « EDF a mené des actions visant à économiser le combustible de plusieurs réacteurs. Ces actions permettront, en accord avec l’ASN, de reporter leurs arrêts pour rechargement, et d’assurer leur disponibilité pour le plus fort de l’hiver », ajoute Etienne Dutheil. Ainsi les réacteurs de Civaux 2, Dampierre 1 et Cruas 2 ont été arrêtés une partie de l’été, ainsi que celui de Chooz 2, du fait du bas niveau de la Meuse[4]. « Il s’agit là de la mise en œuvre à grande échelle d’une autre dimension de flexibilité en exploitation du parc nucléaire ». De fait, au total, il a été décidé « que la maintenance de 8 réacteurs prévue en 2020 soit reportée en 2021, où le pays pourra aussi compter sur leur disponibilité ».
Et Etienne Dutheil de conclure : « Tout l’été les équipes du parc nucléaire se sont consacrées à la sécurisation de la campagne de production de l’hiver prochain […]. Les salariés qui interviennent sur nos 18 sites en exploitation travaillent d’arrache-pied pour satisfaire la mission de service public qui est la nôtre : être disponible au moment où le réseau a besoin de nous ».
Plus d’importations cet été
Cette baisse planifiée de la disponibilité du parc nucléaire n’a pas eu d’impact sur la sécurité d’approvisionnement cet été. RTE n’avait d’ailleurs pas anticipé un manque de production critique, compte tenu d’une part, de la très faible consommation électrique l’été (qui descend parfois à 30 GW seulement les nuits ou jours fériés – un creux avait même été observé le 10 mai à 7h00 (29 GW)) et d’autre part, des possibilités d’importations qui peuvent atteindre jusqu’à 9 GW en cas de pic de consommation liée à la canicule et à la sècheresse. Les chiffres de RTE de juillet montrent que la France a importé plus d’électricité que les années normales, de l’ordre de 6 GW (pour ne capacité d’import estimée à 10,8 GW). Ces importations, – et de niveau CO2 élevé -, auraient été bien moindres si bien sûr les réacteurs 1 et 2 de Fessenheim étaient restés en production. Mais en tout état de cause, la disponibilité nucléaire, si elle a été inférieure à l’été 2019, n’a pas posé de risque pour l’approvisionnement de l’électricité.
Vigilance selon RTE pour l’hiver prochain
Même avec l’amélioration annoncée, RTE a rappelé le 18 septembre que dans l’ensemble « l’hiver 2020-2021 demeure toujours sous vigilance particulière et l’équilibre prévisionnel entre offre/demande devrait rester tendu, notamment de mi-novembre à décembre en cas de froid précoce ». RTE prévoit de réactulaiser les données mi-novembre.
Parc nucléaire, de nouveaux services rendus pour l’équilibre du réseau
S’agissant du réseau électrique français, il a été confronté cet été à d’autres difficultés, en particulier à l’apparition de phénomènes de tensions hautes, liés, comme l’expliquait RTE en juin dans un communiqué, à « la conjonction d’un niveau bas de consommation lors des week-ends et jours fériés, et de la disponibilité réduite du parc de production nucléaire en capacité de contribuer habituellement fortement au réglage de la tension ». Par ailleurs, il faut savoir qu’en cas d’afflux massif d’électricité intermittente combiné à une consommation très faible (30 GW), le réseau peut aussi devenir instable par insuffisance d’inertie apportée par les machines synchrones pilotables.
La production des énergies renouvelables a été forte cet été et a provoqué des phénomènes de tensions hautes, connus de RTE. Mais ces phénomènes étaient « amplifiés par la situation inédite du Covid que nous traversons », ajoute RTE.
Ainsi, RTE, pour faire face à la stabilité du réseau électrique cet été, a demandé à EDF le maintien du réacteur 2 de Civaux en production pendant toute la durée de l’arrêt de Civaux 1. « Il a donc été maintenu, à charge partielle, à la demande du gestionnaire du réseau de transport d’électricité », explique Stéphane Feutry, délégué d’Etat major en charge de la production nucléaire chez EDF. « C’est ce qui explique aussi que ce réacteur n’ait été arrêté que tardivement (dimanche 20 septembre) pour 3 semaines, afin de solder l’économie de combustible permettant ainsi de reporter son prochain arrêt aussi loin que possible cet hiver. Sans cette demande de RTE, ce programme d’économie aurait été terminé cet été ».
A noter que des situations plus ponctuelles, mais similaires, ont concerné aussi les réacteurs de Chinon, Dampierre, Belleville, Blayais, Paluel et Cattenom.
Pour mieux comprendre cette nouvelle situation, deux raisons principales doivent être évoquées :
– la faiblesse de la consommation cet été a provoqué une sous-charge du réseau, provoquant des tensions élevées sur les lignes, et en conséquence nécessitant des besoins de réglage de tension, presque immédiatement[5]. Les seuls groupes pilotables disponibles étaient alors les centrales nucléaires. En effet, comme le rappelle Stéphane Feutry, « le thermique était à l’arrêt, l’hydraulique tournait au minimum sachant aussi qu’il a une faible présence dans toute la moitié Nord-Ouest de la France, et les énergies renouvelables ne savent pas fournir ce service » ;
– l’arrêt déjà en cours de plusieurs réacteurs : Paluel 2 et 3, Flamanville 1 et 2 qui rendait encore plus nécessaire la présence des autres.
Cette situation constitue certainement un excellent laboratoire pour RTE et qui s’inscrit durablement dans la PPE. Elle rappelle aussi la mission essentielle de service public assurée par le parc nucléaire, composante clé pour le maintien de la sécurité d’approvisionnement de notre système électrique.
[1] Ecouter l’analyse du Webinaire Sfen – L’agilité du parc nucléaire pendant la crise – Jeudi 17 septembre | 13:00 – 14:00 – Intervenants – Stéphane Feutry (EDF) et Thibaut Gain (Framatome)
[2] Webinaire Post-Covid Sfen – Septembre 2020
[3] Dans les arrêts, il faut distinguer : – les arrêts « à simple rechargement » (ASR) du combustible, avec peu ou pas de maintenance (durée : environ 35 jours) ; les « visites partielles » avec rechargement du combustible et maintenance (durée : environ 70 jours, variable selon les programmes de travaux de maintenance) ; les visites « décennales », durant lesquelles sont réalisés le rechargement du combustible, la maintenance et les actions d’amélioration de la sûreté de la centrale ainsi que les contrôles des différents composants requis tous les 10 ans par la réglementation. Sa durée est de l’ordre de 150 jours.
[4] Depuis 2000, les pertes de production pour cause de température élevée des fleuves et au faible débit des fleuves ont représenté en moyenne 0,3% de la production annuelle du parc.
[5] La production d’énergies renouvelables amplifie la sous-charge du réseau, car elle se fait essentiellement sur le réseau de distribution. A production française égale, moins d’énergie transite par le réseau de transport RTE lorsque les énergies renouvelables produisent.
RTE a dû mettre certaines lignes hors tension, pour concentrer la charge transportée sur les lignes restantes.
Le réacteur 2 de Civaux a pendant plusieurs jours, absorbé jusque 550 MW de puissance réactive, soit presque le maximum qu’un alternateur peut fournir. Une première.
Les groupes hydrauliques du Massif-Central sont également très sollicités en réglage de tension, pour la même raison.