États-Unis et Royaume-Uni : soutien aux investissements privés pour une relance du nucléaire
Le 20 février dernier, le gouvernement américain a finalisé son offre de garantie de prêt de 6,5 milliards de dollars (4,7 milliards d’euros) pour la construction de deux réacteurs AP1000 sur le site de Vogtle, en Géorgie. En février 2010, le projet de construction des tranches 3 et 4 de la centrale de Vogtle avait reçu la première garantie de prêt conditionnelle de la part du Department of Energy (DoE, Secrétariat d’État américain à l’Énergie).
Dans ce cadre, Georgia Power, filiale de Southern Co, qui possède 45,7% des deux nouveaux réacteurs, a reçu une garantie de 3,46 milliards de dollars (2,52 milliards d’euros), tandis qu’un montant de 3,07 milliards de dollars (2,24 milliards d’euros) a été accordé à Oglethorpe Power, dont les parts dans le projet s’élèvent à 30%. Une troisième offre de 1,8 milliards de dollars (1,3 milliards d’euros) sécurise les 22,7% de parts de la Municipal Electric Authority of Georgia (MEAG). La ville de Dalton possède les 1,6% restants.
Le mécanisme des garanties de prêt aux États-Unis
Les garanties de prêt du DoE sont accordées dans différents secteurs afin d’encourager l’exploitation commerciale de technologies énergétiques innovantes ou sensiblement améliorées. Ces garanties, soutenues par le gouvernement fédéral américain, ont pour but d’aider les constructeurs potentiels à lever des fonds privés sans impact sur le contribuable, puisque les bénéficiaires doivent s’acquitter de frais de garantie. Les garanties de prêt peuvent couvrir jusqu’à 80% des coûts de financement estimés de la construction de nouveaux réacteurs. Le Secrétaire d’État américain à l’Énergie, Ernest Moniz, a entériné l’offre de garantie de prêt conditionnelle au cours d’une visite sur le chantier de Vogtle le 20 février dernier. En cas de non-paiement, les prêts seront remboursés par la Federal Financing Bank – banque fédérale dont le rôle est de consolider les activités financières des agences gouvernementales afin de réduire leurs coûts d’emprunt. Pour que la caution soit accordée, le projet a au préalable rempli un certain nombre de conditions, en particulier l’accord de la part de Georgia Power et Oglethorpe Power de régler les frais associés à celle-ci. Le DoE a fait savoir qu’il « continuait à travailler sur l’engagement conditionnel auprès de MEAG pour garantir un prêt de 1,8 milliards de dollars ». Comme l’a souligné Ernest Moniz, « la construction de nouvelles centrales nucléaires comme celle-ci – qui fournira de l’électricité à plus d’un million d’Américains sans émettre de CO2 – n’est pas seulement une étape clé dans l’engagement de l’administration Obama de relancer l’industrie nucléaire américaine. Cela va aussi dans le sens de la nouvelle voie empruntée par les États-Unis, consistant à encourager le développement concomitant de toutes les technologies disponibles afin d’assurer l’avenir bas-carbone de son mix énergétique. » La construction de Vogtle 3 a officiellement commencé avec le coulage du premier béton en mars dernier. Le chantier de la 4ème tranche a débuté en novembre. Il est prévu que la 3ème tranche démarre fin 2017, suivie un an plus tard par Vogtle 4. Deux AP1000 sont également en construction à la centrale de VC Summer en Caroline du Sud, exploitée par South Carolina Electric & Gas (SCE&G), filiale de Scana Corporation, et détenue conjointement par SCE&G et Santee Cooper. Ces dernières ont été pré-sélectionnées pour recevoir une garantie de prêt afin de faciliter le financement des nouveaux réacteurs de VC Summer.
Le Royaume-Uni opte pour la garantie de prêt et les « strike prices »
La garantie de prêt du DoE américain fait écho à celle proposée par le gouvernement britannique à EDF Energy en octobre dernier. Le groupe EDF prévoit en effet de construire deux réacteurs EPR pour une puissance totale de 3,2 GW et un coût de 16 milliards de livres (19,4 milliards d’euros) sur le site d’Hinkley Point C, au sud-ouest de l’Angleterre, projet qui pourrait être suivi de la construction de deux autres EPR sur le site de Sizewell C, dans l’est du pays. « Pour la première fois, une centrale nucléaire britannique ne sera pas financée par de l’argent public », a déclaré le Secrétaire d’État à l’Énergie, Ed Davey. Les investisseurs seront essentiellement les groupes EDF (45 à 50% du projet), Areva (10%), China General Nuclear Power Corp et China National Nuclear Corp (30 à 40% à eux deux). Deux mécanismes visant à encourager ce financement privé ont été mis en place par le gouvernement britannique. Tout d’abord, une garantie de prêt par le Trésor britannique viendra soutenir les coûts globaux de construction à hauteur de 65% dans le cadre du projet Infrastructure UK, une méthode similaire à celle employée par le DoE pour Vogtle. De plus, un « contrat pour différence » a été signé entre les protagonistes, afin de garantir un tarif de rachat de l’électricité sur une durée de 35 ans à compter de la mise en service de la centrale. La clé de ce mécanisme réside dans les strike prices (prix d’exercice) : lorsque les prix sur le marché de l’électricité sont inférieurs au strike price fixé par le contrat, le producteur reçoit la différence ; dans le cas inverse, le surplus est reversé par l’exploitant. D’après un rapport préliminaire de la Commission Européenne, « l’exploitant de la centrale nucléaire bénéficiera en bout de course d’un niveau fixe de recettes et, partant, ne sera pas exposé aux risques du marché pendant toute la durée du programme ». Selon les termes du communiqué de presse d’EDF à ce sujet, le strike price est ainsi defini :
- £89,5/MWh (108,5€/MWh) si une décision d’investissement est prise pour le projet de Sizewell C. Dans ce cas, le projet de Sizewell C reversera au projet d’Hinkley Point C l’équivalent de £3/MWh (3,6€/MWh), du fait de l’effet de série dont bénéficiera Sizewell C, notamment pour la conception, la chaine d’approvisionnement et l’ingénierie.
- £92,5/MWh (112,1€/MWh) pour le projet d’Hinkley Point C si aucune décision d’investissement n’est prise pour le projet de Sizewell C.
Si des économies par rapport au budget initial sont réalisées dans la construction du projet d’Hinkley Point C, les consommateurs en bénéficieront à travers un ajustement du strike price. Bien que ces prix soient supérieurs au cours actuel de l’électricité outre-Manche (autour de £50/MWh, soit 60,6€/MWh), ils permettront de se prémunir à long terme contre une envolée anticipée des prix, notamment liée à la volatilité du marché du gaz naturel dont le prix a déjà doublé en cinq ans. Ils sont par ailleurs inférieurs aux tarifs de rachat actuellement pratiqués par le gouvernement en soutien aux énergies renouvelables (£104,9/MWh en moyenne, soit 127.2€/MWh). Selon Ed Davey, « d’ici 2030, ce nouveau programme permettra au ménage britannique moyen d’économiser £77 par an (93€) sur sa facture d’électricité ». Il est à noter que le projet bénéficiera également d’une protection contre d’éventuels changements législatifs et réglementaires, gage de stabilité pour les investisseurs.
Le futur de l’industrie nucléaire passe-t-il par les garanties de prêt ?
En décembre dernier, la Commission Européenne a ouvert une enquête pour déterminer si la construction des deux EPR d’Hinkley Point C ne pourrait être réalisée grâce aux seuls acteurs privés du projet, sans l’intervention de l’État via le « contrat pour difference », et si cette mesure respecte les règles fixées par l’Union Européenne au sujet des aides d’État. Quelles que soient les conclusions de cette enquête, le mécanisme de garantie de prêt qui, lui, n’a pas été remis en question, pourrait-il apparaître comme un facteur majeur du renouveau de l’industrie nucléaire ? C’est en tout cas cette option qui a à nouveau été retenue par le gouvernement britannique afin de soutenir la construction de deux Advanced Boiling Water Reactors (technologie du Japonais Hitachi) sur le site de Wylfa, au nord du pays de Galles.
Article partiellement tiré de World Nuclear News: Issuance of Vogtle loan guarantees