L’entreposage est-il une alternative crédible à Cigéo ? - Sfen

L’entreposage est-il une alternative crédible à Cigéo ?

Publié le 15 mai 2018 - Mis à jour le 28 septembre 2021
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Le stockage géologique profond pour les déchets radioactifs les plus dangereux fait consensus auprès de la communauté scientifique et des pouvoirs publics. Le projet Cigéo fait pourtant l’objet de débats. Lorsque les opposants au stockage proposent une alternative, ils mettent en avant l’entreposage, qu’il soit de surface ou en subsurface. Qu’en est-il ?

L’entreposage en surface : quinze années de recherche

L’entreposage de longue durée en surface, qui se définirait comme un entreposage conçu pour une durée supérieure au siècle, fut l’un des trois axes de recherche fixé par la loi du 30 décembre 1991 (loi Bataille), sur la gestion des déchets les plus radioactifs et à vie longue. Avec cette loi, le Parlement donnait quinze années pour conduire des recherches sur trois techniques : la séparation/ transmutation, le conditionnement et l’entreposage de longue durée (recherches confiées au CEA) et le stockage en couche géologique profonde (confié à l’Andra).

Le 1er février 2006, quinze ans plus tard donc, l’ASN rendait son avis sur les recherches menées sur l’entreposage. Pour le « gendarme du nucléaire », appuyé par l’expertise technique de l’IRSN, l’entreposage de longue durée « ne peut pas constituer une solution définitive pour la gestion des déchets radioactifs de haute activité à vie longue ». Une décision étayée par de nombreux arguments.

L’ASN souligne notamment le risque et les contraintes liés à la gestion de l’entreposage sur une longue durée et donc, périodiquement, de reconditionner des déchets et de reconstruire les installations d’entreposage.

L’autorité pointe aussi la « difficulté d’anticiper et de modéliser le vieillissement de l’installation et des colis de déchet sur de longues périodes dans la démonstration de sûreté ». Des difficultés qui s’ajoutent aux enjeux de sûreté des installations d’entreposage « classiques », et notamment concernant la maîtrise des risques (manutention, criticité, explosion, incendie…).


L’entreposage est tel que vous devez un jour retirer les colis pour les mettre ailleurs. Il entraîne donc le transfert d’une lourde charge aux générations futures.


Par ailleurs, l’ASN souligne que « la maîtrise d’une installation d’entreposage nécessite des actions de surveillance et de maintenance continues, donc d’un contrôle institutionnel dont la pérennité est difficile à garantir sur de longues périodes de temps ». Or, précise l’ASN, « la perte de maîtrise technique de l’installation, voire le risque d’abandon, pourrait alors conduire à des situations potentiellement inacceptables ». Cette considération, faite sous l’angle de la maîtrise technique et de la sûreté, vaut aussi du point de vue économique : les travaux des économistes montrent que la définition d’un taux d’actualisation à des échelles de temps de plus de cent ans est difficile, compte tenu notamment des incertitudes prévalant sur la croissance de long terme à ces horizons de temps.

L’entreposage en subsurface [1] : les mêmes difficultés sans les avantages

Une variante est mise en avant : « l’entreposage pérenne en subsurface ». Pensé pour être sous terre à quelques dizaines de mètres de profondeur, par exemple à flanc de colline, l’entreposage en subsurface cumule les inconvénients de l’entreposage en surface et les complexités induites par le souterrain (travaux souterrains, dispositions architecturales similaires, rampes d’accès, puits d’aération, galeries et alvéoles de stockage, contraintes liées à la récupération des colis, dispositions liées au dégagement de chaleur des déchets HA), sans en présenter les qualités fondamentales qui sont d’apporter un très haut niveau de sûreté sur le très long terme. Contrairement au stockage géologique profond, l’entreposage en subsurface subira les phénomènes d’érosion naturelle pendant la période où les déchets resteront dangereux.

Cette alternative n’apporte rien de plus, si ce n’est une complexité supplémentaire. Si l’on recherche la possibilité de se laisser du temps, comme les partisans de cette solution le laissent entendre, c’est exactement ce à quoi sert la réversibilité de Cigéo. Le Parlement a en effet demandé que le stockage soit réversible pendant au moins 100 ans pour laisser des choix aux générations suivantes.


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Cette option est par ailleurs un pari risqué. Si aucune autre solution n’est trouvée ou que les générations à venir n’ont pas les moyens ou les compétences pour la mettre en oeuvre, la France se retrouverait dans la situation où il faudrait laisser les déchets en subsurface.

La réversibilité du stockage pourra préserver les mêmes libertés de choix qu’une poursuite de la gestion en entreposage, mais ajoutera la possibilité de fermer le stockage pour mettre en sécurité de manière définitive les déchets les plus radioactifs et ne plus transmettre la charge de la gestion des déchets aux générations suivantes. Ainsi, un entreposage en subsurface ne peut garantir un confinement de la radioactivité sur la centaine de milliers d’années pendant lesquels les déchets de haute activité doivent rester éloignés des populations et de leur environnement.

Un pari sur l’avenir qui reporte la charge sur les générations suivantes

Comme l’a exprimé le 22 février Daniel Iracane, directeur général adjoint de l’Agence pour l’énergie nucléaire de l’OCDE, lors de son audition devant la Commission d’enquête parlementaire sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires, « par définition, l’entreposage est tel que vous devez un jour retirer les colis pour les mettre ailleurs. Il entraîne donc le transfert d’une lourde charge aux générations futures – la charge n’étant pas l’entreposage lui-même. Un jour, les déchets devront être déplacés et il faut avoir la garantie que les compétences, les financements et la mémoire de ce qui a été entreposé seront encore là ». À l’inverse, précise-t-il, « le stockage géologique apparaît comme une solution ultime. »

Daniel Iracane ajoute d’ailleurs une distinction importante entre les deux notions au regard de l’enjeu de mémoire : « Le stockage est, par définition, l’art de mettre des déchets quelque part pour les oublier. L’entreposage, lui, est, par définition, l’art de déposer quelque part des déchets avec l’obligation absolue de les reprendre. (…) Un des critères absolus du stockage est qu’il n’y ait pas, au sein de ce stockage, de valeur d’attrait – de choses qui soient tellement attrayantes qu’elles puissent pousser la civilisation du moment à rouvrir le système. » Ainsi, il n’y a pas de ressources minérales ou géothermales particulières sur le site de Cigéo. C’est au regard de ces enjeux que dans le cadre de la loi de programme du 28 juin 2006, le Parlement a fait le choix de la solution du stockage profond pour mettre en sécurité définitive les déchets les plus radioactifs. « Il en a donc été déduit qu’il fallait choisir entre la géologie et la société », résume Pierre-Marie Abadie [2], directeur général de l’Andra, pour expliquer ce choix. Cette décision de la géologie, face à la société, se doublait d’un choix éthique implicite : l’entreposage de longue durée revient à laisser aux générations suivantes la tâche de trouver une solution. Or, si l’on écarte les aspects de responsabilités et de morale et que l’on s’en tient aux seuls aspects pratiques, ce report s’avère dangereux. En effet, Cigéo est le résultat de plus de 25 ans de recherche que l’on est aujourd’hui capable de mettre en oeuvre, tant techniquement que financièrement. C’est aujourd’hui que la société dispose des capacités scientifiques et d’ingénierie, de la connaissance des déchets pour avancer.


Comment croire que les générations futures investiraient dans la recherche sur un sujet du passé pour une filière qui n’aurait pas d’avenir ?


Devant la représentation nationale, Pierre-Marie Abadie a ainsi rappelé que « Dans un contexte où le nucléaire n’est plus qu’une option énergétique parmi d’autres, il est plus que jamais indispensable de continuer à explorer la solution du stockage profond. » Cigéo est un projet qui n’exclut pas la recherche, puisqu’il est incrémental et progressif et que l’Andra avance de manière précautionneuse. Pour ceux qui croient à la sortie du nucléaire, il est d’autant plus urgent de s’en occuper tant que sont disponibles les compétences, les connaissances et la R&D. Compte tenu des temps de développement dans le nucléaire (de l’ordre du demi-siècle), il serait risqué de parier que de nouvelles idées surgiront à court terme : « l’EPR a été imaginé dans les années quatre-vingt-dix et le réacteur Astrid de quatrième génération, dans les années soixante-dix. En d’autres termes, une idée qui n’est pas développée aujourd’hui n’a aucune chance d’aboutir à un résultat opérationnel dans cinquante ans. » Un paradoxe peut d’ailleurs être soulevé de la part des opposants qui demandent poursuivre la recherche sur les déchets, qui n’a de sens que dans une perspective de développement à long terme du nucléaire, tout en prônant la sortie rapide du nucléaire. Comment croire que les générations futures investiraient dans la recherche sur un sujet du passé pour une filière qui n’aurait pas d’avenir ?

L’entreposage n’a pas été retenu à l’étranger

L’objectif d’une solution de gestion définitive est de protéger à très long terme l’homme et l’environnement de la dangerosité des déchets les plus radioactifs. La sûreté de cette solution sur l’échelle de temps de la centaine de milliers d’années doit être assurée de manière passive, sans dépendre d’actions humaines. Au regard de cette durée, l’entreposage – qu’il soit en surface ou à faible profondeur – ne peut être qu’une solution provisoire dans l’attente d’une solution définitive.

Ainsi, Pierre-Franck Chevet, président de l’ASN, a rappelé fin 2017 que « Cigéo, dans son principe de stockage géologique profond, est pour l’instant la seule solution raisonnable et responsable » [3]. Cette solution reste sûre à long terme, même en cas d’oubli du site, contrairement à l’entreposage en surface.

À l’échelle européenne, la directive du 19 juillet 2011 considère aussi que le stockage géologique constitue actuellement la solution la plus sûre et la plus durable en tant qu’étape finale de la gestion des déchets de haute activité. À l’échelle mondiale, le stockage est aujourd’hui considéré dans tous les pays comme la meilleure solution.

Si Cigéo est autorisé, notre génération aura su mettre à la disposition des générations suivantes une solution opérationnelle pour protéger l’homme et l’environnement sur de très longues durées de la dangerosité de déchets radioactifs. Grâce à la réversibilité, prévue sur une durée d’un siècle, elles garderont la possibilité de faire évoluer cette solution.

Crédit photo : F. RHODES / CEA

Légende : Le CEA, qui avait conduit les recherches sur l’entreposage, est spécialisé avec son Laboratoire d’Etudes du Comportement des Bétons et des Argiles dans la durabilité des matériaux impliqués notamment dans les conteneurs et structures d’entreposage de déchets nucléaires


Entreposage situé en faible profondeur (quelques dizaines de mètres sous la surface du sol). Il comprend des puits ou alvéoles et des galeries creusées à flanc de colline ou de montagne par exemple, permettant l’accès par une voie horizontale.

Audition devant la Commission d’enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires, 8 mars 2017.

Audition à l’Office parlementaire des choix scientifiques et techniques (Opecst) le 30 novembre 2017.


Par Tristan Hurel, SFEN