Quels enjeux pour une R&D qui fait la différence ?
La R&D et l’innovation permettront à la filière nucléaire de faire la différence en proposant des technologies et des services se démarquant de la concurrence et en renforçant la compétitivité de l’atome par rapport à d’autres sources d’énergie. Mais comment y parvenir ? Comment organiser la R&D et l’innovation ? Doit-on changer les méthodes de travail ?
Comme chaque année, plus de 400 professionnels et décideurs de la filière nucléaire s’étaient donné rendez-vous le 15 mars à la Convention SFEN, qui se tenait cette année au Parc Floral de Paris. Cette édition portait sur le thème « L’usine nucléaire du futur ». Naturellement, la R&D et l’innovation étaient au coeur des échanges. La Convention a permis de faire le point sur les objectifs recherchés et les stratégies mises en place.
Innover collectivement pour être plus agile et plus rapide
Introduisant la table ronde, Bernard Salha, directeur de la R&D d’EDF, a présenté la démarche « Usine nucléaire du futur » dont l’objectif est d’accélérer les temps d’innovation dans la filière : « Notre R&D ne doit pas rester figée sur les réacteurs dont le rythme peut paraître lent. Au contraire, il faut que nous travaillions sur des projets plus ciblés, plus courts, plus réactifs, de façon plus ouverte, de manière à obtenir des résultats plus rapidement ».
François Gauché, directeur de l’énergie nucléaire au CEA, partage cet avis sur la nécessité de repenser les modes de travail : « La R&D est indispensable pour la compétitivité de la filière à long terme. C’est en multipliant les expertises que l’on parviendra à des ruptures technologiques et scientifiques rapides, tout en capitalisant sur les connaissances dans des outils de modélisation toujours plus performants (calcul 3D grâce au HPC, couplage des échelles et des disciplines…) qualifiées au moyen d’expériences également plus fines. »
« L’objectif de cette démarche est d’accélérer les cycles d’innovation, d’optimiser les ressources et de gagner en agilité » ajoute Nathalie Collignon, directrice innovation d’Orano. Pour y parvenir, le groupe français, leader dans le cycle du combustible nucléaire, s’appuie sur un écosystème plus innovant et parie sur l’innovation ouverte. « Depuis plusieurs années, nous avons mis en place une plateforme collaborative pour permettre aux start-ups et aux PME de proposer des solutions à des challenges que nous rencontrons ». Travailler avec des acteurs « plus petits » inspire également les ingénieurs-chercheurs du CEA qui sont de plus en plus nombreux à créer leur entreprise. « Le CEA a créé cette année sa 200e start-up ! » annonce Philippe Watteau, directeur du CEA-List.
« Dans un contexte international de concurrence très forte, la filière nucléaire française doit jouer collectif » prévient le directeur de la R&D d’EDF. « Aux États-Unis, la concurrence du gaz de schiste a poussé les acteurs nucléaires à lancer l’initiative Deliver the Nuclear Promise afin d’améliorer la compétitivité des centrales » rappelle Catherine Read, vice-présidente stratégie et R&D à Framatome Base installée. Outre-Atlantique, deux autres initiatives ont également été lancées : Gateway for Accelerated Innovation in Nuclear, un incubateur fédéral de start-ups, et le Center for Advanced Nuclear Energy Systems du prestigieux MIT pour les aspects plus académiques.
Philippe Watteau soutient également la cross fertilisation qui permet de partager des savoirs acquis dans d’autres industries pour les adapter à la spécificité du nucléaire. C’est ce que fait le CEA-List au sein du Factory Lab, qui réunit les industries navale, automobile et aéronautique. « Le Factory Lab permet de développer des technologies qui font sens pour différents secteurs et dont les résultats, partagés, intéressent tout le monde, ce qui crée une vraie communauté d’industriels autour de projets communs. »
Du tout numérique au laboratoire du futur
Les nouvelles technologies numériques sont appelées à jouer un rôle majeur pour accélérer les temps de développement des innovations. François Gauché y voit des opportunités : « L’accès démocratisé au calcul haute performance offre de nouvelles possibilités dont les chercheurs pouvaient seulement rêver il y a peu ». Des clés qui permettent d’envisager la modélisation et la création des jumeaux numériques de pièces complexes comme les générateurs de vapeur. « Un an de maquette numérique, c’est 10 ans de fonctionnement réel » explique Bernard Salha. Le directeur de la R&D d’EDF prévoit d’ailleurs que la gestion de la data jouera un rôle de plus en plus important : « Les données, qu’elles soient d’exploitation, de pilotage, de retour d’expériences, de fabrication, sont la nouvelle frontière : c’est là que se situera la valeur de demain ».
« L’usine nucléaire du futur, c’est également des laboratoires du futur » analyse François Gauché. « Avec la simulation numérique, le laboratoire du futur va permettre d’avoir un regard fin sur ce qui se passe dans la matière. On ne va pas seulement utiliser les expériences pour alimenter les codes mais utiliser les codes pour définir les nouvelles expériences, plus analytiques et mieux instrumentées, moins risquées et in fine moins coûteuses. »
L’humain au coeur de la R&D et de l’innovation
Dans ce grand changement, quelle sera la place de l’Homme ? « Nous devons nous former pour acquérir les nouvelles connaissances de ces innovations à venir », analyse Bernard Salha, d’EDF. « Il faut une continuité entre chercheurs et métiers opérationnels, pour qu’ils apportent avec eux les technologies qu’ils ont développées à la R&D. » Pour certaines de ses recherches, EDF travaille avec des chercheurs de milieux académiques afin de capter le savoir. « L’enjeu de la R&D est de faire le pont entre les savoirs amont et les savoirs appliqués. »
Pour accompagner ces transformations, la formation est la clé. Philippe Watteau explique qu’au sein du Factory Lab, « dès qu’un projet est ouvert, un module de formation avec l’ENSAM lui est adossé ». Il ajoute par ailleurs que l’innovation est la rencontre de trois cultures : « celle de l’entrepreneur, de l’investisseur et du chercheur. Il faut créer des écosystèmes pour favoriser les savoirs entre ces cultures et les mixer ».
Nathalie Collignon conclut sur la nécessité de laisser aux équipes une liberté d’initiative : « l’innovation concerne tous les collaborateurs qui veulent contribuer à la transformation et proposer de nouvelles idées ».