Emplois et ressources industrielles : le rapport Match sur le nucléaire est remis au gouvernement - Sfen

Emplois et ressources industrielles : le rapport Match sur le nucléaire est remis au gouvernement

Publié le 25 avril 2023 - Mis à jour le 27 avril 2023

Dans les 10 prochaines années, la filière nucléaire va devoir recruter massivement pour faire face à tous les grands programmes nucléaires en cours, comme le grand carénage, la construction de six EPR2 ou encore le déploiement d’installations du cycle. Il a fallu trois ans de travail auprès des donneurs d’ordres et de la filière pour mener à bien ce travail qui doit aboutir à un plan d’action dès le mois de mai.

Le 21 avril, le Groupement industriel de la filière nucléaire (Gifen) a remis à la ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher le très attendu rapport Match. Il s’agit de l’aboutissement de près de trois ans de travail. Dans un contexte historique de relance du nucléaire, l’enjeu pour la filière est d’évaluer l’écart entre ses besoins en compétences sur les dix prochaines années et les ressources actuellement disponibles chez les industriels. Un outil indispensable pour piloter les plans d’action et garantir que la filière disposera des bonnes ressources, au bon moment, pour réaliser les grands projets à venir.

Un travail qui a mobilisé une centaine d’entreprises

La méthode mise en place par les équipes du Gifen a consisté d’abord à recueillir les plans de charge des sept donneurs d’ordres exploitants : EDF, Orano, CEA, Framatome, Andra, Technicatome et Naval Group. Chacun a dû évaluer ses activités internes et ses achats auprès leurs fournisseurs jusqu’à 2033. Le périmètre pris en compte par Match est considérable. Il concerne : les dépenses d’exploitation du parc, les travaux du grand carénage, la construction de six EPR2, le réacteur de recherche Jules Horowitz (RJH), le réacteur expérimental thermonucléaire Iter, le site d’enfouissement Cigéo, l’extension de l’usine Georges Besse 2 (GB2), la fourniture de propulsion nucléaire pour les sous-marins et porte-avions. Pour cette première version, il est à noter que les SMR et AMR n’ont pas été inclus. À l’export, la part accessible des projets britanniques et indiens n’a pas non plus été considérée.

Chaque donneur d’ordres a dû décomposer ses meilleures prévisions de plans de charge selon une vingtaine de segments d’activité et plus de 80 métiers. Cela s’appuie sur une cartographie des compétences issue des travaux réalisés grâce à un accord-cadre Edec (Engagement de développement de l’emploi et des compétences), lequel avait été signé pour deux ans en mars 2021 entre l’État, le Gifen et deux branches professionnelles (UIMM et IEG[1]). Ces segments d’activité et ces métiers ne sont pas exhaustifs, mais couvrent ce qu’on appelle les emplois « cœur ».

Des groupes de travail par segment ont ensuite réuni plus d’une centaine d’entreprises de la filière. L’objectif était de traduire les besoins des donneurs d’ordres, initialement évalués en montant d’achat par segment et par activité, en besoins en compétences et en capacités industrielles. La plupart des groupes de travail ont été pilotés par un représentant de l’organisation professionnelle correspondant au segment d’activité, par exemple le Syntec-Ingénierie, la Cofrend[2], ou la Fédération forge fonderie.

La méthode du programme Match a une vocation récurrente et les premiers résultats ont déjà fait l’objet de plusieurs itérations. Ils ont vocation à être mis à jour. D’un point de vue méthodologique, les prévisions de besoins ont été estimées sans prise en compte de gain de productivité. Elles ont bien sûr considéré les départs en retraite ou vers d’autres secteurs économiques.

100 000 personnes à recruter

Le premier résultat de Match est que, moyennant des disparités selon les segments d’activité, les capacités industrielles françaises sont globalement suffisantes et peuvent s’adapter en augmentant les volumes de production de sites existants. À noter qu’il faudra anticiper la réservation des créneaux de production pour les entreprises qui travaillent sur plusieurs filières. Certains segments demanderont une mise à niveau pour pouvoir soutenir le programme de relance français. C’est le cas par exemple de la fonderie, qui a été longtemps délaissée, et ne s’est pas modernisée comme ont pu le faire des concurrents étrangers. Les travaux partagés avec les entreprises ont permis d’identifier aussi de possibles gains d’efficacité, comme l’optimisation de la surveillance des fabrications et la stabilisation des référentiels.

En ce qui concerne les emplois, l’exercice Match a fait apparaitre un besoin de recrutement des compétences important sur les emplois « cœur » portant sur les 20 segments et les 84 métiers du périmètre étudiés. Ces derniers sont estimés, en 2023, à 125 000 emplois équivalents temps plein (ETP) sur un volume total de 220,000 emplois. À noter que ces emplois cœur sont portés le plus souvent par les exploitants et leur fournisseur de rang 1. Le reste des emplois se trouve chez les fournisseurs de rang supérieur, ou sur les fonctions transverses chez les exploitants et leurs fournisseurs (comme des fonctions commerciales ou de support).

Selon l’exercice Match, les métiers cœur atteindront un peu plus de 155 000 emplois en 2033, soit une augmentation de 25 % en 10 ans des effectifs. Pour y parvenir la filière estime qu’elle doit recruter, dans les compétences cœur, près de 60 000 ETP, avec une moitié pour répondre à la croissance d’activité, et une moitié pour répondre au renouvellement des personnes qui partent à la retraite ou vers d’autres secteurs. Au total, si on compte tous les salariés, au-delà des fonctions cœur, la filière doit recruter d’ici 2033 environ 100 000 salariés.

Si l’on regarde plus en détail, on voit que la croissance des besoins en emplois devrait intervenir en deux phases. Une première immédiate, puis une accélération vers 2027-2030 avec le démarrage des constructions EPR2 (génie civil, fabrication d’équipements, montages électromécaniques). Ce sont les fournisseurs qui devront le plus augmenter leurs effectifs (+35 % sur 10 ans), ce qui représente un vrai enjeu d’anticipation pour que leurs nouveaux salariés aient le temps d’acquérir l’expérience nécessaire pour « faire bien du premier coup » lorsque démarreront les chantiers. Certaines entreprises ont commencé à anticiper ces investissements, mais pour les concrétiser, ils disent attendre des décisions d’engagement ferme sur les futurs projets majeurs et de la lisibilité sur leur lotissement.

Un plan d’action attendu d’ici la fin du mois de mai

Les enseignements du programme Match ont vocation à éclairer les actions conduites, sous l’égide de l’Université des métiers du nucléaire (UMN) avec les acteurs de l’Éducation nationale et de la formation professionnelle. Hélène Badia, présidente de l’UMN, a annoncé qu’un plan d’action serait remis à la ministre d’ici la fin mai. Déjà, on peut dire que si certaines régions doivent compléter leur offre de formation, l’essentiel de l’effort devra porter sur l’attractivité. Le nouveau plan s’articulera autour de trois axes : le portail web des métiers et des formations www.monavenirdanslenucleaire.fr, les événements à fort impact (comme la semaine des métiers du nucléaire) et les actions dans les collèges. La ministre a déjà annoncé un concours qui récompensera l’entreprise dont le plus grand nombre de salariés se seront rendus dans les collèges d’ici la fin juin. ■

Par Valérie Faudon, Déléguée générale de la Sfen

Légende : Philippe Knoche, PDG d’Orano, Agnès Pannier-Runacher, ministre française de la Transition énergétique et Roland Lescure, ministre délégué à l’Industrie, sur le site d’enrichissement d’uranium Georges Besse 2 lors de la remise du rapport Match. ©SylvainThomas/AFP

[1] Union des industries et métiers de la métallurgie et Industries électriques et gazières en France

[2] Confédération française pour les essais non destructifs