Directive énergies renouvelables : le compromis obtenu par la France pour défendre son mix électrique et hydrogène - Sfen

Directive énergies renouvelables : le compromis obtenu par la France pour défendre son mix électrique et hydrogène

Publié le 4 avril 2023 - Mis à jour le 5 avril 2023

Les négociations européennes concernant la révision de la directive sur les énergies renouvelables (RED III) se sont achevées le 30 mars 2023. Introduite par la Commission européenne via son Paquet législatif « Fit-for-55 » en juillet 2021, cette révision a fait l’objet de longues et intenses discussions à Bruxelles sur la façon d’encourager le développement des énergies renouvelables en Europe, dans un contexte marqué par la crise énergétique consécutive de l’invasion russe en Ukraine.

Le Parlement européen et les États membres ont finalement réussi à trouver un accord lors d’un ultime trilogue d’une nuit, qui a permis d’obtenir des compromis sur les derniers points de divergence : niveau d’ambition pour les renouvelables, rôle des bioénergies, ou encore soutien à l’hydrogène bas carbone.

Objectif EnR rehaussé : vers une modulation prenant en compte le nucléaire ?

Les colégislateurs européens se sont d’abord entendus pour définir un objectif contraignant de 42,5 % d’énergies renouvelables à 2030 dans le système énergétique de l’Union. Initialement fixés à 40 % par la Commission avec l’aval du Conseil, les eurodéputés avaient proposé de porter cette ambition à 45 %. La présidence suédoise du Conseil a finalement obtenu un accord à mi-chemin, avec la possibilité non contraignante d’aller au-delà.

La méthode de calcul et la clef de répartition de cet effort entre États restent désormais à adapter. Pour la France comme pour les autres pays, une contribution nationale sera calculée en fonction du PIB, d’une contribution forfaitaire, du potentiel de développement des EnR sur le territoire national, et du niveau d’interconnexions avec les pays voisins. Elle pourrait représenter un défi vis-à-vis de l’équilibre du mix électrique en France, qui reposerait sur un bouquet de renouvelables et de nucléaire en accord avec le programme de Belfort et à la suite des scénarios de Futurs énergétiques 2050 de RTE.

C’est pourquoi des propositions notamment faites par l’eurodéputé français Pascal Canfin visent à pondérer les contributions nationales afin de tenir compte de l’intensité carbone des mix électriques. Selon ce principe, les États membres qui disposent d’un mix électrique décarboné pourraient voir leur contribution à l’objectif européen ajusté à la baisse et inversement pour ceux dont le mix est plus fortement carboné. Grâce au nucléaire, la France pourrait alors moduler sa part de l’effort. Reste à ce que l’idée fasse son chemin et trouve une traduction lors de la réouverture, probablement durant la prochaine mandature 2024-2029, du règlement sur la gouvernance de l’Union de l’énergie.

Quotas d’hydrogène renouvelable : une réduction prenant en compte l’hydrogène bas carbone

Un autre point structurant des négociations concernait les mesures de soutien à la demande d’hydrogène dans l’industrie et le transport. Pour l’industrie, l’accord final fixe des quotas obligatoires de consommation de 42 % d’hydrogène renouvelable en 2030 dans la consommation d’hydrogène des secteurs des engrais, de la chimie, ou de la sidérurgie (à l’exclusion du raffinage), puis de 60 % en 2035.

La Commission européenne ne comptait réserver ces quotas qu’à l’hydrogène électrolytique produit à partir d’électricité éolienne et solaire. La France et une dizaine de pays défendaient l’idée d’ouvrir les quotas de consommation à l’hydrogène bas carbone, notamment produit à partir d’électricité nucléaire, au nom d’une approche fondée sur la décarbonation davantage que sur les énergies. Cette voie était également plébiscitée par les industriels européens des engrais, de la chimie, de la sidérurgie ou de la verrerie, qui seront astreints à cette future obligation.

Le compromis final accorde une certaine marge de manœuvre en ce sens (article 22b). Il donne la possibilité à un État membre de réduire les quotas industriels de 20 % si la part d’hydrogène d’origine fossile dans la consommation d’hydrogène du pays est inférieure à 23 % en 2030, puis 20 % en 2035, et que la contribution nationale de l’État répond à l’objectif global de l’UE pour les renouvelables.

Autrement dit, les quotas d’hydrogène renouvelable de l’industrie peuvent être réduits à des niveaux de 33,6 % en 2030 et 48 % en 2035 si un pays réussit à couvrir jusqu’à 77 à 80 % de ses besoins en hydrogène renouvelable ou hydrogène bas carbone. Cet aménagement est donc une façon de reconnaitre le rôle de l’hydrogène bas carbone et du nucléaire, au prix néanmoins de conditions exigeantes.

La barre est en effet placée haute : 94 % de la production d’hydrogène en France repose aujourd’hui sur des énergies fossiles. En tout état de cause, RED III devrait agir comme un signal fort pour encourager massivement le secteur industriel à basculer vers un approvisionnement en hydrogène produit par électrolyse. Les dérogations aux règles encadrant la production d’hydrogène renouvelable, récemment obtenues pour les pays aux mix électriques décarbonés sous un seuil de 64,8 gCO2e/kWh, devraient néanmoins faciliter les conditions de production d’hydrogène renouvelable et d’hydrogène bas carbone en France par rapport à ses voisins.

Négociations difficiles entre « Club du nucléaire » et « Amis des renouvelables »

Le résultat du trilogue reste en revanche loin d’une approche réellement neutre sur un plan technologique, comme elle est de mise aux États-Unis, au Canada ou encore au Royaume-Uni. Pragmatiques, les politiques anglo-saxonnes de soutien à l’hydrogène sont fondées sur le caractère décarboné de l’hydrogène produit, seul juge de paix. La priorité est ainsi donnée à la décarbonation de la production d’hydrogène, de quoi faciliter sa disponibilité et fournir les volumes dont l’industrie a réellement besoin pour réduire les émissions de GES de ses process.

Le compromis final est le fruit de négociations difficiles entre deux coalitions se faisant face. À l’occasion du Conseil Énergie du 28 mars, la France, qui avait réuni une nouvelle fois le « club du nucléaire » avec douze autres pays, soutenait la non-discrimination de l’énergie nucléaire pour la réussite des objectifs de décarbonation et l’aménagement de quotas d’hydrogène bas carbone soit directement dans RED III, soit via le Paquet sur les marchés du gaz et de l’hydrogène.

En face, l’Autriche avait rassemblé le jour même une coalition de onze pays « amis des renouvelables ». Certains d’entre-deux, comme l’Allemagne, l’Espagne ou l’Autriche, se sont opposés fermement à ce que les textes européens mettent l’hydrogène bas carbone sur un même pied d’égalité que l’hydrogène renouvelable dans l’un ou l’autre des véhicules législatifs.

Les deux coalitions ne pouvaient être majoritaires, mais chacune disposait d’une minorité de blocage. Pour sortir de l’ornière, un accord politique a finalement été trouvé. La France a accepté de retirer son amendement sur l’hydrogène bas carbone dans le cadre du Paquet gaz et hydrogène, afin d’en faciliter son adoption par le Conseil le 28 mars.

En échange, la présidence suédoise du Conseil a mis sur la table ce nouvel article 22b à RED III, dont l’adoption le 30 mars permet de satisfaire certaines attentes françaises quant au rôle de l’hydrogène bas carbone. Pour les mettre en musique, il faut désormais accélérer le déploiement d’électrolyseurs pour les sites industriels les plus émetteurs, un défi à prendre en compte pour la révision en cours de la Stratégie hydrogène française.

Maxime Sagot, Direction Régulations d’EDF

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