Démantèlement de l’usine d’enrichissement EURODIF : une première mondiale
Après plus de 30 ans d’exploitation, l’usine d’enrichissement d’uranium à des fins civiles, EURODIF, entrée en service en 1978, s’apprête à être démantelée. Cette opération pharaonique est encadrée par le décret d’autorisation publié au Journal officiel début février 2020. Retour sur le destin hors du commun d’une usine fleuron de l’industrie française.
Historique de l’exploitation
L’usine d’enrichissement EURODIF est implantée sur le site Orano Tricastin, dans la Drôme, une plateforme industrielle créée en 1958 qui propose des services en matière de transformation d’uranium (conversion et enrichissement). Les activités du site du Tricastin précèdent l’étape finale de fabrication du combustible nécessaire aux réacteurs des centrales nucléaires. Dénommée « usine Georges Besse » en mémoire de celui qui fut son fondateur puis son directeur général, l’usine a été exploitée par la société EURODIF Production jusqu’au 7 juin 2012, date de sa mise à l’arrêt définitif [1].
Cette usine a couvert, pendant plus de 30 ans, les besoins d’enrichissement d’uranium d’un quart des réacteurs nucléaires dans le monde.
En quoi consistera le démantèlement ?
Sur le principe, le démantèlement recouvre toutes les étapes de la mise à l’arrêt définitif de l’installation jusqu’à son déclassement administratif en tant qu’installation nucléaire, en passant par le démontage physique, la décontamination de toutes les installations et équipements ainsi que le conditionnement des déchets. « Le démantèlement d’EURODIF est une véritable opération industrielle, conditionnée ici par le gigantisme de l’installation et de ses équipements », souligne Philippe Horteur, directeur des opérations de fin de cycle sur le site Orano Tricastin. « Le démantèlement de l’usine est aussi un chantier exceptionnel par sa taille et par sa durée. Il s’agit en particulier de déconstruire à terme 1 400 étages de la fameuse cascade de diffusion, c’est-à-dire l’ensemble des gros équipements et tuyauteries qui représentent le coeur du procédé de diffusion gazeuse et qui servait à l’enrichissement de l’uranium. C’est un chantier qui représente 160 000 tonnes d’acier, 30 000 tonnes d’équipements en divers métaux et plus de 1 300 kilomètres de tuyauterie, soit l’équivalent de quatre porte-avions Charles-de-Gaulle.
Et Philippe Horteur de poursuivre : « Depuis l’obtention du décret d’autorisation de démantèlement, nous menons à terme les études, et devons construire des ateliers à l’intérieur de l’usine existante avant de réaliser les opérations de démantèlement à proprement parler. Cela consistera en la découpe des équipements industriels à l’aide notamment de cisailles hydrauliques, la réduction du volume des éléments du procédé industriel et leur conditionnement, le compactage des équipements et leur conditionnement. Une fois la construction des ateliers réalisée, nous pourrons ensuite déposer les équipements, et pas des moindres, certaines pièces à démanteler mesurent plus de 23 mètres de haut ! ». À la fin du processus de démantèlement, au plus tard en 2051, il s’agira alors de démanteler les ateliers construits spécifiquement pour le démantèlement.
En préparation du futur démantèlement, des essais de découpe sur des matériels neufs, notamment des diffuseurs de rechange non utilisés pendant l’exploitation de l’usine, ont été réalisés à l’automne 2019 sur le site du Tricastin. L’objectif était de démontrer la faisabilité des processus et de déterminer le meilleur équilibre entre les différentes méthodes applicables (découpe thermique, découpe mécanique, etc.). Cela permettait également d’évaluer l’efficacité de différents outils, notamment lors de la récupération des composants internes des diffuseurs.
Au total, l’usine EURODIF se compose de quatre bâtiments de production, représentant une superficie de 190 000 m2, dont 50 000 m2 pour la plus importante des quatre unités. Le chantier représente près d’1 milliard d’euros et mobilisera en moyenne entre 200 et 250 personnes, prestataires inclus, selon la Business Unit Démantèlement et Services d’Orano dédiée au chantier.
Une usine ultra-performante à l’époque
Pour comprendre l’ampleur du défi, il faut se souvenir qu’au cours de ses 30 années de fonctionnement ininterrompu, l’usine a produit plus de 200 millions d’UTS (Unité de travail de séparation [2]), et a ainsi enrichi l’uranium « pour près de 100 réacteurs nucléaires en France et dans le monde » explique Jean-Jacques Dreher, directeur du site Orano Tricastin. Son fonctionnement s’est appuyé sur le procédé de diffusion gazeuse, qui était la technologie la plus performante à l’époque de sa construction. Ce procédé a été remplacé par la centrifugation [3] installée aussi sur le site du Tricastin, au sein de l’usine d’enrichissement Georges Besse II, dès 2011.
Les étapes prévisionnelles du démantèlement
Déconstruire l’ensemble des équipements industriels, conditionner les déchets et assainir les locaux, tel sera le menu de travail gargantuesque jusqu’en 2051. L’opportunité de revenir sur quelques étapes clefs.
05/02/2020 : publication du décret prescrivant à la société Orano Cycle de procéder aux opérations de démantèlement partiel de l’Installation nucléaire de base (INB n° 93) dénommée « usine Georges Besse », implantée sur le site du Tricastin, sur les territoires des communes de Bollène (département de Vaucluse), Pierrelatte et Saint-Paul-Trois-Châteaux (département de la Drôme), et modifi ant le décret du 8 septembre 1977 autorisant la création de cette installation.
2020-2027 : études de réalisation et aménagements des usines.
2028-2051 : dépose et traitement des étages de diff usion ; démantèlement des autres parties de l’usine, laboratoire, centrale calorifique ; déconstruction des tours aéroréfrigérantes ; retrait des aménagements usines puis assainissement du génie civil.
Un projet de recyclage des métaux à l’étude
Actuellement, en France, un déchet produit dans une installation nucléaire est qualifié de radioactif en fonction de son lieu de production et non de sa radioactivité. Qu’il soit radioactif ou non, un déchet provenant d’une zone produisant potentiellement des déchets nucléaires doit être géré comme tel, et stocké dans un centre de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) dédié aux déchets nucléaires. Dans le reste de l’Europe, la qualification d’un déchet se fait sur la base de sa radioactivité : en dessous d’un certain seuil de radioactivité, un déchet n’est pas considéré comme radioactif. Ces seuils sont extrêmement faibles, environ 300 fois inférieur à la dose moyenne de radioactivité à laquelle est exposé un individu en France.
Ainsi, des alternatives à la gestion des déchets TFA (Très Faible Activité) telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui en France existent. Une évolution de la règlementation est en cours de préparation en ce sens pour s’aligner sur les pratiques et règlementations européennes. 136 000 tonnes de métaux très faiblement contaminés seront générées lors du démantèlement de l’usine.
Pour ces aciers, le procédé de fusion permet de séparer les résidus de fusion qui constitueront le déchet, du métal propre et décontaminé, qui peut être, après contrôle du lot homogène, utilisé dans l’industrie conventionnelle.
Ce procédé permet ainsi de réduire la consommation de ressources naturelles et l’envoi au centre de stockage de déchets de l’Andra de substances valorisables.
Quid de la gestion des déchets et matières valorisables ?
Comme toute activité industrielle, le démantèlement génère des déchets, qu’ils soient radioactifs ou conventionnels. Tout au long du processus de la caractérisation des déchets à leur stockage, leur traçabilité est assurée aussi bien par les équipes Orano que par l’Andra. L’essentiel des déchets issus des opérations de démantèlement d’EURODIF sera du TFA.
Concernant les opérations de traitement de certains déchets TFA, notamment les déchets métalliques, si le scénario de recyclage des métaux de l’usine venait à être présenté à l’issue des études réalisées dans le cadre du Plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs (PNGMDR), une consultation publique serait organisée. En effet, le PNGMDR résulte de l’application de la loi de programme du 28 juin 2006 relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs. Il dresse le bilan des modes de gestion existants, recense les besoins prévisibles d’installations d’entreposage ou de stockage et précise les capacités nécessaires pour ces installations et les durées d’entreposage.
Les déchets conventionnels produits tout au long du démantèlement seront gérés, quant à eux, conformément aux prescriptions réglementaires et transférés à destination de filières adaptées et agréées.
Entre 2013 et 2016, les opérations de rinçage des équipements ont été réalisées : le programme ≪ Prisme ≫.
L’UTS mesure l’effort nécessaire pour séparer les molécules d’uranium 235 (U235) de l’uranium 238 (U238) afin de créer un produit final, plus riche en U235.
Le procédé de centrifugation présente, selon l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), deux avantages décisifs par rapport au procédé de diffusion gazeuse, sur le plan de la sûreté d’abord, mais aussi sur celui de la consommation d’énergie et de l’impact environnemental. A titre d’exemple, l’enrichissement par ultracentrifugation consomme, à production équivalente, 75 MW contre 3 000 MW avec la diffusion gazeuse.