Décryptage : le projet SMR de Nuscale dans l’Idaho annulé - Sfen

Décryptage : le projet SMR de Nuscale dans l’Idaho annulé

Publié le 21 novembre 2023

Nuscale et son premier client ont mis fin au premier projet SMR aux États-Unis, le Carbon Free Power Project (CFPP), qui n’a pas réuni suffisamment de souscriptions alors que le prix du MWh avait été revu à la hausse au début de l’année 2023. Nuscale, qui compte plus d’une dizaine de projets dans le monde, se veut rassurant quant à son avenir.

« Comme on pouvait s’y attendre, les gros titres ont laissé planer le doute sur le futur de l’énergie nucléaire en raison de l’annulation d’un contrat très médiatisé, soutenu par d’importants fonds du ministère de l’Énergie, parmi des dizaines de projets en cours de Nuscale et d’autres. Mais ces gros titres – et les questions des membres curieux de l’ANS – méritent une réponse », assure l’American Nuclear Society (ANS). Et ce n’est autre que le PDG de NuScale, John Hopkins, qui s’est exprimé sur l’abandon du Carbon Free Power Project (CFPP) lors de la grande conférence de fin d’année (winter meeting) de la société savante américaine.

Selon ses propos, trois conditions étaient nécessaires pour réaliser le projet : 1) avoir un nombre de souscriptions suffisant ; 2) bénéficier d’un support financier fédéral continu ; 3) définir un objectif de prix du MWh. Or, la première condition n’a pas été remplie. « CFPP visait l’objectif de 80 % de souscriptions d’ici la fin de l’année, a déclaré John Hopkins. Malgré des efforts significatifs des deux parties (NuScale et UAMPS, ndr), il est peu probable que le projet obtienne assez de souscriptions pour le déploiement. C’est pourquoi UAMPS et NuScale ont décidé que mettre fin au projet était la décision la plus prudente »[1].

Un modèle économique particulier

Malgré un soutien important de l’État fédéral annoncé en 2020 (1,4 milliard de dollars pour la période 2020-2030), des subventions accordées au titre de l’Inflation Reduction Act (IRA), et la fourniture d’un site public (Laboratoire national de l’Idaho) pour réduire les risques d’un projet tête de série, le CFPP restait fondamentalement suspendu à la décision d’un grand nombre de petits acteurs. En majorité, des municipalités rassemblées au sein de l’Utah Associated Municipal Power Systems (UAMPS) (50 membres) qui elles-mêmes devaient convaincre leurs clients.

Une tâche difficile dans un contexte de hausse des prix du MWh du projet. Début 2023, NuScale a annoncé un prix de 89 dollars, alors que World Nuclear News mentionnait 58 dollars un an auparavant. En cause, une inflation frappant les matières premières qui touche toutes les industries, à l’image du Danois Ørsted qui a annoncé l’abandon de deux projets éoliens en mer [2] aux États-Unis. En tant que first of a kind, le projet intégrait des subventions fédérales, en particulier au titre de l’Inflation Reduction Act (IRA).

Autre contrainte : les futurs clients du projet nucléaire étaient par ailleurs libres d’augmenter ou de réduire le volume souscrit a des jalons clés déterminés [3]. La puissance souscrite était seulement de 103 MW en 2021 contre 150 MW deux ans plus tôt [4]. Cette structure a été une source d’instabilité pour le projet qui a connu d’importantes évolutions. Annoncé en 2015, le projet initial visait une capacité installée de 600 MWe via une centrale de 12 modules à eau pressurisée de 50 MWe [5] (600 MWe) puis, en 2018, 12 modules de 60 MWe  soit 720 MWe. L’ambition a ensuite été revue à la baisse en juin 2021 : six modules de 77 MWe pour une capacité de 462 MW.

De nombreux autres projets

Malgré cet abandon, l’entreprise NuScale, fondée en 2007, reste un acteur important du secteur et John Hopkins a souligné à l’ANS la « bonne santé financière de l’entreprise ». L’américain a obtenu la certification de l’autorité de sûreté (NRC) pour son module de 50 MWe en 2020 (la première du genre aux États-Unis pour cette gamme de réacteurs) alors que celui de 77 MWe est en cours de revue. Plus encore, la fabrication des modules a été lancée début 2023 dans les usines du coréen Doosan. Ces pièces seront attribuées au premier client a fait savoir l’entreprise.

Enfin, NuScale n’affiche pas moins de 12 projets dans le monde que ce soit pour l’alimentation de Data Centers dans l’Ohio et la Pennsylvanie (Standard Power), équiper une centrale flottante au Canada (Prodigy Marine Power), décarboner une aciérie en Caroline du Nord (Nucor) ou remplacer des centrales à charbon en Pologne (KGMH) et ailleurs, même si à ce stade aucun contrat commercial n’a été signé. Les parties prenantes polonaises et roumaines ont reconfirmé leur intérêt pour NuScale[6] malgré l’abandon de ce projet de tête de série.

Une déception pour les municipalités

Depuis l’abandon de ce projet, la décarbonation du mix électrique de l’UAMPS est incertaine, ce qui se traduit par une déception pour bon nombre d’élus locaux. « La déception est d’autant plus grande qu’un travail de longue haleine a été mené par UAMPS, CFPP LLC, NuScale, le Department of Energy et les communautés membres de l’UAMPS qui ont joué un rôle de premier plan dans le lancement de ce projet », a déclaré le directeur général de l’UAMPS, Mason Baker. « Nous étions vraiment enthousiastes, c’est d’autant plus décevant » [7], confirme le maire de Brigham, une ville de 20 000 habitants selon la presse locale. Même son de cloche pour le directeur de Santa Clara Power pour qui le nucléaire est « une technologie formidable, fiable, qui produit 24/7 ».

« C’est de ça que nous avons besoin pour remplacer le charbon », a-t-il déclaré. « Je pense que le nucléaire est la seule réponse verte ». La ville de Santa Clara pour faire face aux difficultés d’approvisionnement a récemment investi dans 9 MW de générateurs électriques fonctionnant au gaz [8]. La Ville de Hurricane témoigne des mêmes difficultés et fait appel à des générateurs diesel et gaz pour sa production d’électricité lorsque le prix grimpe. Le projet de NuScale devait venir remplacer ces unités fossiles.■

Par Gaïc Le Gros (Sfen)

Crédit photo ©NuScale

[1] https://www.powermag.com/uamps-and-nuscale-power-terminate-smr-nuclear-project/

[2] https://www.theguardian.com/environment/2023/nov/01/rsted-cancels-two-us-offshore-windfarm-projects-at-33bn-cost

[3] https://www.ans.org/news/article-3087/uamps-downsizes-nuscale-smr-plans/

[4] https://www.ans.org/news/article-3087/uamps-downsizes-nuscale-smr-plans/

[5] https://www.ans.org/news/article-3087/uamps-downsizes-nuscale-smr-plans/

[6] https://www.nucnet.org/news/polish-and-romanian-companies-confirm-commitment-to-smrs-amidst-cfpp-cancellation-fallout-11-5-2023

[7] https://www.kuer.org/business-economy/2023-11-14/smaller-utah-towns-were-banking-on-the-promise-of-nuclear-replacing-coal-now-what

[9] Santa Clara Power, https://www.youtube.com/watch?v=FN8M49wU6fM&list=PLCPZYvs51rzaVqg-ptqxgl-y4PhQETsMa