Corrosions sous contrainte : EDF, l’ASN et l’IRSN présentent un premier retour d’expérience devant les parlementaires
Il y a un an, EDF découvrait une anomalie inattendue sur certains réacteurs du parc. En un temps record, grâce à une mobilisation technique massive, les experts vont identifier un phénomène de corrosions sous contrainte, en définir l’origine, proposer un moyen de réparation et développer un outil de contrôle non destructif adapté. Devant les parlementaires, un premier bilan complet a été tiré de cet évènement.
Jeudi 27 octobre, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) auditionnait des représentants d’EDF, de l’ASN, de l’IRSN et d’associations. Ces derniers ont présenté un premier retour d’expérience sur ce phénomène inattendu survenu sur le circuit primaire de plusieurs réacteurs du parc. Cédric Lewandowski, directeur chez EDF en charge de la direction du parc nucléaire et thermique, a commencé par rappeler les faits.
Un an pour comprendre
📺 Revoir l’audition publique sur les problèmes de corrosion sous contrainte rencontrés sur le parc électronucléaire d’#EDF
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Lors de la visite décennale du réacteur Civaux 1, « un signal anormal et atypique » est repéré sur le circuit d’injection de sécurité (RIS), directement relié au circuit primaire. Les opérateurs de contrôle par ultrasons étaient à la recherche de fatigue thermique mais remarquent une indication différente. Après découpe du tronçon de tuyauterie, l’expertise métallurgique, en « laboratoire chaud », révèle qu’il s’agit de corrosion sous contrainte (CSC), un phénomène très difficile à repérer avec les moyens de contrôles non destructifs disponibles alors. Cédric Lewandowski décrit ce premier défaut comme : « une fissure de 5 à 6 mm de profondeur sur toute la circonférence du tuyau, à proximité d’une soudure ». Les fissures détectées ensuite seront beaucoup plus modestes. Un tel phénomène de CSC de ce type de matériaux (un acier inox) est très rare dans les REP et n’était pas attendu dans cette zone. Il avait par exemple été observé une fois dans les années 80 sur un réacteur au Bugey, mais il était alors lié à un phénomène de pollution chimique.
EDF découvre qu’il s’agit d’un problème générique sur les réacteurs des paliers N4 et P’4. Au, final 12 réacteurs seront arrêtés au cœur de l’hiver 2021-2022 et des portions de leurs tuyauteries sont démontées pour expertise (les méthodes de contrôle non destructifs disponibles ne permettaient pas de caractériser ce type de défauts). À date, 115 soudures et 230 échantillons ont été expertisés. Il a été mis en évidence que « les réacteurs 900MW et P4 sont peu ou très peu sensibles au phénomène CSC ». En revanche, « les réacteurs P’4 ou N4 sont sensibles à la CSC », explique Cédric Lewandowski.
Un phénomène lié au design des réacteurs
La CSC est une fissuration progressive, fondée sur l’interaction entre un matériau (ici l’acier inox), l’eau et une sollicitation mécanique, explique EDF. L’inox en question n’y est normalement pas sensible, à moins qu’il n’ait subi un écrouissage (déformation qui en accroît la dureté) en fabrication, dans le cas présent lors du soudage. Les contraintes mécaniques, pour leur part, proviendraient d’un phénomène de stratification thermique dans ces tuyauteries reliées au circuit primaire (« bras morts). EDF estime que « la géométrie des lignes RIS est le facteur principal expliquant la CSC ». Une fois de plus l’ensemble des intervenants exclut tout lien avec le vieillissement.
Au final, 16 réacteurs (les 12 réacteurs P’4 et les quatre N4) ont été définis comme prioritaires par EDF. Le programme de surveillance et la méthode de réparation proposés par l’opérateur ont été validés par l’ASN durant l’été. Actuellement, 10 chantiers ont été ouverts, six sont terminés, l’achèvement de l’un d’entre eux est attendu en novembre et celui des trois autres avant la fin de l’année. L’ensemble du parc devra être vérifié d’ici fin 2024, y compris les réacteurs de 900 MWe a priori très peu sensibles au phénomène.
Durant cette période, les équipes d’EDF ont également développé un moyen de contrôle apte à détecter et caractériser cette CSC sans déposer les tuyaux systématiquement : « Il a fallu développer une nouvelle technique de contrôle par ultrasons qui est une véritable prouesse. Elle n’est pas encore parfaite, mais on espère pouvoir en profiter pleinement l’année prochaine », explique Cédric Lewandowski.
Apprentissage pour la sûreté
Selon Bernard Doroszczuk, président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), « la fissuration par CSC est un sujet sérieux qui a été traité sérieusement par EDF ». Il assure qu’en cas de brèche, nous serions dans une situation accidentelle avec une perte durable du réacteur et des rejets extérieurs limités. L’IRSN, par la voix de son président Jean-Christophe Niel, ajoute que les calculs d’EDF sur la tenue du réacteur sont valides : la perte de deux lignes RIS ne présenterait pas de risque de fusion du réacteur. Le président de l’ASN souligne la difficulté à traiter ce sujet, car l’exploitant d’EDF ne disposait d’aucun retour d’expérience. Bernard Doroszczuk n’hésite pas à dire que pendant un semestre, « nous avons été aveugles ».
L’ASN tire deux grands enseignements de cet évènement, dont la compréhension est encore « évolutive ». D’une part, elle appelle à développer « la capacité des exploitants à aller voir des choses auxquelles on ne s’attend pas ». D’autre part, elle insiste une nouvelle fois sur le besoin de disposer de marge de capacités de production en France pour faire face à un arrêt simultané de plusieurs réacteurs en cas d’anomalie générique.
Pas d’arbitrage avec la sûreté
Accusée par les uns d’excès de zèle en stoppant 12 réacteurs très rapidement et par les autres de ne pas en voir fait assez, EDF tranche catégoriquement qu’« il n’y a pas d’arbitrage entre la sûreté des réacteurs et la sécurité d’approvisionnement électrique ». Une position soutenue par l’ASN.
EDF a consulté des experts internationaux et une solution alternative au démontage et au remplacement de tronçons a été évoquée. Cédric Lewandowski indique que des experts américains ont préconisé l’utilisation d’« overlay », que l’on peut traduire en français par « manchonnage ». Il s’agit de recouvrir les portions des tuyauteries affectées par la CSC d’une deuxième couche d’acier. Cette solution simple et rapide ne peut en l’état pas être appliquée en France, car elle n’y est pas qualifiée. C’est une procédure qui aurait demandé des des mois ou des années d’instruction. En définitive, la stratégie choisie par EDF était la plus rapide pour retrouver la disponibilité des réacteurs.
La main-d’œuvre pour les réparations
La remise en état des réacteurs dont des portions de circuit avaient été démontées a demandé à EDF de faire appel à des soudeurs et des fournisseurs étrangers, ce qui a amené des critiques sur les moyens de la filière. D’un point de vue de la fourniture des tuyaux, Cédric Lewandowski explique qu‘EDF a fait appel à des fondeurs et forgerons italiens qui travaillent déjà avec l’électricien dans le programme de grand carénage. Il indique toutefois que la fourniture des équipements a demandé six mois et qu’il regrettait qu’aucun fournisseur français n’ait pu répondre aux besoins d’EDF.
Sur la question des ressources humaines, EDF explique qu’il faut beaucoup de personnels, contrôleurs, soudeurs et tuyauteurs, car les opérations sont réalisées en milieu dosant. L’entreprise a fait appel à ses partenaires : Monteiro, Onet, Endel, Framatome et Westinghouse. Il confirme qu’il a fallu faire venir des salariés de l’étranger, mais Cédric Lewandowski relativise en assurant que cela ne représente que 10 % des effectifs mobilisés. ■