Concertation sur le mix énergétique de demain : entre contrainte forte et liberté totale - Sfen

Concertation sur le mix énergétique de demain : entre contrainte forte et liberté totale

Ce 23 mai, la ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher a présenté publiquement les conclusions de la concertation sur le mix énergétique menée par la Commission nationale du débat public (CNDP). Cela s’inscrit dans le contexte où le Parlement français est appelé à voter avant le 1er juillet 2023, la première loi de programmation Énergie et Climat, qui devra être révisée tous les 5 ans. Ilaria Casillo, présidente par intérim de la Commission nationale du débat public (CNDP), partage les résultats de ce travail

Pouvez-vous rappeler quels étaient les objectifs de la concertation ?

Les objectifs étaient de recueillir les orientations et les propositions de la population. Pour cela, la CNDP a proposé au gouvernement trois dispositifs : une plateforme participative sur laquelle il y a eu 31 000 contributions. Un tour de France, parce que la question énergétique ne se décline pas de la même manière selon les régions, qui a mobilisé le public, des étudiants, les parties prenantes, des acteurs de l’énergie. Et enfin, des délibérations se sont tenues à la Cité des Sciences et de l’industrie à Paris sous la forme d’un forum des jeunesses avec un panel de profils âgés de 18 à 35 ans reflétant la diversité (situation économique, niveau d’étude, niveau d’engagement, etc.) de la jeunesse. Les jeunes se sont positionnés sur les questions de la consommation et de la production avec une demande très forte d’information, d’accompagnement et d’encadrement.

Quels sont les grands enseignements sur le sujet de la demande ?

Sur la question de la consommation, il y a une chose très intéressante qui est ressortie. Les participants, que ce soit lors du forum des jeunesses, en ligne ou dans les territoires, se sont dits prêts à faire leur part sur les sujets relatifs aux choix individuels et quotidiens. Il s’agit en particulier de la manière de se déplacer, de se chauffer et d’utiliser les appareils électroménagers. Les participants considèrent qu’ils disposent d’une certaine marge de manœuvre dans ces domaines. Dans d’autres secteurs, les participants jugent qu’ils ne peuvent pas agir seuls.

Les notions de sobriété et d’efficacité énergétique ne reposent pas sur l’addition des comportements individuels mais entrent dans un cadre sociétal plus vaste. Ainsi, dans les domaines du tourisme, de l’alimentation et du travail, l’action d’autres acteurs est jugée nécessaire. L’interrogation qui subsiste est de savoir vers quel modèle de société voulons-nous aller ? Le sujet fait l’objet d’un dissensus.

Par exemple, certains ont proposé de réduire les déplacements via un système de quota carbone et d’autres ont jugé fondamental le droit de se déplacer librement et de découvrir le monde. On a également observé un dissensus entre la volonté de mettre en place un cadre national très vertical et un modèle prenant en compte les spécificités locales. À cela s’ajoute une forte volonté de justice sociale.

Le sujet de la réindustrialisation est par ailleurs reconnu comme important, mais là encore nous avons observé un désaccord sur le modèle à suivre. Pour certains la réindustrialisation vise à maintenir le même niveau de consommation alors que pour d’autres, elle devrait appeler un autre modèle, tourné vers un marché plus local, européen et français, tout en étant associé à une baisse de notre consommation.

Quels sont les grands enseignements sur l’offre ? Quid du nucléaire ?

Bien que le débat reste en partie polarisé, l’opposition des renouvelables et du nucléaire n’a pas non plus monopolisé la concertation. La place du nucléaire dans le mix est considérée par certains comme incontournable, au moins dans l’immédiat.

Le premier grand enseignement est que le mix ne peut s’établir qu’à partir d’une identification claire des besoins sur une échelle temporelle. C’est un constat de base des participants. Ensuite, les attentes exprimées pour les énergies renouvelables ou le nucléaire ne sont pas exactement les mêmes. Pour les renouvelables il y a une volonté de se diriger vers une planification concertée et une distribution des infrastructures sur le territoire. Pour le nucléaire c’est un peu différent, comme les sites sont déjà existants la planification est moins un sujet que la transparence et le contrôle. Au-delà de la question de lancer un nouveau programme ou autre, la priorité pour les participants est d’identifier collectivement les risques en toute transparence et de les réduire au maximum.

Quels sont les grands clivages qui sont ressortis ?

Le clivage le plus important est de loin le clivage générationnel. Sur la question de « comment encadrer la réduction de la consommation », certains et en particulier les jeunes (18-35 ans) répondent par une contrainte forte. Pour d’autres, cela doit passer par l’encadrement, l’accompagnement et l’incitation. C’est une controverse qui constitue une sorte de fil rouge de la concertation et qui renvoie à la question du modèle de société à suivre, notre niveau de consommation, etc. ■

Propos recueillis par Gaïc Le Gros (Sfen)

Photo : © Le trait de Lou