Le combustible pour un nucléaire “durable”
Président du comité des programmes du congrès mondial GLOBAL 2015, Bernard Boullis étudie de près les évolutions qui touchent au cycle du combustible. Essor du nucléaire à l’Est (Asie, Russie, etc.), besoin d’optimiser la consommation d’uranium, développement du recyclage, lancement des réacteurs à neutrons rapides… dans les prochaines décennies, le nucléaire sera « durable ou ne sera pas ». Dans ce changement de paradigme, le cycle du combustible est appelé à prendre une place grandissante. Avant-goût des sujets qui seront évoqués à Paris pour GLOBAL 2015.
GLOBAL, quelles différences avec les précédentes éditions ?
Bernard Boullis – En 1993, le premier rendez-vous de GLOBAL a eu lieu à Seattle, aux Etats-Unis. L’objectif était – et est resté – d’avoir la vision la plus large possible des activités dans lesquelles le cycle du combustible nucléaire intervenait. En effet, lorsqu’on l’on imagine le futur, cela ne sert à rien de réfléchir de façon compartimentée : il faut penser de l’amont à l’aval, en passant par les réacteurs !
GLOBAL est donc « LE » grand rendez-vous sur le cycle du combustible. On s’intéresse au recyclage des matières, aux procédés et bien sûr aux réacteurs qui permettent de tirer utilement parti de ces combustibles. La prospective occupe donc une place importante. Une centaine de publications scientifiques sera présentée en septembre pour apporter des réponses aux questions : quelle génération de réacteur le parc de demain utilisera-t-il ? Quel sera l’apport des réacteurs à neutrons rapides en matière de gestion des matières ? …
En septembre, cela sera la troisième fois que la France organise cet événement. A quelques mois du sommet climatique de Paris (COP 21), l’accent sera mis sur le nucléaire « durable ». Autrement dit : comment optimiser la gestion des ressources minières pour que le nucléaire continue de se développer dans les prochaines décennies ?
Quels seront les grands thèmes de cette édition ?
BB – Aujourd’hui, la question de la durabilité (« sustainability ») est centrale. Comment faire pour que les systèmes soient durables ?
Dans le nucléaire, cette réflexion doit permettre d’économiser la matière première (en recourant au recyclage par exemple), de réduire la production de déchets et les risques de prolifération.
Les professionnels ont pris conscience que la gestion des matières est la clé pour un nucléaire durable.
Comment le cycle du combustible nucléaire peut-il contribuer à lutter contre le changement climatique ?
Faire du nucléaire c’est ne pas émettre de CO2. Le cycle permet de faire du nucléaire durable en économisant la ressource. Aujourd’hui avec les ressources identifiées et à consommation nucléaire constante, on a de l’uranium pour plus d’un siècle, 150 ans environ. Par ailleurs, les réacteurs en construction seront exploités pendant 50 ans, voire plus. A partir de 2050, on va donc s’interroger sur la capacité de faire fonctionner ces réacteurs si on ne recycle pas… D’autant que le nombre de réacteurs en exploitation est en hausse. Les pays qui souhaitent développer l’atome en ont conscience et regardent de près ces sujets d’approvisionnement.
Le cycle du combustible : des ruptures technologiques et des innovations à prévoir ?
BB – Un nucléaire qui dure est un nucléaire qui recycle. A l’avenir, le recyclage est appelé à prendre de plus en plus d’importance dans l’approvisionnement des réacteurs et dans le coût de production électronucléaire. Le recyclage systématisé posera inévitablement des questions de compétitivité et de sûreté.
D’une part, les procédés actuels devront être optimisés. Le recyclage ne pourra pas se développer s’il n’est pas viable économiquement.
D’autre part, les procédés devront produire moins de déchets, garantir une résistance face au risque de prolifération et ne pas affaiblir la sécurité d’approvisionnement énergétique. La gestion des stocks de plutonium soulève déjà des questions : doit-on recycler le plutonium tout seul ? Quelle place pour les procédures de co-management (recyclage de l’uranium et du plutonium ensemble) ? Comment réduire les risques de prolifération ?
Enfin, dans un parc nucléaire 100 % RNR, l’aval du cycle pèse davantage que dans un parc où les réacteurs peuvent fonctionner indifféremment à l’UOX ou au MOX. De nouveaux enjeux apparaissent sur le champ de la sécurité d’approvisionnement.
Les ruptures technologiques dépassent les technologies de cycle du combustible. En réalité, les prochaines innovations porteront sur les réacteurs. Les générations en exploitation actuellement ne sont pas capables d’utiliser complétement les matières comme le plutonium qui ne peut pas encore être multi recyclé. Pour y parvenir, il faut changer de machine ! Des travaux sont engagés pour développer les réacteurs à eau avancé et les réacteurs à neutrons rapides (RNR).
Quelle est la place de la France ?
BB – Si le nucléaire a un avenir, c’est avec du recyclage ! Il suffit de regarder ce qui se passe à l’Est : les pays qui misent sur le nucléaire s’intéressent de plus en plus aux technologies du cycle. Certains développent des réacteurs de 4e génération comme la Russie et l’Inde, d’autres souhaitent exploiter une usine de recyclage, inspirée de La Hague ; c’est le cas de la Chine.
A la différence du marché déjà très concurrentiel des réacteurs de 4e génération, en matière de recyclage la France est en avance par rapport aux autres pays. Ses installations sont ce qui se fait de mieux actuellement !
Copyright photo – GOLDSTEIN JULIEN