Colères après la fermeture des réacteurs nucléaires en Allemagne - Sfen

Colères après la fermeture des réacteurs nucléaires en Allemagne

Publié le 17 avril 2023
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La fermeture des derniers réacteurs nucléaires allemands en pleine crise climatique et énergétique a soulevé une vague d’émotion. Beaucoup critiquent cette décision qui va à contresens de l’histoire. Retrouvez quelques-unes des réactions de part et d’autre du Rhin.

Samedi 15 avril, l’Allemagne a déconnecté du réseau ses trois derniers réacteurs nucléaires : Emsland (1 300 MW), Isar 2 (1 400 MW) et Neckarwestheim 2 (1 300 MW). En 2022, ces trois unités ont représenté 6 % de la production d’électricité du pays, une électricité bas carbone qui pesait lourd dans le mix très carboné de notre voisin. Alors que la lutte contre le changement climatique est essentielle, le pays a supprimé 20 GW d’électricité nucléaire ces dix dernières années.

Par ailleurs, en pleine crise énergétique, le pays se prive d’outils pilotables qui participaient à l’indépendance énergétique globale en Europe de l’Ouest. Le pays voulait initialement fermer ses unités le 31 décembre dernier, mais a dû se résoudre à décaler cette date afin de passer l’hiver. À l’avenir, cette production d’électricité sera remplacée par du charbon et du gaz. Le pays vise à long terme l’utilisation d’hydrogène. Alors que les militants antinucléaires en Allemagne (et en France) se sont réjouis de la fermeture de ces actifs, la décision a provoqué de nombreuses réactions d’incompréhension, voire de colère. Retrouvez ici quelques exemples.

Lettre ouverte au chancelier Scholz

Plus d’une vingtaine de physiciens, climatologues et autres économistes, dont deux prix Nobel, ont publié une lettre ouverte au chancelier Olaf Scholz. Ils lancent : « Nous vous demandons d’utiliser les centrales nucléaires allemandes restantes afin d’atténuer la crise énergétique et de contribuer à la réalisation des objectifs climatiques de l’Allemagne ». Ils ajoutent que « La réduction de la quantité d’électricité produite par les centrales au charbon qui en résulterait permettrait d’économiser jusqu’à 30 millions de tonnes de CO2 par an ».

Valérie Masson-Delmotte sort de réserve

La climatologue française Valérie Masson-Delmotte, présidente depuis 2015 du groupe 1 du Giec, défend inlassablement le climat, a pris la parole dans un thread Twitter sur la décarbonation de l’Allemagne, elle écrit : « En Europe, fermer des centrales nucléaires avant de fermer des centrales fossiles (charbon puis gaz) est difficile à comprendre dans ce contexte. Les centrales fermées aujourd’hui en Allemagne représentaient 6 % de sa production d’électricité ».

La décision allemande illustrée

Alors que de nombreux parlementaires écologistes français se réjouissaient que l’Allemagne ait enfin tourné la page du nucléaire, le secrétaire national du PCF a posté sur Twitter une photo d’une excavatrice à roue pour le charbon et a ajouté la légende : « La fameuse « Allemagne sans nucléaire » dont on entend tant parler, en une image ».

Contre l’opinion publique

Nucleareurope, le représentant de l’industrie nucléaire en Europe, souligne que ces fermetures en Allemagne sont « une décision prise en dépit de l’opinion publique favorable à la prolongation des réacteurs ». En effet, dans une enquête de l’institut Yougov, seuls 26 % des Allemands souhaitaient une mise à l’arrêt des réacteurs au 15 avril.

Un péché énergétique

Le président de La Bavière Markus Söder est furieux de cette fermeture. Il juge que cette décision « est un péché en matière de politique énergétique et technologique et d’un véritable danger pour l’Allemagne de ne plus pouvoir assurer sa sécurité d’approvisionnement à long terme ». Il ajoute que la fermeture a été une décision prise « contre la volonté du peuple » et se base « sur une pure idéologie ».

Les ruines de villages rasés pour le charbon

Stéphane Séjourné, député européen et président du groupe Renew Europe, tape fort sur cette décision allemande. Il explique que « aucune transition écologique ne peut se bâtir sur les ruines de villages rasés pour faire place à des mines de charbon ». Il assure que « 60 % des Allemands regrettent aujourd’hui d’avoir cédé au lobby anti-nucléaire ».

Un parti pris fanatique
Pour le chef de l’opposition (CDU) Friedrich Merz, cette décision est incompréhensible. Dans plusieurs entretiens à des médias allemands, il explique que « L’abandon allemand du nucléaire s’inscrit dans le contexte d’une politique énergétique animée par un parti pris quasi fanatique. Ce sont uniquement des réserves idéologiques et le mythe fondateur des Verts qui triomphent de toute raison ». Ailleurs, il juge que : « Celui qui pense devoir imposer ses objectifs politiques contre la volonté de la majorité, parce qu’il, en possession d’une morale supérieure, se sent légitime de le faire, met en danger l’acceptation de la politique climatique. »

Faire son examen de conscience

Quelques jours avant la fermeture effective des réacteurs en Allemagne, le Directeur de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) Fatih Birol avait fait la leçon aux pays européens opposés au nucléaire. Lors d’une conférence à Science Po Paris, il déclare : « Lorsque la poussière retombera de cette crise de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, je pense que les gouvernements européens – en particulier certains d’entre eux – devront s’asseoir et faire une autocritique sérieuse de leurs politiques énergétiques ». Sont principalement visés l’Allemagne, l’Autriche et le Luxembourg. Il pointe aussi du doigt l’Union européenne qui a fait « preuve de froideur à l’égard du nucléaire ». ■

Par Ludovic Dupin (Sfen)

Photo : Protestation contre la fermeture des réacteurs nucléaires à Berlin le 15 avril dernier – ©Christoph Soeder / DPA / dpa Picture-Alliance via AFP

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