Au cœur de l’Europe, la Hongrie continue de construire des réacteurs
En mars 2017, la Commission européenne a levé les derniers obstacles pour la construction de deux nouveaux réacteurs en Hongrie. Ce pays de 10 millions d’habitants figure, aux côtés de ses partenaires d’Europe centrale du groupe de Visegrád [1], au centre des nouveaux investissements nucléaires européens.
Un pays nucléaire historique
Ancienne démocratie populaire, la Hongrie a pendant la seconde moitié du vingtième siècle vécu sous l’influence de la Russie, notamment d’un point de vue technologique. Au cours des années 1970, le pays choisit de se doter d’une centrale nucléaire pour alimenter ses besoins électriques. Quatre réacteurs VVER-440 seront ainsi mis en service à partir de 1982 sur le site de Paks, à 130 kilomètres au sud de la capitale hongroise, Budapest, le long du Danube. Avec leurs quelque 2 gigawatts de capacité de production, ces réacteurs fournissent plus de la moitié des besoins en électricité du pays.
La Hongrie dispose par ailleurs d’un réacteur de recherche de type VVER de 10 MW, situé à Budapest. Mis en service en 1959, il a été reconstruit en 1990. Il est utilisé pour la physique fondamentale, la chimie, la science des matériaux, la biologie ou encore l’archéologie.
Le choix de prolonger et de renouveler le parc
Le Parlement hongrois a décidé en 2005 que les quatre réacteurs de Paks fonctionneraient 50 ans, mais pas au-delà. Autrement dit, les unités s’arrêteront entre 2032 et 2037. Dans cette optique, le pays a engagé le remplacement de ses réacteurs pour prendre le relais.
C’est dans ce cadre que la Hongrie a conclu un accord avec la Russie en 2014 pour construire deux réacteurs VVER-1200 sur le même site de Paks. Familière de la technologie russe, elle s’est assez naturellement tournée vers Rosatom. Le projet s’est déroulé sans appel d’offres. Il porte sur un investissement de 12,5 milliards d’euros, financés à 80 % par la Russie à travers un prêt, polémique, de 10 milliards d’euros. Le secret entourant ce contrat a été fixé à 30 ans par le Parlement hongrois. L’opposition hongroise a notamment critiqué le manque de transparence dans l’attribution, sans appel d’offre, du marché au groupe russe. Si Paks II doit remplacer les réacteurs existants, dans la pratique, les six réacteurs devraient fonctionner simultanément pendant quelques années, la mise en service de la centrale étant prévue pour 2025. Le ministère hongrois en charge du projet a expliqué qu’une autorisation de construction serait demandée mi-2018 à l’autorité de sûreté hongroise, l’OAH. Le coût de production du mégawattheure attendu pour la centrale est de 55 euros.
Une stratégie révélatrice de divergences énergétiques régionales
La décision hongroise ne s’est pas faite sans problème. L’agence d’approvisionnement d’Euratom craignait un risque de monopole russe sur le combustible et la Commission une distorsion concurrentielle au regard des modalités de financement du projet. Des concessions ont permis de lever ses freins.
Suite au feu vert final de la Commission en octobre 2017, le ministère autrichien de l’Environnement a porté plainte fin février 2018 auprès de la Cour de Justice de l’Union européenne contre la décision de Bruxelles. Vienne conteste la position de la Commission, qui estime que le montant de l’aide russe est « limité et proportionné aux objectifs poursuivis ». L’Autriche, foncièrement opposée à l’atome, ne cache pas que sa démarche n’est pas motivée par des aspects juridiques. Dès la publication de la décision de la Commission, le pays avait annoncé son intention de déposer un recours. L’Autriche est une habituée des faits. En 2015 le pays avait déjà porté plainte contre le mécanisme de financement de la centrale britannique d’Hinkley Point C, que construit EDF Energy dans le Somerset.
L’antagonisme entre Hongrie et Autriche est d’autant plus fort que les deux pays ont une vision radicalement différente vis-à-vis de l’énergie nucléaire. Là où l’Autriche, depuis un référendum sur le sujet en 1978, lutte systématiquement contre l’énergie nucléaire, la Hongrie montre un attachement sans faille au nucléaire. Les enquêtes d’opinion révèlent ainsi que près de 70 % des Hongrois y sont favorables [2].
L’opposition autrichienne est toutefois l’arbre qui cache la forêt en Europe centrale. La Hongrie peut en effet compter sur le soutien de ses voisins du groupe de Visegrád, qui réunit la Pologne, la Slovaquie, la Hongrie et la République tchèque. L’ensemble de ces États dispose déjà, ou compte disposer pour la Pologne, de l’énergie nucléaire pour produire une partie de leur électricité.
Crédit photo : MVM NPP PAKS
Légende : de la mise en service du premier réacteur en 1982 à la fin de l’exploitation possible des deux VVER-1200 en projet, au-delà de 2185, le site de Paks pourrait avoir produit de l’électricité nucléaire pendant plus d’un siècle.
[1] Le groupe de Visegrád est un groupe informel, créé en 1991 dans la ville hongroise éponyme, réunissant quatre pays d’Europe centrale : la Hongrie, la Pologne, la République tchèque et la Slovaquie.
[2] Public Attitudes to Nuclear Power, OCDE AEN, 2010